Prep et IST : les détracteurs à l’épreuve des faits

Publié par Vincent Leclercq le 07.09.2019
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SexualitéPrEP

Face aux visions apocalyptiques d'un avenir sexuel ravagé par les infections sexuellement transmissibles (IST) en raison du déploiement de la Prep, une thèse longuement développée dans un article publié par le site the Conversation (1), puis repris sur celui du journal Le Point (9 août), voici un peu de fact-checking sur le sujet, sources à l’appui, afin de démontrer que ses détracteurs se trompent de cible.

Oui, il y a un nombre important d'IST chez les personnes ayant recours ou l'intention de recourir à la Prep (1), tout comme leur risque de contracter le VIH était élevé avant de la prendre. C'est cette conscience du risque qui est l'une des motivations principales pour une personne à s'inscrire dans un programme de Prep (2).

Oui, on constate une hausse des diagnostics d'IST dans le cadre du suivi des personnes pour la Prep (3), mais on ne sait pas dire si c'est lié à la prise de Prep.

Si, à titre individuel ou en tant que médecin dans sa consultation, on peut faire le constat d’un plus grand nombre d’IST diagnostiquées chez les utilisateurs-rices de la Prep, les données scientifiques, elles, sont contradictoires selon les études et ne permettent pas d'avancer un lien irréfutable entre prise de Prep et hausse du risque de contracter des IST. Cela s'explique en particulier par la difficulté à neutraliser dans les études les biais potentiels liés au recrutement des participants-es ou aux interventions complémentaires à la Prep généralement proposées, comme justement, par exemple, l'intensification du dépistage des IST, qui génère mécaniquement une hausse des diagnostics (plus on dépiste souvent des IST, plus on en trouve). Cela ne veut pas dire qu'on n'arrivera pas un jour à le démontrer, mais pour le moment il faut être prudent. Par ailleurs, on constate une augmentation générale du nombre d'IST d'origine bactérienne depuis plusieurs décennies, notamment chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, et ce bien avant l'arrivée de la Prep (4). La hausse du nombre de diagnostics d'IST observée chez les utilisateurs-rices de la Prep pourrait aussi être en partie le reflet de cette tendance générale, sans pour autant qu'on puisse démontrer que la Prep génère, à elle seule, un sur-risque d’acquisition d’IST.

Inversement, on ne peut pas non plus dire que la Prep permet de réduire le nombre d'IST grâce à une augmentation de la fréquence du dépistage ou l'information des utilisateurs-rices. Ce ne sont que des hypothèses fondées sur des modélisations, avancées, par exemple, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) lors de la conférence IAS Science à Mexico en juillet dernier (5), sur l'intérêt de la Prep comme stratégie d'intensification du dépistage et de traitement des IST. Mais cela n'a encore jamais été constaté dans la vraie vie.

L'OMS rappelle, par ailleurs, que de grands progrès restent à faire en matière de diagnostic et de traitement des IST. Aujourd’hui encore, trop d'entre elles sont dépistées à un stade tardif et symptomatique. Les centres de santé sexuelle proposant la Prep sont présentés, a contrario, comme des champions de la prise en charge des IST en permettant un dépistage et un traitement précoce et adapté.

Oui, la recherche est proactive dans le domaine de la lutte contre les IST, mais manque cruellement de moyens et d'intérêt de la part de l'industrie pharmaceutique. Plusieurs essais vaccinaux sont en cours contre la chlamydia et la syphilis. Des études ont montré un intérêt fort dans l'utilisation d'un traitement post exposition à base de doxycycline (un antibiotique à large spectre) pour prévenir ces deux IST chez les personnes à haut risque d'acquisition (6). D'autres données suggèrent quant à elles que le vaccin utilisé contre le méningocoque B permettrait également de réduire significativement le risque de contracter la bactérie responsable de la gonorrhée (7) et de nouveaux essais vont démarrer pour obtenir un niveau de preuve plus important.

