Politique internationale des drogues : faire le pari de la santé ?

Publié par jfl-seronet le 15.04.2016
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Politiquedrogues

L’Assemblée générale de l’Onu (Ungass) va se réunir du 19 au 21 avril 2016 pour une session extraordinaire sur le problème mondial des drogues (1). Cette réunion est préparée de longue date. Les négociations préparatoires à cet événement se sont achevées à Vienne en mars 2016. De nombreuses associations dont celles réunies au sein d’une plateforme internationale de la société civile française y ont contribué. Voici ce qu’elles en disent.

Les négociations préparatoires ont largement porté sur l’interprétation des conventions internationales encadrant la politique des drogues, et sur leur adéquation aux problématiques des pays membres — narcotrafic, surpopulations carcérales, décès, accès aux traitements, développement, etc.

Lors de ces travaux, l’enjeu principal a été de faire reconnaître la santé à la même place que la sanction, dans une approche équilibrée qui permette une interprétation plus souple des conventions, expliquent plusieurs associations (1) réunies au sein d’une plateforme internationale de la société civile française dans un communiqué commun. Dans cette approche équilibrée, la réduction des risques (harm reduction) a joué un rôle décisif pour aller au-delà de l’opposition entre santé et répression ou malade et délinquant, pour promouvoir une vision pragmatique du phénomène des drogues. La stratégie des pays qui soutiennent cette approche (dont la France) et de l'Union Européenne a consisté à mettre en avant le soin — au sens de care et non seulement de cure — dans le texte final adopté à l’Ungass.

Le texte a fait l’objet de longues journées de débats entre les différentes délégations officielles. Désormais achevé, il sera adopté à New York dans quinze jours. Dans son communiqué, la société civile française (2) salue les "éléments positifs issus des négociations. Ils marquent une avancée certaine par rapport à l’Ungass 1998, qui s’était conclu sur l’improbable slogan Un monde sans drogue, nous pouvons le faire !". Quels sont-ils ?

La plateforme se félicite de plusieurs avancées : "Le [texte] inclut pour la première fois un chapitre entier consacré à la santé" ; "il inclut les principales mesures sanitaires de réduction des risques (matériel d’injection, traitements médicaux, Naloxone, y compris en prison)" ; "il met en avant la nécessité de prendre en compte les spécificités de genre d’âge et de culture des comportements d’usage et des risques qui y sont liés" ; "il mentionne les possibilités d’alternatives à l’incarcération et la proportionnalité des peines". La plateforme n’a cependant pas que des motifs de satisfaction. Ainsi, pour elle, le document reste "insuffisant en l’état pour pouvoir réinterpréter les conventions sous un nouveau jour". Ce qui est indispensable au vu des résultats actuels. "Le document ne revient pas sur l’interdiction de la peine de mort, encore mise en œuvre pour les délits et crimes liés aux drogues dans un trop grand nombre de pays", note la plateforme. "Les gouvernements font encore trop primer les conventions internationales, qu’ils ne remettent pas en question. Malgré leurs insuffisances attestées, les conventions sont confirmées comme la seule "pierre angulaire" de la politique mondiale en la matière ; la mention "en cohérence avec la législation internationale" revient plus de vingt-cinq fois dans le document".

Comme toujours, le texte est le résultat d’un consensus et d’un savant équilibre entre progressistes et conservateurs. Ainsi, si le texte en détaille les mesures, il ne nomme pas expressément le terme "harm reduction", encore trop polémique pour de nombreux Etats membres comme la Russie et la Chine, ce que regrette la plateforme. Par ailleurs, la "dépénalisation de l'usage n’est pas mentionnée. Elle paraît pourtant nécessaire à la cohérence d'une politique des drogues équilibrée".

Enfin, malgré une volonté marquée par certaines délégations officielles de travailler conjointement avec les organisations non gouvernementales, les "débats préparatoires à l’Ungass ont été menés dans l’opacité". "Nous regrettons, comme plus de 200 associations du monde entier, le manque d’inclusion de la société civile dans ces travaux, tout comme le refus de mener une évaluation objective de l’application des conventions pour 2019" expliquent les associations membres de la plateforme internationale de la société civile française. "En se passant de l’expertise des acteurs de terrain, des consommateurs de produits psychoactifs et des chercheurs, il est à craindre que cette session de l’Assemblée générale onusienne perde largement en acuité pour mener une politique efficace en matière de drogues (…) Nous ne voulons pas manquer l’occasion en 2019 de promouvoir un changement de paradigme pour sortir d’une guerre aux drogues dévastatrice, comme le réclament les pays à l’initiative de cette Ungass", concluent-elles.

(1) : AIDES, Chanvre et Libertés, le Circ, la Fédération addiction, Médecins du Monde, Principes actifs, Psychoactif, Safe, SOS hépatites, IDPC.
(2) : Cette session vise à préparer la révision du plan mondial de lutte contre les drogues en 2019.