Prep : le CNS veut changer d’échelle !

Publié par Fred Lebreton le 26.05.2021
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SexualitéPrEP

Alors que la primo prescription de la Prep par tous-tes les médecins de ville patine depuis un an, le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) (1) a rendu public, le 6 mai, un avis suivi de recommandations sur la place de la Prep dans la prévention du VIH en France. Le document de 36 pages développe les recommandations d’experts-es pour changer de paradigme et changer d’échelle sur cet outil de prévention pas assez connu de tous-tes.

Un déploiement insuffisant

Pendant plusieurs mois (entre septembre 2020 et février 2021), le Conseil national du sida et des hépatites virales a auditionné des experts-es du VIH dans les champs de l’épidémiologie, la sociologie, la recherche ou encore l’accompagnement communautaire (Dominique Costagliola, Annie Velter, Bruno Spire, Pascal Pugliese, France Lert ou encore Giovanna Rincon pour ne citer qu'eux-elles). L’état des lieux, suite à ces auditions, est sans appel : « Le développement de la Prep demeure insuffisant en France (…). Les indicateurs épidémiologiques de l’infection par le VIH ne montrent pas un niveau de réduction de l’épidémie en France à hauteur de ce qui a été obtenu depuis plusieurs années à l’étranger, dans des villes et des pays comparables aux nôtres. Dans ces pays, l’introduction de la Prep a largement contribué à la réduction de l’épidémie », constate le CNS.

Un déploiement insuffisant donc et inégalitaire : « Au plan national, la quasi-totalité des usagers de Prep – près de 97 % – sont des hommes, dont la très grande majorité a des relations sexuelles avec des hommes [HSH] (…). Pour autant, l’usage de la Prep parmi les HSH demeure très insuffisant. Selon l’enquête Eras (2), au regard des critères d’exposition au risque définis par les recommandations actuelles, près du tiers des HSH non séropositifs répondants à l’enquête sont potentiellement éligibles à la Prep. Or parmi ces HSH éligibles, seulement un sur cinq utilise la Prep », déplore le CNS. Quid des autres populations très exposées au VIH ? « Les trois quarts des nouveaux diagnostics en population hétérosexuelle concernent des personnes nées à l’étranger, dont huit sur dix dans un pays d’Afrique subsaharienne (…). L’utilisation de la Prep par des personnes autres que des HSH apparaît extrêmement marginale, et, en particulier, par des femmes, dont la proportion parmi les usagers a très peu progressé depuis 2016 et ne dépasse guère 3 % », constate le CNS.

Faire connaître la Prep

Il est donc urgent de faire connaître la Prep à toute la population estime le Conseil national du sida et des hépatites virales : « Proposée jusqu’ici presque uniquement à des HSH déclarant des pratiques à haut risque, la Prep doit désormais être conçue comme un outil de prévention du VIH qui, comme le préservatif, peut bénéficier à chacun et chacune, à différents moments de la vie (…) Pour cela, la Prep doit être promue, en lien avec le dépistage, auprès de l’ensemble de la population ». « Sur le plan de la communication institutionnelle, et au premier chef concernant l’action de Santé publique France, il est nécessaire de conduire des campagnes nationales régulières s’adressant désormais à l’ensemble de la population, dans sa diversité (…) La démarche d’utiliser la Prep pour se protéger du VIH doit être banalisée auprès de la population générale pour assurer sa diffusion et son acceptation par les différents publics. Il est important que cette promotion suggère la diversité des utilisateurs potentiels de la Prep, en termes de sexe, d’âge, d’origine, d’orientation sexuelle, de mode de vie, et de contextes relationnels », préconise le CNS.

