PrEP et sex workers… réticences et questionnements

Publié par jfl-seronet le 28.08.2014
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Sexualitétravail du sexePrEP

Fin mai 2014, les COREVIH Ile-de-France Ouest et COREVIH Ile-de-France Nord organisaient une réunion d’informations et de débat sur "PrEP et Travailleurs du sexe". Cette initiative du groupe transgenre, créé par ces deux COREVIH, visait à expliquer les enjeux d’une éventuelle arrivée de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) chez les travailleuses du sexe. Seronet y était.

C’est une soirée à la fois thématique et scientifique qu’organisaient le 21 mai dernier les COREVIH Ile-de-France Ouest et COREVIH Ile-de-France Nord. Le sujet ? L’intérêt de la PrEP (prophylaxie pré-exposition) pour la "population des travailleuses et travailleurs du sexe". C’est le professeur Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Tenon à Paris et vice-président de la SFLS qui ouvre les présentations. La sienne porte sur l’actualité des données concernant l’utilisation de la PrEP. Elle comprend un "focus sur les données de la population des travailleurs du sexe". Dans sa présentation, Gilles Pialoux note qu’il existe peu de données disponibles sur la PrEP et les "sex workers" (travailleuses et travailleurs du sexe) et passe en revue les mots clefs de la PrEP : efficacité ; combinée ; désinhibition ; observance ; résistance et disponibilité. Dans un compte rendu publié sur vih.org (20 juin 2014), Gilles Pialoux revenait sur les chiffres de sa présentation. Il expliquait ainsi : "A l’exception notable, mais sans analyse de sous groupe, des 41 % de "sexe tarifé" dans la population HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes) de l’étude IPREX qui, par ailleurs, n’a recruté que 1 % de volontaires transgenres et de l’essai thaïlandais ciblé sur les usagers de drogues où, là aussi, il n’y a pas eu à notre connaissance de sous-étude sur les travailleur-se-s du sexe", on ne dispose pas de données importantes. Gilles Pialoux mentionne bien l’existence d’une étude sur les sex-workers en Chine et l’acceptation de la PrEP qui indiquent que 86 % des personnes veulent la PrEP.

IPERGAY… pour exemple

Il a aussi été question d’IPERGAY lors de cette soirée avec une présentation de Vincent Coquelin (AIDES) et les témoignages de deux participants. Il y a Nathan, 25 ans, travailleur du sexe depuis qu’il a 17 ans et également salarié à AIDES. Nathan a des rapports sans préservatif réguliers avec des amants et des clients. Il est volontaire à IPERGAY. L’autre témoignage est celui de Valérie, trans, qui est la seule participante à cet essai depuis un an et demi. Valérie fréquente les lieux libertins et explique avoir une "collection de chauds messieurs". Valérie explique ne pas courir de risque ou du moins prendre des "risques relativement légers". Mais elle reconnaît avoir des "soirées un peu moins soft". "Parfois, je ne sais même plus ou je suis… Je participe parfois à des soirées sans contrôle où il n’y a pas forcément d’utilisation des moyens de prévention… c’est mieux que je sois sous IPERGAY".

TDS et PrEP : une enquête communautaire

Un des temps les plus intéressants de la rencontre est celui de la présentation des résultats de l’enquête conduite par Anaenza Freire Maresca (Hôpital Ambroise Paré, Boulogne) sur les "connaissances et ressentis de la PrEP parmi les travailleurs et travailleuses du sexe (TDS)". C’est sur la proposition de la directrice du PASTT (Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres), Camille Cabral, qu’a été lancée cette réflexion sur l’utilisation de la PrEP par les travailleurs et travailleuses du sexe. La réflexion a pris la forme d’une enquête communautaire à laquelle ont participé Sidaction, l’EATG (European aids treatment group). L’enquête a été menée entre avril et mai 2014. Un questionnaire simple de trois questions ouvertes a été proposé en plusieurs langues : anglais, bulgare, mandarin, espagnol et portugais. Ce sont des associations (Acceptess T, Arcat, Lotus Bus/Médecins du Monde, les Amis du Bus des Femmes, Pari T, PASTT, STRASS) et certains CIDDIST (Centre d'information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles) qui ont diffusé ce questionnaire. 110 questionnaires ont été réceptionnés dont 47 en espagnol, 36 en français, 11 en portugais, 8 en mandarin et 8 en anglais. 80 questionnaires concernaient des personnes trans (homme vers femme), 21 des femmes, 6 des hommes. L’activité de travail du sexe se déroulait en extérieur pour 49 personnes, en appartement pour 35 et en camionnette pour 7 personnes. L’âge médian des personnes était de 38 ans. Une majorité des personnes était originaire d’Amérique latine (Pérou : 19 % ; Brésil : 13 % ; Equateur : 12 %).

Méconnaissance, réticences et interrogations

La première question demandait aux participant-e-s si elles ou ils avaient entendu parler de la PrEP. C’était oui pour 30 personnes (27 % de répondants) et non pour 80 personnes (68 %). Il était ensuite demandé ce que les personnes aimeraient savoir sur ce nouveau type de prévention. Voici les principales questions que se posaient les répondant-e-s :

  • Protège-t-il des autres IST ? : 61 réponses, soit 55 % des personnes.
  • Où trouver des médecins connaisseurs et prescripteurs de la PrEP ? 59 réponses, 54 % des personnes.
  • Quels sont les effets indésirables ? 57 réponses, 52 % des personnes.
  • Combien de temps faut-il la prendre ? 56 réponses, 51 % des personnes.
  • Ai-je pris des risques pour ma santé en la prenant ? 56 réponses, 51 % des personnes.
  • Puis-je me passer des préservatifs ? 50 réponses, 45 % des personnes.
  • Y-a-t-il une possibilité de remboursement par la Sécurité sociale ? 49 réponses, 45 % des personnes.

Enfin, il était demandé aux personnes d’identifier des difficultés spécifiques à l’utilisation de ce type de moyens de prévention pour une personne travailleuse du sexe. Pour 63 réponses (57 %) : la réponse était les effets indésirables et/ou les aspects contraignants du traitement qui obligeraient à modifier la vie quotidienne ou le travail. 62 réponses (56 %) mettaient en avant le risque de contaminations par d’autres IST. 51 réponses (46 %) avançaient "la nécessité de prendre un médicament fréquemment, voire tous les jours alors que l’on n’a pas de maladie. Pour 36 participants (33 %), une difficulté résidait dans "la nécessité d’entamer un suivi médical pour renouveler les ordonnances et surveiller les effets indésirables. Par ailleurs, 31 réponses (28 %) se demandaient dans un contexte de négociation du safe sex avec les clients : "Avec la PrEP, comment leur faire utiliser la capote ?" Ces interrogations voire ces doutes, on les retrouve dans la note du STRASS (Syndicat du travail sexuel), une note qui entend surtout se focaliser sur la pénalisation et la stigmatisation du travail du sexe. Il réside là, selon le STRASS, le "principal facteur de vulnérabilité des travailleurs et travailleuses du sexe quant à leur santé notamment sexuelle".

Comme concluait Anaenza Freire Maresca dans sa présentation : "Il faut investir dans la communication avec les associations de TDS ou travaillant auprès des TDS" car cette rencontre a bien montré que la PrEP était largement méconnue, que lorsqu’elle était connue le plus souvent elle suscitait l’hostilité, l’incompréhension… et que son intérêt était mal compris voire pas.