Malheureusement, des ruptures de stock sont régulièrement à déplorer, tout récemment encore en ce qui concerne les vaccins des hépatites A et B ou encore du traitement de référence de la syphilis (8). Ces ruptures entraînent un retard dans l’accès au soin qui peut se traduire par un traitement plus complexe et davantage de transmissions sexuelles à ses partenaires. Ces ruptures sont notamment générées par les stratégies de moindre coût de l'industrie pharmaceutique que des mesures gouvernementales peinent à contrer. Sans compter l’abandon pure et simple par certains industriels de traitements au prétexte de difficultés de productions, à l’image de l’arrêt de commercialisation par Sanofi-Aventis de l’extencilline utilisée contre la syphilis en 2014, avant d’être reprise, non sans difficulté, par Sandoz... qui a lui aussi annoncé en 2018 arrêter sa production.

Enfin, la prise en charge par l’assurance maladie, mauvaise et inégale selon les territoires ou les centres, des traitements ou des vaccins, continue de représenter un frein majeur dans la lutte contre les IST. Le vaccin contre le papillomavirus humain (HPV) coûte 110 euros par injection — et il en faut trois, et il n’est pas remboursé au-delà de 26 ans — à moins de trouver la bonne pharmacie qui acceptera de « frauder ». Beaucoup de laboratoires de biologie médicale facturent encore à leurs patients-es le dépistage d’un prélèvement sur les trois nécessaires (gorge, urine, anus) au diagnostic complet des IST bactériennes. Un ensemble de restes à charge souvent contestables dans un système bien compliqué à comprendre, qui pèsent lourd dans les stratégies de dépistage des personnes qui souhaitent bénéficier d’un suivi régulier.

En conclusion, on rappellera que les IST ne sont pas à prendre à la légère. Dépistées tard ou à un stade symptomatique, elles peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé. Dans la majorité des cas cependant, une IST (et j’inclus l’hépatite virale C lorsqu’elle est transmise sexuellement) sera bénigne si elle est prise en charge tôt et avec le bon traitement. Ce qui en limitera également le risque de transmission aux partenaires sexuels-les. Tant bien même arriverait-on un jour à démontrer que la Prep augmente ou au contraire diminue l'incidence des IST chez les personnes qui y ont recours, le dispositif de suivi médical des personnes qui accompagne la Prep, par son niveau d'excellence dans la prise en charge des IST, a l'avantage de permettre le traitement de ces dernières de manière précoce. Et l’enjeu, il est bien là !

En attaquant la Prep plutôt que les mauvaises pratiques de dépistage et de traitement des IST, le peu de moyens alloués à la recherche, le système de prise en charge complexe et inégal ou encore les ruptures de stock répétées de l'industrie pharmaceutique, les détracteurs de la Prep se trompent ainsi totalement de cible quand ils l'accusent d'alimenter des épidémies d'IST. Un détournement de l’attention aux relents de contrôle social sur nos sexualités.

(1) : Werner RN et al. « Incidence of sexually transmitted infections in men who have sex with men and who are at substantial risk of HIV infection – a meta-analysis of data from trials and observational studies of pre-exposure prophylaxis ». PLoS ONE 13(12):e0208107.
(2) : Rojas Castro D. et al, “Informal pre-exposure prophylaxis use in France: results from the Flash PrEP survey” (2014).
(3) : Molina JM et al, ANRS-Prévenir, présentation à la conférence HIV Science de Mexico, août 2019.
(4) : Santé Publique France, réseau de surveillance RésIST, 2000-2015
(5) : Ong J et al. STIs incidence and prevalence in PrEP programmes – highlights from a systematic review. 10th International AIDS Society Conference on HIV Science (IAS 2019), Mexico City, session SUSA07, 2019.
(6) : Lancet Infect Dis. 2018 Mar;18(3):233-234. doi: 10.1016/S1473-3099(17)30726-0. Epub 2017 Dec 8.
(7) : Dr Helen Petousis-Harris, PhD et al., Effectiveness of a group B outer membrane vesicle meningococcal vaccine against gonorrhoea in New Zealand: a retrospective case-control study, The Lancet, VOLUME 390, ISSUE 10102.
(8) : Communiqué de France Asso Santé : Pénurie de vaccins et médicaments, janvier 2019.