Points de vue… sur Vienne

Publié par jfl-seronet le 31.10.2010
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Vienne 2010réservoirs
La Conférence internationale sur le sida s'est tenue à Vienne en juillet dernier. Manifestations, débats, présentations de résultats scientifiques, controverses, etc. comme toujours la conférence a été riche. Militants, Christian, Fabien, René, Franck et Nicolas y ont participé. Ils dressent, à froid, leur bilan personnel de cet événement exceptionnel pour Seronet.
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Des temps forts
"D’un point de vue global, ce qui était pour moi le plus surprenant était l’écart entre cette conférence et sa précédente édition à Mexico, explique Christian. Après le bouillonnement militant de Mexico, l’édition viennoise m'est apparue assez fade. Pourtant, le fait de positionner la conférence le plus près possible de la Russie et le lancement de la Déclaration de Vienne –  pour qu’enfin les politiques anti-drogues soient basées sur des données scientifiques et non plus sur une idéologie de prohibition –  laissaient espérer une conférence très politique". Nicolas a, lui, été marqué par la "place des droits humains dans la conférence". "Aujourd’hui, on ne peut pas lutter contre le sida sans défendre les droits humains et donc lutter contre les discriminations. Des discriminations… comme c’est le cas envers les minorités sexuelles dans nombre de pays du Sud ou encore les étrangers malades en France ou en Suisse qui sont renvoyés mourir au pays, les usagers de drogues à l’Est ou les séropositifs qui n'ont pas accès aux trithérapies, rappelle Nicolas. La marche pour les droits et les initiatives des activistes ont été des moments forts pour dénoncer ces situations et s’engager". "Le temps fort de Vienne… Pour moi, c’était le temps des gens. Je suis habitué aux conférences internationales comme la CROI, médicales et scientifiques. Ce mélange de tous les acteurs de la lutte :  activistes, militants, chercheurs, médecins, bailleurs de fonds et politiques, c’était nouveau pour moi, explique Franck. Une mention spéciale aux "sex workers" (travailleurs du sexe) et aux militants russes qui se battent pour la reconnaissance de leurs droits et  une bonne prise en charge. De sacrés activistes !"
Pour René, un des temps forts a été la présentation d’Yves Souteyrand de l'Organisation mondiale de la Santé lors de la session d’ouverture de la Conférence "Dans cette présentation, il a fait un portrait global, chiffres à l’appui, de l’état mondial de l'épidémie de sida et des liens importants qu’entretiennent la réussite d’un projet avec la défense des droits humains et l'existence d'un financement adéquat", explique René. "L’intérêt majeur de cette conférence reste la rencontre de mondes différents, parfois opposés : pays riches et pays qui le sont moins,  militants associatifs et politiques, etc. Ces contrastes permettent à tous d’avoir en permanence en tête les faces multiples du VIH à travers le monde et de limiter (hélas limiter seulement…) l’oubli des plus démunis au bord du chemin, avance Fabien. Et puisque l’espoir naît aussi des avancées scientifiques, cette conférence laisse également une place importante aux dernières données en matière de recherche clinique sur le VIH".