Changer de paradigme

Un changement de paradigme important est encouragé par le CNS qui considère que la Prep doit être mise au même niveau que le préservatif, sans hiérarchie, dans la palette de prévention du VIH : « Le CNS considère que le positionnement actuel de la Prep en tant qu’outil subsidiaire par rapport à la prévention par l’usage systématique du préservatif, qui est demeuré jusqu’ici l’outil de référence, doit être remis en cause ». L’enjeu est de casser la représentation selon laquelle un rapport sexuel ne peut être protégé qu’avec un préservatif : « L’idée qu’une personne séronégative ne risque pas de se contaminer par le VIH lors d’un rapport sans préservatif dès lors qu’elle se protège avec une Prep doit progressivement s’installer, tout comme d’ailleurs, symétriquement, celle qu’une personne séropositive dont la charge virale est indétectable grâce à son traitement ne risque pas de transmettre pas le VIH », explique le CNS.

Par ailleurs il s’agit également de valoriser l’usage de la Prep comme quelque chose de bénéfique à la fois sur le plan collectif et individuel : « En tant que moyen de protection contre le VIH aussi efficace que l’usage du préservatif, l’utilisation de la Prep doit ainsi être fondamentalement promue pour ce qu’elle est : une démarche qui consiste à se protéger et prendre soin de sa santé, et en cela une démarche responsable envers soi comme envers la collectivité », indique le CNS.

Faciliter l’accès à la Prep

Connaître la Prep c’est bien, y avoir accès c’est encore mieux ! Le CNS préconise de « faciliter et simplifier l’accès en élargissant et diversifiant les lieux et les acteurs de l’offre, afin d’aller au-devant des différents publics ». Cela commence, entre autres, par la primo-prescription en ville promise depuis des mois et sans cesse repoussée. « L’ouverture de la primo-prescription à tous les médecins constitue un préalable. Il est par conséquent indispensable que les pouvoirs publics recherchent et mettent rapidement en œuvre les moyens qui permettront de sortir de l’impasse actuelle », alerte le CNS.

Mais il va falloir aussi accompagner les professionnels-es de santé qui ne connaissent pas cet outil : « Il est nécessaire de donner aux médecins qui le souhaitent les moyens de se former à la proposition de la Prep à leurs patients, à sa prescription et son suivi (…). Il est essentiel que l’offre de formation demeure conçue comme une aide à la pratique, à la disposition des médecins qui souhaitent renforcer leurs compétences à prescrire la Prep. Le module de formation par e-learning développé par la SFLS pourvoit à cet objectif ».

Le CNS donne également des pistes pour faciliter l’accès à la Prep notamment pour désengorger les services d’infectiologie et centres de dépistages et atteindre des personnes éloignées des grandes villes : « Développer des dispositifs permettant l’initiation et le suivi de la Prep par des moyens dématérialisés, intégrant notamment la téléconsultation, la réalisation des dépistages par l’envoi d’autotests ou de kits d’auto-prélèvement, la délivrance électronique des prescriptions nécessaires ».

« Les nombreux freins observés à un recours plus large à la Prep doivent désormais être levés. À cette fin, le Conseil estime indispensable de changer de paradigme, en définissant désormais la Prep comme un outil de prévention du VIH pouvant bénéficier à toute personne », conclut le CNS. Et d’ajouter : « Ces évolutions sont d’autant plus nécessaires que l’arrivée imminente de nouvelles formes de Prep, qui devrait élargir encore l’intérêt de l’outil et le profil de ses usagers potentiels, doit être anticipée ».

Cet avis important n’est pas sans rappeler celui du 9 avril 2009 sur le Tasp (traitement comme prévention). Un document qui expliquait tout l’intérêt de faire connaître le Tasp aux personnes concernées, aux professionnels-les de santé et aux associations de lutte contre le VIH. Le Tasp a mis plusieurs années avant de faire consensus. Espérons que le chemin vers la Prep pour tous-tes sera moins laborieux.


(1) : Le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) est une commission consultative indépendante composée de 26 membres, qui émet des Avis et des recommandations sur les questions posées à la société par ces épidémies. Ses travaux sont adressés aux pouvoirs publics et à l’ensemble des acteurs-rices concernés-es. 
(2) : Enquête « Rapport au sexe » (Eras) à destination des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.