PrEP : les experts de l’ANSM rendent enfin leur avis

Publié par jfl-seronet le 03.11.2015
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Une dépêche de l’Agence de presse médicale du 30 octobre indique que le comité scientifique spécialisé temporaire de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé qui planchait sur la PrEP aurait enfin rendu son avis. Il serait "favorable" à la demande de RTU (recommandation temporaire d’utilisation) de Truvada en prophylaxie pré-exposition, faite par AIDES en décembre 2013. En juin 2015, le comité avait tenu sa troisième réunion, suivie d’une dernière réunion de calage, fin octobre dernier. Mais l’avis de l’ANSM est loin de clore le dossier. Explications.

On commençait à ne plus y croire, à perdre patience. Interpellée depuis 2013, notamment par AIDES, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) n’avait toujours pas rendu son avis sur la demande de RTU de Truvada en PrEP en octobre 2015. Ce serait désormais chose faite depuis le 30 octobre, selon l’APM (Agence de presse médicale), qui indique que le comité scientifique spécialisé temporaire chargé de traiter cette demande a donné un avis favorable à la demande de RTU pour Truvada (ténofovir + emtricitabine) en PrEP au VIH. Cet avis favorable aurait été adopté à l’unanimité des membres du comité spécialisé (treize experts). Comme le rappelle, l’APM, cet avis est consultatif et la décision finale revient au directeur général de l’ANSM, Dominique Martin.

Cet avis qui s’est beaucoup fait attendre, intervient trois semaines après la présentation, le 9 octobre dernier au congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) à Nantes, des recommandations d'experts dirigées par le Pr Philippe Morlat. Ce dernier a d’ailleurs été auditionné comme expert par le comité spécialisé de l’ANSM. La dernière fois, c’était en juin 2015.

Cette décision pour importante qu’elle soit ne clôt pas le dossier. En effet, selon l’APM un protocole de RTU reste à élaborer. Ce dit protocole sera soumis à cette commission spécialisée de l’ANSM, puis transmis à la Haute autorité de santé (HAS). Interrogé par l’APM, Marc Dixneuf, directeur général délégué de AIDES, a indiqué que l’aval de l’ANSM, constituait une première étape. D’autant que le comité de l’ANSM n’a pas pour mission de se prononcer sur la prise en charge financière de la PrEP.  "Il faut une prise en charge financière", estime Marc Dixneuf. Truvada coûte actuellement 500 euros la boîte de 30 comprimés (hors honoraire de dispensation) et le schéma intermittent comprend quatre comprimés, soit 60 euros, par prise de risque, rappelle l’APM. AIDES souhaite que la mise à disposition de la PrEP soit "rapide" pour éviter les nouvelles contaminations et la prise de prophylaxie pré-exposition en dehors de tout cadre médical.

Le 30 juin dernier, le comité scientifique spécialisé temporaire de l’ANSM s’est réuni pour la troisième fois. Son objectif ? "Aborder les modalités d’encadrement et de suivi des personnes à traiter dans le cadre de la RTU". "Cette réunion clôture l’instruction par le CSST de la demande de RTU de Truvada dans la PrEP VIH par l’association AIDES, avant le passage en Commission d'évaluation initiale du rapport bénéfice risque des produits de santé de l’ANSM", indique le compte rendu — disponible depuis la fin octobre. Comme les deux fois précédentes (26 janvier et 17 avril 2015), la réunion du 30 juin a comporté des auditions d’experts. Il s’agissait notamment du Professeur Philippe Morlat, en tant que coordonnateur des recommandations sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, du Professeur Françoise Brun-Vezinet, en tant que responsable du Centre National de référence sur la Résistance, de Hugues Fisher (TRT-5), du Dr Jade Ghosn du groupe PrEP RTU de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), du Dr Anne Simon, présidente de la Société française de Lutte contre le sida, etc.

Neuf points ont été discutés au cours de cette réunion. Nous n’allons pas tous les passer en revue puisque les comptes rendus sont accessibles en ligne. Le premier concerne l’articulation des conclusions du Comité de l’ANSM avec celles du rapport sur la prévention coordonné par le Professeur Philippe Morlat présentées lors du dernier Congrès de la SFLS à Nantes, début octobre. "Il est observé une cohérence globale entre les conclusions du CSST et les conclusions du groupe d’experts coordonné par le Professeur Philippe Morlat. A savoir que la population cible pour laquelle le rapport bénéfice/risque est jugé le mieux documenté par rapport au contexte épidémiologique français est la population des Hommes ayant des rapports sexuels avec des Hommes (HSH) adultes à risque élevé d’acquisition du VIH par voie sexuelle", explique le compte rendu de l’ANSM. Mais tout n’est pas raccord. "En ce qui concerne les situations hors HSH, certaines approches diffèrent" entre le comité de l’ANSM et les experts du groupe Morlat. Dans leurs conclusions de la réunion du 17 avril, les membres du CSST admettaient que "les prescripteurs pourraient être confrontés en pratique à des situations de besoin au cas par cas. A ce titre, il a été en particulier admis, que des situations à risque élevé d’acquisition du VIH étaient identifiées chez des personnes hétérosexuelles nées en Afrique subsaharienne ou en Guyane.

