Politique des drogues : 70, année dépassée !

Publié par jfl-seronet le 02.07.2012
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loi 70drogue
"Punir… ou protéger les usagers de drogues ?" Tel était le sujet du débat citoyen organisé le 30 mai dernier à Bordeaux par les militants de AIDES. Une façon, toute politique, de poser la question de la révision de la loi de 70. L’association estime que c’est un enjeu majeur de santé publique. Ce soir-là, des candidats aux législatives ont fait part publiquement de leurs visions de la politique à conduire en matière de drogues. Seronet était là. Reportage.
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"Surveiller et punir" s’interrogeait Michel Foucault en 1975 dans un de ses ouvrages phare. Le philosophe proposait une réflexion majeure sur l’histoire du châtiment, mettant en avant un changement historique dans le mode d’exercice du pouvoir. Punir, il en est aussi question dans le choix du sujet du débat citoyen proposé par AIDES le 30 mai 2012 sur la loi de 70. Son titre : "Punir… ou protéger les usagers de drogues ?" Pas de symétrie complète avec celui de l’ouvrage du philosophe, mais un évident parallélisme puisque derrière la loi de 70 et sa remise en cause aujourd’hui, se pose la question de savoir si le pouvoir disciplinaire a un quelconque intérêt en matière de santé. Cette question, AIDES se la pose… et entend la poser lors de débats citoyens comme il y en a eu en Avignon, à Rennes ou Grenoble et comme il y en aura dans d’autres villes. Le 30 mai, c’est à Bordeaux, dans la très belle salle de la Manufacture Atlantique, un des théâtres de la ville, devant un parterre d’une soixantaine de personnes, que le débat s’est organisé en présence de personnalités politiques locales, dont deux ont d’ailleurs été élues depuis : Noël Mamère d’Europe Ecologie Les Verts et Vincent Feltesse (PS) suppléant de Michèle Delaunay qui conserve son maroquin ministériel.
 
Une question politique
"Si AIDES est en première ligne pour accompagner les usagers de drogues dans leurs démarches de réduction des risques, notre travail est freiné par le retard pris en France dans la mise en place de programmes innovants", explique Anthony Brouard, directeur de AIDES Sud Ouest, en ouverture du débat à la Manufacture Atlantique. "La cause est connue : la loi de 70 qui oriente les politiques publiques dans la voie de la répression. Cette question posée aujourd’hui : "Punir… ou protéger les usagers de drogues ?" est une question politique. L’abrogation de la loi de 70 est d’ailleurs d’une des 10 mesures défendues par AIDES pour en finir avec l’épidémie de sida. Atteindre cet objectif est une question de volonté politique, de moyens financiers. La question politique passe notamment par l’abrogation des mesures ou lois qui stigmatisent des personnes déjà fragilisées. La loi de 70 en fait partie. Voilà pourquoi nous proposons ce débat".
 
Un peu d’histoires !
Ce débat sur les drogues n’est pas nouveau dans l’association et son engagement sur cette question de santé non plus. "Il y a eu dans les années 80, la distribution des seringues stériles. Puis, naturellement, la mobilisation, à AIDES, des consommateurs nous a amenés à développer des programmes d’échanges de seringues", rappelle Patrick Grégory, président de la région AIDES Sud Ouest. "Nous avions mis en place des journées de réflexion dans AIDES qui regroupaient les militants de la lutte contre le sida, mais aussi les personnes consommatrices de produits. Nous les avions appelées les journées de Nîmes où elles s’étaient déroulées, mais pas seulement puisqu’il y en avait eu également à Marseille, Toulouse, etc. Durant plusieurs années nous avons organisé ces journées. C’est dans ce cadre-là que nous avons posé les piliers du concept que nous appelons aujourd’hui réduction des risques. Et c’est avec ce concept-là que, très tôt, nous avons eu l’idée d’obtenir la mise en place de programmes de substitution. Aujourd’hui, nous avons les Caarud [centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour des usagers de drogues, ndlr]. Nous en gérons une trentaine sur le territoire. Et si nous avons effectivement stabilisé l’épidémie à VIH chez les consommateurs de drogues, il ne va pas de même pour l’épidémie à VHC qui continue de flamber". C’est une des clefs de la mobilisation de l’association, mais pas l’unique.
 
