Prep en France : où en est-on ?

Publié par Fred Lebreton le 15.06.2022
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SexualitéPrEP

Les 7 et 8 juin derniers avaient lieu les Journées thématiques 2022 - IST, Prep, santé sexuelle, organisées par la SFLS (Société française de lutte contre le sida), la SPILF (Société de pathologie infectieuse de langue française), et Santé publique France. L’occasion de faire le point sur l’accès à la Prep en France. Six ans après son autorisation, où en est-on ? Quels sont les freins à son déploiement et les stratégies pour toucher les personnes les plus exposées au VIH ?

Qui prend la Prep ?

Au 30 juin 2021, le nombre total de personnes de 15 ans et plus ayant initié un traitement Prep en France a atteint 42 159, soit une hausse de 42 % par rapport au chiffre de fin juin 2020, alors que l’augmentation du nombre des initiations entre juin 2018 et juin 2019 avait été deux fois plus forte (+83 %). Ce nombre ne tient pas compte des personnes qui ont arrêté la Prep entre temps. Ces données sont issues de l’enquête Epi-Phare de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament). Les données au 30 juin 2022 seront communiquées le 1er décembre 2022.

En attendant cette actualisation, Annie Velter, socio-démographe chez Santé publique France a présenté les résultats du dernier volet de l’enquête Santé-Sexualité-Prévention « Rapport au sexe » (Eras) à destination des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). L’édition 2021 s’est déroulée du 26 février au 9 avril 2021 sur un site internet dédié. Les conditions pour participer à cette enquête : être un homme âgé de 18 ans et plus qui a des rapports sexuels avec des hommes. Le questionnaire auto administré demandait (entre autres) : « Lors de votre dernier rapport sexuel, quel outil de protection avez-vous utilisé (préservatif, Tasp, Prep, aucun) ? »

Au total, 18 474 personnes ont répondu en 2021, dont 15 506 qui se définissaient comme HSH, 14 475 qui ont déclaré un statut sérologique séronégatif et 3 866 qui déclaraient une pratique anale lors du dernier rapport sexuel. Sur ces 3 866 personnes, 966 étaient prépeurs et 2 900 non-prépeurs. Parmi les caractères sociodémographiques des 966 prépeurs, l’âge médian était de 37 ans ; 9 % déclaraient être nés à l’étranger ; 81 % déclaraient un niveau d’étude supérieur au bac et 56 % vivaient dans de grandes villes (plus de 100 000 habitants-es) dont 44 % en Île-de-France. Le profil de ces prépeurs était donc des hommes gays ou bisexuels plutôt urbains et qui déclaraient à 62 % une situation financière confortable.

Au niveau de la sexualité, 90 % des prépeurs s’identifiaient comme appartenant à la communauté gay (contre 71 % pour les non-prépeurs) ; 99 % utilisaient des applis de rencontres gays, 83 % fréquentaient des lieux de convivialités sexuelles entre hommes de type saunas ou backrooms ; 29 % étaient dans une relation stable avec un homme et 20 % avait pratiqué du chemsex lors de leur dernier rapport sexuel (contre 4 % pour les non-prépeurs). Le nombre moyen de partenaires sexuels dans les six derniers mois était de dix pour les prépeurs (contre trois pour les non-prépeurs) et le nombre moyen de dépistages VIH dans les douze derniers mois était de quatre (contre deux pour les non-prépeurs). Enfin 25,2 % déclaraient avoir utilisé la Prep lors du dernier rapport sexuel anal avec un partenaire occasionnel. Un chiffre qui augmente au fil des enquêtes Eras (6,3 % en 2017 et 15,8 % en 2019).

En conclusion, cette enquête montre un échantillon important de prépeurs avec des profils diversifiés, mais les résultats ne sont pas représentatifs de l’ensemble des HSH, a expliqué Annie Velter. L’enquête montre que les profils des prépeurs HSH ont peu évolué entre 2017 et 2021.  Toujours majoritairement des hommes favorisés socio économiquement, vivant dans des zones urbaines et faisant partie d’une communauté gay multipartenaires. Les enjeux actuels sont donc d’atteindre des HSH plus jeunes, moins favorisés, moins informés, nés à l’étranger et distants des sociabilités communautaires.