Par ailleurs, d’autres situations ont été également évoquées (…) et considérées comme devant être peu fréquentes par les membres du CSST :
- Couples séro-différents : la prise en charge de ces couples pourrait amener à discuter le recours à la PrEP par Truvada au cas par cas pour la personne séronégative quand la charge virale du/de la partenaire séropositif/ve est détectable et, pour les couples sérodifférents avec désir de conception,quand des difficultés particulières d’accessibilité à l’Assistance Médicale à la Procréation entravent la démarche de conception.
- Usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI) : bien que les données ne permettent pas de documenter le rapport bénéfice/risque de Truvada dans la prévention du risque d’acquisition du VIH par le biais de drogues injectables, il est admis que la prise de drogues injectables puisse placer les UDVI à un risque élevé d’acquisition du VIH par voie sexuelle. "A l’inverse, le groupe d’experts coordonné par le Professeur Morlat prend en considération l’intérêt de la PrEP chez les UDVI au regard du risque d’acquisition du VIH par voie parentérale [injection, ndlr] lié au partage des seringues. Par ailleurs, la position de ce groupe est plus stringente [draconienne, rigoureuse, ndlr] vis-à-vis de la PrEP-ception où il est mis en avant un rapport coût efficacité défavorable, élément non pris en compte par le CSST", explique le compte rendu dans un registre lexical inusité.

"Cependant, en cohérence avec les conclusions du CSST, le Professeur Morlat a souligné que les personnes ayant des relations hétérosexuelles "appartenant à un groupe à prévalence du VIH élevée" devraient faire partie de la population cible de la RTU. Dans le cadre du débat au cours de la réunion il est souligné que dans un couple sérodifférent, la personne séronégative ne connaît pas nécessairement le statut, la prise en charge thérapeutique, ou le niveau de virémie [charge virale, ndlr] du partenaire. Par conséquent, il est important de préserver l’autonomie du partenaire séronégatif afin qu’il puisse maîtriser le risque vis-à-vis de la transmission sexuelle, en outre il n’y a pas d’obligation pour la personne séropositive de signaler son statut VIH à son partenaire. Ceci sera à prendre en compte dans les motifs de consultation au cas par cas dans le cadre de la PrEP."

Autre grand point débattu, les modalités de prescription. "Dans le cadre de son AMM [autorisation de mise sur le marché, ndlr] en tant que traitement de l’infection à VIH, le Truvada, comme les autres antitétroviraux, relève d’une prescription initiale hospitalière. La RTU peut prévoir des conditions de prescription et de délivrance différentes de celles de l’AMM. Cependant, au moins dans un premier temps il semble nécessaire de réserver au mieux l’appréciation du niveau de risque individuel à des praticiens habitués à la prescription des ARV et de limiter la prescription au milieu hospitalier." Le comité de l’ANSM reconnait cependant que la prescription hospitalière "n’est pas nécessairement la modalité la plus adaptée dans le cadre de la mise en œuvre d’une stratégie de prévention car elle soulève la difficulté de faire co-exister la file active des personnes séronégatives à celles de personnes séropositives, avec des consultations déjà chargées et donc la nécessité de prévoir des consultations dédiées (type consultations du soir) en articulation avec le milieu associatif et les Corevih (….) Il est admis que la création des Centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic des IST/CeGIDD (résultant de la fusion des CDAG et Ciddist) avec la prescription possible des traitements préventifs serait un environnement plus adapté à la RTU Truvada dès lors qu’ils seront mis en place."

Le Comité de l’ANSM a aussi discuté du Suivi virologique VIH. "Il est admis que le suivi virologique de la personne exposée au risque d’acquisition du VIH et recevant la PrEP doit être le suivi standardisé basé sur un test Elisa combiné de 4e génération (anticorps anti-VIH 1, anticorps anti-VIH2 et antigène p24). De plus un génotypage de résistance du VIH doit être réalisé (…) Dans les essais cliniques, la fréquence d’un suivi sérologique (non nécessairement standardisé) était mensuelle. Cependant, il est jugé difficile d’envisager une fréquence aussi rapprochée dans le cadre de la RTU. Un suivi trimestriel sera recommandé comme dans le cadre de l’AMM US de Truvada en prévention de l’infection à VIH (extension d’indication juillet 2012) (….) Au total, la fiche d’information aux prescripteurs (avec information adaptée aux personnes bénéficiaires de la PrEP) mettra en exergue les éléments suivants : "Truvada dans la PrEP est contre-indiqué chez les personnes infectées par le VIH ou en cours de séroconversion ou si leur statut sérologique VIH n’est pas connu, en raison du risque de développement de souches de VIH résistantes aux antirétroviraux. En effet, des cas de résistances du VIH-1 aux antirétroviraux ont été rapportés chez des sujets qui avaient débuté Truvada lors d’une primo-infection VIH-1 non dépistée.