Des espoirs
"C'est sans conteste, l’annonce de la possible éradication du VIH dans un avenir proche, indique Nicolas. Mais pour cela, il faut agir vite et investir. Ce message s'adressait aux membres du G8 qui, pour la première fois, fuyaient leurs responsabilités dans le financement notamment du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, mais aussi aux décideurs locaux et régionaux, comme cela est le cas à l'Est et en particulier en Russie". "L’une des meilleures nouvelles – qui ne furent tout de même pas nombreuses – est sans nul doute le résultat de l’essai CAPRISA  montrant pour la première fois l’efficacité – certes partielle – d’un gel microbicide. Je me souviens qu’à la conférence sur le sida de Barcelone en 2002, l’un des messages était : "Rendez-vous dans deux ans avec des microbicides efficaces". Résultat, tous les produits alors en phase d’expérimentation avaient dû être abandonnés. Avec les résultats de CAPRISA, nous n’avons jamais été aussi proches d’avoir un nouvel outil de prévention totalement maîtrisable par les femmes, même si un chemin important reste à parcourir avant une éventuelle mise sur le marché", explique Christian. Pour Franck, l'espoir vient plutôt du "frémissement qui, je le crois, va devenir un bouillonnement –il le faut ! – sur les réservoirs du VIH, l’activation des T4 et l’inflammation. Nous sommes là au cœur de la maladie à VIH. Ce qui permet au virus de continuer à se balader dans le corps, malgré une charge virale indétectable et des T4 qui montent. Ce qui ne permet pas aux traitements actuels de vraiment récupérer les dégâts qui s’accumulent avec le temps. Et peut-être espérer un jour pouvoir guérir de l’infection. Ce n’est pas pour demain, mais c’est un horizon qui  permettra d’unir les forces de la recherche et de réduire les complications que le VIH génère." "Malheureusement, je dois dire, qu’en rien, je n’ai senti poindre l’espoir en moi. Même les données de la recherche CAPRISA n’ont rien fait de plus que de me dire : "attendons la suite", estime René. Je vois plus cette édition comme un continuum où tout avance à petits pas, très lents, mais cela avance tout de même. Cependant, je dois dire que les résultats positifs du travail accompli à travers les projets financés par le Fonds mondial m’ont fait dire que lorsque l’argent et les forces sont au rendez-vous, il est possible d’y arriver et de diminuer l’impact du sida dans le monde. Ce qui, à mon avis, est un argument de poids pour négocier avec les Etats donateurs et un élément de plus dans nos revendications."

"Au niveau français, ce qui m'a semblé fort ce sont les propos de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, ouvrant enfin concrètement la porte au monde associatif pour la mise en place de structures de dépistage anonyme et gratuit, avance Fabien. Le nouveau Rapport d’experts français, présenté à Vienne, est clair sur ce point : les traitements anti-VIH constituent un outil majeur pour limiter la transmission du virus, que l’on continue de voir flamber, dans le milieu gay notamment. Or comment être pris en charge quand on ne se sait même pas séropositif ? Le dépistage est donc un maillon clef de cette épidémie, tant pour sauver les individus touchés (rappelons qu’une grande partie des décès du fait du sida en France est liée à une prise en charge trop tardive…) que pour en limiter la propagation."



Des échecs
"Pour moi, un des échecs, c'est l’absence de politiques actuellement aux manettes pesant suffisamment pour aborder de front la question de l’accès universel aux traitements, mais aussi aux soins et au respect, notamment pour l’Afrique et les pays de l’Est. Il y a aussi le peu de place faite à la co-infection avec une hépatite", explique Franck. Pour René, la conférence n'a pas suffisamment parlé des gays. "Outre un meeting la veille du début de la conférence, il y a eu peu de sessions orales ou de plénières sur le VIH dans la communauté gaie. Si l’on veut faire une différence dans cette communauté et diminuer l’incidence du VIH, il est, à mon avis, primordial d’allouer plus de temps de présentations et d’échanges sur ce sujet. Et je regrette également que, malgré les appels répétés auprès des chefs d’Etats tout au long de la conférence, le Fonds mondial n’obtienne pas la somme qu’il juge nécessaire afin de continuer cette lutte."  "Je ne parlerais pas d’échec, mais de regret. Partout les conférenciers parlaient du traitement VIH comment le meilleur outil de prévention, mais aucune expérience à large échelle ne se dessine sérieusement sur ce point. Cela semble encore trop tôt. Du discours, mais pas encore d’action", estime Nicolas. "On a coutume de dire que les traitements sont au Nord alors que les malades sont au Sud ; la conférence était au Nord et les malades du Sud étaient très peu présents, note Christian. Difficulté d’obtenir des visas, coût de la conférence… autant de raisons qui ont considérablement pesé sur la composition de l’assemblée des congressistes. Ensuite, les déclarations du gouvernement autrichien sur leur refus de financer la lutte contre le sida à l’international pouvaient apparaître comme une provocation. A partir du moment où ils ont pu faire ces déclarations sans être vraiment inquiétés, cela a forcément pesé sur la capacité de la conférence à peser politiquement. La conférence devait permettre de mettre en lumière la situation catastrophique de la Russie, de ce point de vue-là, c’est réellement un échec."

Illustrations : Yul Studio