Dépistage du VIH en 2021 : une tendance inquiétante

Florence Lot, responsable de l’unité VIH, hépatites et IST de Santé publique France (SPF) a présenté les « tendances » sur le dépistage du VIH et des IST en France en 2021 fondées sur les données non consolidées récoltées à l’aide du Système national des données de santé (SNDS). Entre 2019 et 2021, le dépistage du VIH a baissé de 3 % en raison de la crise sanitaire (2 % chez les femmes et 6 % chez les hommes). Les efforts déployés pour rattraper la grosse baisse de dépistages entre 2019 et 2020 (moins 14 %) n’ont pas été suffisants pour atteindre le niveau de 2019. Quid des découvertes de VIH en 2021 ? Les chiffres seront annoncés le 1er décembre 2022, mais Florence Lot prévient déjà de difficultés dans les récoltes de données. Les chiffres des découvertes sont récoltés à l’aide d’outils de collecte de données médicales tels que LaboVIH pour le dépistage en laboratoire et la fameuse déclaration obligatoire (DO), un service en ligne où chaque nouveau diagnostic de séropositivité au VIH doit être renseigné par les biologistes et les cliniciens-nes. Malheureusement, tous les ans, SPF pointe du doigt une sous déclaration plus au moins importante selon les régions. « La sous déclaration s’est encore aggravée en 2021 », déplore l’épidémiologiste. Même constat pour la récolte des données en Cegidd en 2021 avec seulement 56 % de taux de participation sur 169 Cegidd (26 % de participation en Île-de-France !). Les données non corrigées de SPF indiquent une tendance inquiétante en 2021 : une diminution des diagnostics VIH chez les hétérosexuels-les nés-es à l’étranger et l’arrêt de l’augmentation des diagnostics chez les HSH nés à l’étranger. Plusieurs explications sont possibles, dont un moindre accès au dépistage, ce qui pourrait entrainer plus de diagnostics en stade avancé de l’infection à VIH. Une bonne nouvelle tout de même concernant le dépistage des IST qui a augmenté entre 2019 et 2021 (+ 4 % pour la chlamydia et +3 % pour la syphilis).

Prep et migrants-es : trop lente progression

Difficile, voire impossible, de savoir combien de personnes migrantes prennent la Prep en France puisque ce genre de statistique est interdit par la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés), mais en se fondant sur certaines données comme le recours à l’AME (Aide médicale d’État) issues de l’enquête Epiphare, on peut voir qu’au 30 juin 2021, seuls 0,3 % d’usagers-ères de la Prep (127 personnes) avaient recours à l’AME. Le Dr Hugues Cordel, infectiologue à l’hôpital Avicenne (Bobigny, en Seine-Saint-Denis) a présenté une enquête réalisée fin 2021 chez les personnes qui prescrivent la Prep afin d’évaluer quels étaient les freins du déploiement de la Prep chez les personnes migrantes. Au total, 60 médecins ont répondu à cette enquête dont 38 % en Île-de-France. La majorité exerçait en services de maladies infectieuses. À la question : « Avez-vous déjà pensé à prescrire la Prep à un-e migrant-e ? ». Ils-elles sont 83,3 % à avoir répondu oui, mais dans les faits seuls 70 % des répondants-es ont initié ou renouvelé une Prep chez une personne migrante. Parmi ces personnes chez qui la Prep a été prescrite, 73 % étaient des HSH nés à l’étranger. Parmi les freins cités par les répondants-es pour prescrire la Prep à une personne migrante, viennent en majorité le présupposé que la prévention du VIH ne serait pas une priorité chez les personnes migrantes primo arrivantes (32 répondants-es) puis l’obstacle de la langue (28 répondants-es) et les difficultés à expliquer la Prep à la personne (16 répondants-es). Le Dr Cordel conclue sur le constat d’une trop lente progression des mises sous Prep des personnes migrantes et la nécessité de mener des partenariats avec des associations communautaires et d’effectuer une communication ciblée pour et avec cette population.