De plus, il est important d’être en mesure de détecter une séroconversion en cours de traitement pour adapter au plus vite la prise en charge et ne pas risquer de maintenir une personne sous bithérapie par Truvada alors qu’une réplication virale existe, en raison du risque d’émergence de résistance aux antirétroviraux. Une résistance acquise à Truvada compromettrait l’utilisation de cette combinaison dont la place est essentielle à ce jour dans la prise en charge des patients infectés. Ainsi, il faut insister auprès des personnes consultant pour une demande de PrEP par Truvada sur l’importance d’un suivi régulier et l’importance de signaler tout signe ou symptôme évocateur de primo-infection VIH. Enfin, il faut souligner que la séroconversion sous traitement antirétroviral pourrait avoir une présentation différente. Le faible nombre de séroconversions observées dans les essais cliniques ne permet pas de la documenter."

Il sera également souligné la nécessité de rechercher lors de l’instauration du traitement préventif de Truvada des signes / symptômes évocateurs de primo-infection VIH et la notion de rapports sexuels à risque au cours du dernier mois. En cas de signes évocateurs de primo-infection, une charge virale doit être demandée. Pour la vérification de la séronégativité et l’initiation du traitement, il convient de prendre en compte la fenêtre sérologique qui est habituellement d’une vingtaine de jours, par rapport à la dernière situation à risque d’acquisition du VIH rapportée par la personne consultant pour un accès à Truvada dans le cadre d’une PrEP."

Concernant les modalités d’administration, le Comité de l’ANSM explique que dans "la quasi-totalité des essais cliniques à l’exception de l’essai Ipergay dans la population HSH, l’efficacité préventive du Truvada dans la PrEP a été démontrée dans le cadre d’une administration continue selon la même posologie que pour le traitement de l’infection à VIH (un comprimé à prendre une fois par jour par voie orale). Cependant cette modalité continue peut soulever des difficultés d’adhérence [observance, ndlr], alors que l’adhérence est un élément essentiel dans l’obtention d’une efficacité préventive du Truvada dans la PrEP. De ce fait, il sera possible d’avoir recours aux modalités d’administration non continue du Truvada. Les données d’efficacité selon un schéma non continu sont issues d’un seul essai, l’essai ANRS Ipergay conduit chez les HSH où le Truvada a été prescrit en fonction de l’activité sexuelle du sujet. Dans cet essai, la dose recommandée était de deux comprimés de Truvada dans les 24 heures précédant le premier rapport sexuel (et au plus tard deux heures avant), puis un comprimé de Truvada toutes les 24 heures pendant la période d’activité sexuelle y compris après le dernier rapport sexuel et enfin un dernier comprimé de Truvada 24 heures plus tard. Ces deux dernières prises après les rapports sexuels sont très importantes pour une protection maximale. Il importe de souligner que le recours à ce schéma de traitement ne sera pas possible chez les sujets ayant une sérologie positive au VHB au regard du risque d’exacerbation de l’hépatite B à l’arrêt du traitement. Par ailleurs, ces modalités de traitement discontinu n’ayant été testées que dans la population des HSH, il est difficile d’extrapoler leur efficacité dans d’autres populations (imprégnation au niveau de la muqueuse cervico-vaginale). La position du groupe coordonné par le Professeur Morlat et de la SFLS s’inscrit en cohérence avec ces éléments de discussion et conclusion."

Le compte rendu de cette troisième réunion s’achève par ces conclusions : "Les recommandations du CSST et du groupe coordonné par le Professeur Morlat sur l’utilisation du Truvada en PrEP VIH s’inscrivent globalement en cohérence en termes de définition de la population cible et de modalités de suivi. Le protocole de la RTU comportera une fiche d’initiation, une fiche de déclaration de séroconversion, une fiche standard de recueil d’effets indésirables ainsi que des fiches d’information destinées aux prescripteurs et aux personnes bénéficiaires de la PrEP par Truvada.

Voici quel est désormais le nouveau calendrier concernant cette RTU... Il faut la décision de la direction de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) puisque l’avis du comité scientifique spécialisé est consultatif. Il n’y a pas de délai légal entre le moment où une commission scientifique rend un avis favorable à une RTU et la prise de décision par la direction de lancer la procédure avec le laboratoire qui détient la molécule. Etape suivante : L’ANSM rédige un projet de RTU et l’envoi au laboratoire fabricant le médicament, objet de la RTU. Il s’agit, ici, du laboratoire Gilead. Le projet comporte différents éléments (protocole patients, recueil et suivi des données, etc.). Le laboratoire à un mois pour répondre, il peut demander un mois supplémentaire, soit deux mois maximum. A l’issue de la réponse du laboratoire, notification et publication de la RTU sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Puis envoi de la RTU au ministère de la Santé et à la Haute autorité de santé (HAS). La HAS a deux mois pour rendre un avis sur la place du Truvada dans la stratégie de prévention et l'éventualité d'une prise en charge financière (remboursement par l'Assurance maladie ou non…). Décision du ministère de la santé qui publie un arrêté après avis de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.

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