Premier cas de rémission prolongée chez une enfant vivant avec le VIH

Publié par jfl-seronet le 18.08.2015
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Une jeune femme aujourd’hui âgée de 18 ans et demi, infectée par le VIH dès sa naissance (pendant la grossesse ou à l'accouchement), est en rémission virologique alors qu’elle ne prend plus de traitement antirétroviral depuis douze ans. L’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a publié (20 juillet) un communiqué à ce propos, d’autant que ce "premier cas mondial de rémission aussi prolongée chez un enfant" a été présenté en communication orale par le Dr Asier Sáez-Cirión (laboratoire HIV, inflammation et persistance, Institut Pasteur, Paris) à la conférence IAS de Vancouver. Explications.

Suivie dans le cadre de la cohorte pédiatrique française de l’ANRS, cette jeune femme a vraisemblablement bénéficié du traitement initié peu après sa naissance, poursuivi environ six ans, puis stoppé. Son cas suggère qu’une rémission prolongée après un traitement précoce peut être obtenue chez un enfant infecté par le VIH depuis la naissance, comme cela a déjà été démontré chez les adultes de l'étude ANRS Visconti.

Ce premier cas mondial de rémission aussi prolongée chez un enfant a été présenté par le Dr Asier Sáez-Cirión (laboratoire HIV, inflammation et persistance, Institut Pasteur, Paris). Ce travail, soutenu par l'ANRS, a été mené par des équipes de l'Institut Pasteur, de l'Inserm et de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP).

"Un travail français apporte, pour la première fois, la démonstration qu’une rémission prolongée de l’infection par le VIH peut être obtenue chez un enfant infecté lors de la période périnatale après arrêt d'un traitement antirétroviral instauré au cours des premiers mois de la vie", indique le communiqué de l’ANRS. Cette observation concerne une enfant née en 1996 et suivie dans le cadre de la cohorte pédiatrique française ANRS EPF CO10. Elle a été infectée en fin de grossesse ou à l’accouchement alors que sa mère avait une charge virale non contrôlée. Mise sous traitement prophylactique par zidovudine (Retrovir) pendant six semaines, cette enfant s’est, malgré le traitement, révélée infectée par le VIH un mois après sa naissance. Deux mois plus tard, et suite à l’arrêt programmé du traitement prophylactique, elle présentait une charge virale très élevée, conduisant à la mise en route d’un traitement associant quatre antirétroviraux (quadrithérapie). Ce traitement a été poursuivi jusqu’à ce que l’enfant ait presque six ans. Elle a alors été perdue de vue et sa famille a décidé d’interrompre la prise des antirétroviraux. Revue un an plus tard par son équipe médicale, elle avait une charge virale indétectable (inférieure à 50 copies/ml). Ses médecins ont dès lors décidé de ne pas reprendre le traitement. Douze ans plus tard, devenue une jeune femme de 18 ans et demi, elle présente toujours une charge virale indétectable, avec un seuil de détection particulièrement bas (inférieur à 4 copies/ml), sans avoir jamais repris d’antirétroviraux. Son nombre de CD4 est resté stable tout au long de ces années.

"Cette enfant ne présente aucun des facteurs génétiques connus pour être associés à un contrôle naturel de l’infection", a précisé le Dr Asier Sáez-Cirión. Selon toute vraisemblance, c’est le fait d’avoir reçu très tôt après sa contamination une combinaison d’antirétroviraux qui lui permet d’être en rémission virologique depuis aussi longtemps". D’un point de vue clinique, immunologique et virologique, ce cas est similaire à celui de personnes vivant avec le VIH adultes faisant partie de l’étude ANRS Visconti. Ces personnes après trois ans en médiane de traitement antirétroviral démarré dès la phase de primo-infection (c’est-à-dire pendant les premiers mois qui suivent la contamination), présentent un contrôle virologique et immunologique de leur infection depuis 10 ans en médiane, sans avoir repris d’antirétroviraux. Débutés très tôt, les antirétroviraux permettraient de limiter la constitution des "réservoirs" du virus qui se fait dans les tous premiers temps de l’infection et de préserver les défenses immunitaires.

"Avec ce premier cas très documenté de cette jeune femme, nous apportons la preuve du concept qu’une rémission à long-terme est, comme chez l’adulte, possible chez l’enfant, explique le Dr Sáez-Cirión. Cependant ces cas sont encore très rares. Un cas voisin d’un nourrisson infecté par le VIH traité précocement avait été décrit aux Etats-Unis (le bébé du Mississippi), mais la rémission n’avait été que de 27 mois après l’arrêt du traitement anti-VIH. L’arrêt du traitement antirétroviral n’est donc pas recommandé, chez l’adulte comme chez l’enfant, en dehors d’essais cliniques".

"L’observation de cette rémission très prolongée chez une enfant née séropositive est un fait clinique majeur qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche, indique de son côté le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l’ANRS. Cette rémission ne doit toutefois pas être assimilée à une guérison. Cette jeune femme reste infectée par le VIH et il est impossible de prédire l’évolution de son état de santé. Son cas constitue néanmoins un argument fort supplémentaire en faveur d’une mise sous traitement antirétroviral de tous les enfants nés de mères séropositives le plus tôt possible après la naissance".

Rémission : l’avis du Professeur Jean-Daniel Lelièvre
On a bien compris le message : rémission ne veut pas dire guérison. Il n’en reste pas moins que ce premier cas mondial soulève de nombreux espoirs et l’intérêt des médecins et chercheurs. "L’Express" a interviewé (21 juillet) le Professeur Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d'immunologie clinique du CHU Henri Mondor et du Département de recherche clinique du Vaccine Research Institute. Interrogé par l’hebdomadaire, le Pr Lelièvre a rappelé qu’on sait "d'ores et déjà que 10 % des primo-infectants contrôlent spontanément la maladie après l'arrêt du traitement lorsqu'il a été pris très tôt et suffisamment longtemps (…) Sans que l'on sache encore exactement pourquoi, le virus ne va pas se répliquer chez eux". Autre situation : les personnes dites "contrôleurs élites". Sans être traitées, ces dernières vont contrôler la réplication du virus. "C'est très rare. Environ 0,5 % des personnes infectées sont concernées", indique Jean-Daniel Lelièvre. On sait désormais que c’est possible chez l’enfant. "Quelles perspectives ouvre cette rémission ?", demande le journal. "Ces résultats vont dans le sens d'un traitement très précoce de la maladie", note le médecin. "Le système immunitaire de cette jeune Française va être étudié. On va chercher à trouver d'autres cas similaires, et il y en aura. La constitution d'une cohorte de jeunes sujets du même type va permettre de comprendre un peu mieux ces mécanismes", conclut-il.