Prep et travailleuses du sexe immigrées

Regnault Hippolyte, doctorant en sciences sociales, a présenté l’étude Fassets (Favoriser l'accès à la santé sexuelle des travailleuses du sexe immigrées) qui s’est concentrée sur la méconnaissance de la Prep chez les femmes TDS immigrées à Marseille. Les femmes TDS enquêtées n’avaient jamais entendu parler de la Prep. Lorsqu’on leur présentait la Prep, elles faisaient souvent l’amalgame avec le TPE (traitement post exposition). Le paradoxe étant que ces femmes maitrisaient bien les messages de prévention relatifs à l’usage du préservatif. Pour le sociologue, cette méconnaissance n’est pas fortuite et peut s’expliquer par des facteurs contextuels et socio-politiques comme la loi de 2016 dite de « pénalisation des clients », la crise sanitaire ou encore des discours publics abolitionnistes (qui visent à abolir le travail du sexe). Regnault Hippolyte conclue qu’il y a nécessité d’inclure davantage les femmes TDS immigrées dans les réseaux de production et de partage de savoir notamment via des projets de recherche communautaires afin de leur donner plus de pouvoir et d’auto détermination sur leur santé globale et sexuelle.

Prep prescrite par les infirmiers-ères ?

Parmi les pistes pour améliorer l’accès à la Prep et désengorger les consultations dans les Cegidd, le protocole national de coopération : « Consultation de santé sexuelle par l’infirmier ou l’infirmière ». Ce protocole vise à permettre aux médecins de déléguer certains actes aux infirmiers-ères. Parmi ces actes : la prescription de tests de dépistages et/ou d’examens biologiques pour le VIH, les hépatites et les IST ; la réalisation et la remise des résultats de  Trods (dépistages rapides) ; la prescription du bilan biologique pré-Prep (avant la première consultation) ; l’évaluation de la mise sous TPE (traitement post exposition VIH) plus la délivrance d’un starter kit de cinq jours ; la prescription de préservatifs remboursés par l’Assurance maladie ; la prescription de la pilule contraceptive du lendemain et la vaccination des hépatites et du HPV. Les prérequis pour entrer dans ce protocole sont d’avoir une expérience de trois ans comme infirmier-ère dont un an en Cegidd/centre de santé sexuelle. Il faut également 60 heures de formation théorique (diplôme ou attestation) et 38 heures de formation pratique.

Ce protocole a reçu un avis favorable de la HAS (Haute autorité de santé) le 15 juillet 2021 validé par un arrêté du 29 octobre 2021. Les délégants-es (médecins), les délégués-es (infirmiers-ères) doivent exercer en Cegidd, CPEF (Centre de planification et d'éducation familiale), centre de santé sexuelle ou CSSAC (Centres de santé sexuelle d'approche communautaire). Parmi les freins identifiés à la mise en place de ces protocoles, le manque de moyens humains et financiers par rapport à cette charge de travail supplémentaires (seulement 100 euros d’augmentation brute de salaire pour les infirmiers-ères qui entrent dans ce protocole).

Prep injectable : efficace mais vigilance

Le Dr Romain Palich (infectiologue, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris) a prévenu en introduction de sa présentation qu’il n’avait aucune information sur la commercialisation de la Prep injectable en France. Le 20 décembre 2021, la FDA (Food and Drug Administration, l’agence du médicament américaine) annonçait que la Prep injectable était autorisée aux États-Unis sous le nom commercial Apretude (laboratoire Viiv Healthcare). Il s'agit d'injections intramusculaires de cabotégravir, tous les deux mois. Pour rappel, ce traitement a été testé dans l’essai HPTN 083 qui comparait l’efficacité de la Prep injectable à base de cabotégravir avec la Prep en comprimés quotidiens de ténofovir et d’emtricitabine (FTC/TDF ou Truvada). L’essai avait recruté 4 570 hommes et femmes trans ayant des rapports sexuels avec des hommes, dans 43 sites dans le monde. La moitié avaient reçu des injections de cabotégravir, tous les deux mois, combinées avec des comprimés placebo. L’autre moitié avait reçu des injections placebo combinées avec des comprimés de Truvada. L’essai s’est arrêté plus tôt que prévu en mai 2020 en raison d’une efficacité supérieure des injections de cabotégravir (une diminution de 66 % du risque d’infection à VIH dans le groupe recevant du cabotégravir en injection par rapport à celui recevant du Truvada en prise orale quotidienne).