La répression a ses limites !
La répression est aussi dans le collimateur des militants. "En octobre 2010, nous avons organisé des rencontres pour les personnes vivant avec l’hépatite C (1). 170 personnes concernées ont travaillé pendant plusieurs jours à des recommandations. Ce qu’elles nous ont notamment appris, c’est que le climat d’oppression qui entoure la personne usagère de drogues n’est en aucun cas propice pour faciliter l’accès aux soins", rappelle Patrick Grégory. "Aujourd’hui, nous souhaitons que la loi de 70 soit abrogée. Il nous faut sortir du champ de la répression et revenir sur la pénalisation de l’usage de drogues pour faciliter l’accès à la prévention et aux soins". Un exemple de ce que produit la loi ? "Nous expérimentons des programmes d’accompagnement à l’éducation aux risques liés à l’injection (2). Ces programmes permettent à chaque consommateur de s’approprier sa propre stratégie de réduction des risques. Pour ce faire les consommateurs sont invités à venir dans les locaux de AIDES, les Caarud notamment, avec le produit qu’ils utilisent habituellement. Le problème, c’est que pour une action qui vise à réduire les dommages liés à l’injection si les personnes sont arrêtées en cours de route, interpellées… elles risquent des ennuis parce qu’elles en détiennent alors même qu’elles sont dans un programme de santé qui visent à réduire les dommages. Voici un exemple parmi d’autres qui illustre l’aberration que constitue la loi de 70".

La science que la raison ignore !
Du côté des invités politiques, on écoute attentivement. On prend même des notes. C’est une autre façon de poser le débat que lance Christian Andréo, directeur des Actions nationales et de la Communication de AIDES… avec deux arguments. "Nous voyons que la raison, l’évidence scientifique n’arrivent pas à prendre le pas sur l’idéologie, l’opinion… Dans le cadre de la politique des drogues, cette situation est plus particulièrement marquée", note Christian Andréo. "Le positionnement de AIDES, c’est de plaider pour une politique raisonnée qui se fonde sur l’évidence scientifique, sur des programmes évalués, sur ce qui marche et pas sur de l’idéologie. L’efficacité de la criminalisation voire de la prohibition de l’usage de drogues est une intuition… on suppose que cela marche, mais ce n’est pas démontré scientifiquement. On a même des exemples qui nous prouvent les limites voire les échecs des approches prohibitionnistes. Et pourtant, on continue avec la loi de 70 qui a plus de 40 ans, comme si de rien n’était en dépit de ces mauvais résultats".
 
En avons-nous pour notre argent ?
La question surprend. C’est pourtant cela le second argument qu’avance Christian Andréo. "A l’heure où l’on parle beaucoup de dépenses publiques, de la nécessité de bien employer les financements payés par les contribuables, il semble important de mettre ce sujet sur la place publique", lance-t-il. Pour lui, il est important de voir "dans quelle mesure l’argent du contribuable est, avec cette loi et ses conséquences, bien employé ou pas ? La question mérite bien d’être posée lorsqu’on sait qu’aujourd’hui quand un euro est mis sur la prévention neuf euros sont versés pour financer la répression… avec le résultat et le coût social qu’on connaît", tacle-t-il. "Nous avons relancé notre réflexion sur cette question à la suite de deux événements qui nous ont marqués", indique le directeur des Actions nationales et de la Communication de AIDES. "Le premier, c’est la ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, qui avait décidé d’avancer sur les dispositifs innovants comme les programmes d’échanges de seringues en prison et les salles d’injection supervisée. Elle avait demandé une expertise à l’Inserm (3) avec un état des connaissances scientifiques sur ces programmes innovants et notamment leur évaluation. Les experts ont travaillé sous l’autorité de la ministre. Ils ont rendu un rapport favorable en tous points à ces dispositifs et à leur expérimentation en France. Résultat, le Premier ministre François Fillon balaie cela d’un revers de la main sur les bons conseils du président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie de l’époque [Etienne Apaire, ndlr] en disant que cela n’est "ni utile, ni souhaitable". Fermez le ban !"

