Prep en France : la chute après l’ascension

Publié par Fred Lebreton le 04.12.2020
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SexualitéPrEP

Les chiffres de la Prep en France pour l’année 2020 étaient très attendus. Ils ont été révélés le 1er, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) à travers son enquête Epi-Phare (1). Les résultats actualisés montrent que le nombre total de personnes de 15 ans et plus ayant initié un traitement Prep en France atteignait plus de 32 000 au 30 juin 2020.

Nette hausse

Les derniers chiffres sur la Prep en France remontaient à décembre 2019, annonçant 20 478 personnes ayant initié un traitement Prep en France au 30 juin 2019, soit une augmentation de 47 % comparé à juin 2018. Avec 32 000 personnes au 30 juin 2020, c’est une augmentation de 57 % qui est constatée. (2) « Les nouvelles données montrent que la dynamique d’augmentation d’utilisation de la Prep rapportée en 2018-2019 s’est poursuivie et intensifiée jusqu’au début de l’année 2020 avec près de 9 000 nouveaux-elles utilisateurs-rice sur la période de début juillet 2019 à fin février 2020 », indique l’ANSM. Cependant, l’accès à la Prep reste concentré sur une région : l’Île-de-France (41 % des utilisateurs-rices) et en particulier Paris (25 %) et en très grande majorité sur un seul public, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) qui représentent 97 % des personnes usagères.

Jusqu’à la chute !

« Les initiations de Prep se sont toutefois effondrées aux mois de mars, avril et mai 2020 pendant la période du confinement national (…) avec une chute atteignant 50 à 80 % par rapport aux mois de janvier et février 2020 », s’alarme l’ANSM. L’agence sanitaire précise que les initiations de Prep ont repris après la fin du premier confinement sans reprendre la dynamique pré Covid-19. Par ailleurs l’ANSM précise que la grande majorité des usagers-ères de Prep (80 à 90 %) renouvellent leur traitement d’un semestre à l’autre, suggérant un bon niveau de maintien de la Prep. Toutefois, au premier semestre 2020, le taux de maintien de la Prep était en baisse par rapport à la période 2017-2019.

Sortir de l’hôpital !

Donnée intéressante, l’ANSM annonce que les prescriptions de Prep (en initiation et en renouvellement) par des prescripteurs exerçant en dehors de l’hôpital a nettement augmenté au cours de la dernière année. De quoi encourager le déploiement de la primo prescription par les médecins généralistes en ville, dont le décret d’application aurait dû être signé en mars, mais qui a été retardé à cause de la Covid-19.

Jusqu’à aujourd’hui le seul moyen d’initier un traitement Prep était de prendre rendez-vous avec un médecin qui exerce soit dans un Cegidd (centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles), soit à l’hôpital dans un Smit (service des maladies infectieuses et tropicales). Cette limitation constituait un réel frein pour de nombreuses personnes en fonction des horaires, de la distance et des services souvent saturés. Le médecin traitant ne pouvait que renouveler l'ordonnance et pas effectuer la prescription initiale (primo prescription). « Ces modalités de prescription doivent donc évoluer pour que tous les médecins, en ville comme à l’hôpital, puissent prescrire et initier la Prep. C’est l’assurance d’un maillage territorial efficace, d’une plus grande diffusion auprès des professionnels-les de santé d’une approche en santé sexuelle globale », a indiqué le ministre de la Santé dans un communiqué publié le 1er décembre. « Pour cela, le Conseil d’État a été saisi d’un projet de décret permettant la primo-prescription de la Prep par les médecins de ville, et qui devrait la rendre effective dès le début d’année 2021 ».

Une bonne nouvelle donc qui doit aussi s’accompagner d’une formation des médecins généralistes à la Prep, un outil pas si nouveau (accessible et remboursé en France depuis janvier 2016) mais encore trop peu connu, que ce soit par la population générale et aussi certains-es professionnels-les de santé. En ce sens, la SFLS (Société française de lutte contre le sida) a conçu une plateforme de e-learning qui accompagnera la formation des médecins de ville à la Prep. « C’est un travail multidisciplinaire avec plusieurs sociétés savantes et des acteurs communautaires », annonçait le Dr Pascal Pugliese, le président de la SFLS, en octobre dernier, lors de son congrès.

Renforcer le dépistage des IST

Autre mesure annoncée ce premier décembre par le ministère de la Santé : diversifier et renforcer l’accès pour tous-tes au dépistage en élargissant ces compétences à de nouveaux professionnels-les de santé. « Connaître son statut sérologique doit rester l’objectif majeur de notre politique de santé publique. Chacune et chacun d’entre nous doit prendre conscience que se faire dépister, c’est aussi accéder au traitement le plus précocement possible, c’est gagner du temps, c’est préserver sa santé et celle des autres, c’est vivre pleinement sa vie sexuelle et affective », indique Olivier Véran. Pour cela, l’accès au dépistage des IST sera renforcé en permettant aux infirmiers-ères et aux sages-femmes de pouvoir les prescrire dans le cadre d’un protocole de coopération avec les médecins. Cette évolution va être déployée dès qu’ils seront validés par la Haute autorité de santé (HAS), au premier semestre 2021.

Développer les centres de santé sexuelle

Dans son communiqué, le ministre de la Santé annonce également l’expérimentation de centres de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAC) dans quatre villes : le Kiosque Info Sida Toxicomanie à Paris, le Griffon à Lyon, le Spot Longchamp à Marseille et le Spot de Montpellier, en cours d’ouverture. Il précise que ces centres vont proposer de nouveaux modes d’organisations, inspirés de la réussite du modèle anglo-saxon. « La nouveauté de cette approche consiste à offrir des parcours fondés sur le principe du « Tester et Traiter », c’est-à-dire un dépistage et un traitement si nécessaire, dans un seul lieu et dans un temps court. ».

Le modèle du « Tester et Traiter » (« Test and Treat »), dont Olivier Véran fait référence dans son communiqué, vient effectivement de la clinique Dean Street (3) à Londres, mais ce que le ministre présente comme une innovation existe déjà en France depuis plus de dix ans au 190 (4) et au Checkpoint Paris (5). Depuis longtemps, les acteurs-rices de santé demandaient un développement des centres de santé communautaire avec une approche globale et multi disciplinaire de la santé sexuelle. C’est une bonne chose que le ministère de la Santé soutienne ce développement, même si c’est encore insuffisant, compte tenu des besoins. Chaque grande ville de France devrait pouvoir proposer ce genre d’offre accessible à tous-tes.

 

(1) : Depuis 2017, Epi-Phare, groupement d’intérêt scientifique associant l’ANSM et la CPAM, réalise le suivi annuel de l’évolution de l’utilisation de la Prep en France à partir des données du Système national des données de santé (SNDS).
(2) : Le nombre total de personnes de 15 ans et plus ayant initié un traitement Prep en France atteignait plus de 32 000 au 30 juin 2020. C’est une augmentation de 57 % par rapport au 30 juin 2019. Source ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), novembre 2020.
(3) : La clinique 56 Dean Street est la plus grande clinique de santé sexuelle de Londres et probablement la plus grande clinique VIH en Europe.
(4) : Le 190 est le premier centre de santé sexuelle communautaire (LGBT) à avoir ouvert ses portes à Paris en 2010. Le centre est aussi un Cegidd depuis 2016 et propose à la fois des dépistages VIH/IST et des suivis VIH, Prep, psy et addictologie.
(5) : Ouvert depuis 2010, le Checkpoint Paris propose du dépistage VIH, IST et un suivi Prep