Le Dr Palich a attiré l’attention sur deux points de vigilance soulevés par cet essai. La survenue d’infections difficiles à expliquer chez sept personnes qui ont respecté leur rendez-vous d’injections et dont les prises de sang indiquaient un taux de cabotégravir censé être suffisamment protecteur. Par ailleurs, non seulement ces personnes auraient dû être protégées d’une infection à VIH, mais il a fallu plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant de diagnostiquer leur séroconversion. Ce retard s’explique par l’apparition plus tardive des anticorps en raison de la présence de cabotégravir dans le sang. « La conséquence virologique de ce retard à diagnostic est assez catastrophique », a expliqué le Dr Palich. En effet, le fait d’être séropositif (sans le savoir) sous monothérapie de cabotégravir a eu pour conséquence une accumulation de mutations de résistance sur le gène de l’intégrase chez ces sept personnes. « On n’a pas d’explication claire pour un nombre extrêmement limité d’infections sous cabotégravir injectable, mais malgré tout c’est quelque chose qu’il faut garder en tête dans les discours qu’on pourra tenir aux personnes qui nous consulteront pour bénéficier de la Prep par injections »,  a souligné l’infectiologue. Par ailleurs, la question de l’arrêt de la Prep injectable nécessite de bien évaluer le risque d’exposition au VIH. En effet, en cas d’arrêt des injections, le cabotégravir reste plusieurs mois dans le sang (probablement six mois d’après le médecin). Si la personne contracte le VIH pendant cette période il est donc probable que sa souche de VIH puisse créer des mutations de résistance sur le gène de l’intégrase. Par conséquent, une Prep par voie orale (en comprimés) doit être proposée pour prendre le relais en cas d’arrêt de la forme injectable.

Quelle Prep demain ?

En conclusion de sa (brillante) présentation, le Dr Palich a listé rapidement les molécules en cours d’essai Prep :

  • Lenacapavir, évaluée en Prep injectable tous les six mois ;
  • Islatravir, en comprimé oral mensuel et implant sous cutané annuel. Actuellement en pause à cause d’un effet toxique de la molécule sur les défenses immunitaires ;
  • Cabotégravir en implant ;
  • Ténofovir alafénamide (Taf) en implant ;
  • Rilpivirine, actuellement utilisée en bithérapie pour le traitement VIH (avec le cabotégravir) et testée en monothérapie Prep ;


La Prep de demain sera donc un menu à la carte avec de nombreuses possibilités. Outre les questions de prix et d’accès dans les pays à faibles et moyens revenus, se pose déjà un autre enjeu de taille : comment déployer le Prep dans toutes les populations surexposées au VIH et dépasser cette « niche » actuelle des personnes (majoritairement HSH) les plus informées et les plus privilégiées socialement ? À suivre.

 

Un TPE pour les IST ?
Prendre des antibiotiques après un rapport sexuel sans préservatif pour réduire les risques de contracter une IST ? L’idée n’est pas nouvelle et cela fait plusieurs années que des chercheurs-ses évaluent cette méthode de prévention des IST. On appelle ça une PEP en anglais (Post-exposure prophylaxis) et en français un TPE (traitement post-exposition). La prophylaxie par la doxycycline (un antibiotique) appelée PEP-Doxy  n’est pas approuvée en France, mais fait partie de plusieurs études en cours notamment Doxyvax ANRS174 et une sous étude de l’essai Prevenir. Ce que les études internationales ont montré à ce jour, c’est que la doxycycline en TPE réduit l’incidence des IST bactériennes de façon significative avec un intérêt pour prévenir la syphilis et les chlamydiae, mais que ses effets sont très limités sur la gonorrhée. Les avantages à court terme sur la diminution des IST doivent être mis en balance avec les conséquences à long terme pour la communauté. En effet, le gros point de vigilance est la survenue de multi-résistantes aux antibiotiques.