Ça bouge à l’international
Le second événement qui compte selon Christian Andréo, "c’est la nette évolution du contexte international avec le lancement de la déclaration de Vienne (4) qui plaide pour une politique raisonnée en matière de drogues et la fin des approches idéologiques. Il faut bien comprendre que nous sommes aujourd’hui à un tournant". Ce tournant, le Parti Socialiste l’a amorcé… mais pas pris complètement. "Dans le programme du Parti socialiste, il y a des avancées concernant les programmes d’échanges de seringues en prison ou les salles d’injection supervisée", note Christian Andréo. Nous voulons aller plus loin en disant très clairement que la loi de 70 nous empêche de travailler. AIDES distribue aujourd’hui par an 1,4 millions de seringues. Dans ces pompes, ce n’est pas de l’eau minérale, ni du Chanel N°5 qui y est mis par les utilisateurs… c’est de la drogue ! Le quotidien des acteurs de AIDES consiste notamment à donner des seringues à des personnes et à ne pas pouvoir, du fait de la loi de 70, travailler et discuter avec elles autour du produit et des risques ; tout en sachant que les personnes vont aller s’injecter entre deux bagnoles dans des conditions sanitaires pas possibles… Et ça, à cinq minutes de nos locaux ! C’est cela que nous refusons". Un autre exemple ? "Pourquoi n’y a-t-il pas de programmes d’échanges de seringues en prison ? Parce que le discours officiel se borne à répéter en boucle : "Il n’y a pas de drogues en prison !" Et pourtant la moitié de la population carcérale est concernée par l’usage de drogues. Un peu comme s’il y avait un mirage du sevrage instantané du seul fait de rentrer en prison. Nous voulons que tout cela bouge, que ces politiques soient réellement réinterrogées et que ce débat, surtout, ne soit pas confisqué de l’espace public".
 
MILDT : dépôt de bilan !
Le débat public, cela n’effraie pas Noël Mamère, député-maire de Bègles, un des invités vedette du débat citoyen. Il faut dire que son parti Europe Ecologie les Verts est le plus progressiste sur la question des drogues (5). Du coup, il a la partie belle pour dénoncer le passif de la MILDT. "La politique de la MILDT a lourdement insisté sur le côté répressif avec des prises de position quasiment théologiques sur le  fait qu’on ne changera jamais la loi de 70 ; que la drogue, c’est l’enfer ; que la drogue, c’est le diable ! Je rappelle que les principales victimes de la loi de 70 ce sont les usagers pas les trafiquants. 90 % des détentions pour drogues concernent des usagers. 9 % des détentions concernent des trafiquants", explique Noël Mamère." Nous sommes, en France, dans une des situations parmi les plus lamentables en Europe en matière de criminalisation de l’usage des produits dits illicites. J’espère qu’à l’Assemblée Nationale nous arriverons à convaincre le gouvernement qu’il faut absolument en finir avec cette loi de 70 et entrer dans une politique de prévention des risques et non pas de pénalisation". Mais qu’en pensent les autres invités politiques de ce débat citoyen ?

A suivre...

Ce reportage a été réalisé lors du débat citoyen organisé par AIDES le 30 mai dernier à Bordeaux. Tous nos remerciements aux militants de AIDES en Gironde pour avoir permis la réalisation de ce dossier.
 
(1) Les rencontres nationales "Mieux vivre avec une hépatite C" à Dourdan en octobre 2010 organisées par AIDES et SOS hépatites.
(2) Il s’agit de la recherche AERLI (Accompagnement et éducation aux risques liés à l’injection) conduite par AIDES et Médecins du Monde en partenariat avec l’Inserm et financée par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales.
(3) Réduction des risques chez les usagers de drogues - Une Expertise collective de l’Inserm, juillet 2010.
(4) Déclaration de Vienne, juillet 2010.

(5) Pour comprendre la position d’Europe Ecologie Les Verts sur les drogues, Noël Mamère conseille de se référer à une tribune d’Anne Souyris et Marine Tondelier : "Drogues : mettons fin à 40 ans d'hypocrisie !", publiée en décembre 2010 dans "Le Monde".

Commentaires

Portrait de Didier-Torcy77

Chacun fait ce qui lui plait