Prep : un outil libérateur ?

Publié par Fred Lebreton le 24.01.2021
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SexualitéPrEP

Une récente étude australienne publiée sur le site d’infos Aidsmap se pose une question importante : est-ce que réduire l’angoisse liée au risque de contracter le VIH est un motif légitime en soi pour prescrire la Prep à une personne dont les pratiques n’exposent peu voire pas du tout à une infection à VIH ? La réponse des professionnels-les de santé est : « Oui ». Retour sur une étude qui explique en quoi la Prep peut être un outil libérateur.

Cette question a été posée dans le cadre d’une étude menée par Anthony KJ Smith, un étudiant en médecine de l’Université de New South Wales en Australie. Il a interrogé un échantillon de 25 professionnels-les de santé, des médecins et des infirmier-ères habilités-es à prescrire la Prep. Seize d’entre eux-elles étaient des spécialistes en santé sexuelle (neuf médecins et sept infirmiers-ères) et neuf étaient des médecins généralistes. Les professionnels-les de santé interrogés-es ont répondu à cette question pour trois groupes de personnes : les hommes gays et bisexuels qui peuvent avoir une angoisse liée au risque de contracter le VIH ; les partenaires séronégatifs-ves qui sont dans un couple sérodifférent et les personnes qui expriment une angoisse importante de contracter le VIH, malgré un risque faible ou nul de le contracter.

La Prep a complètement changé leur vie

Soulager l’angoisse liée au VIH est un thème qui est beaucoup revenu dans les échanges. Un-e des participants-es a déclaré à ce sujet : « C’est probablement la meilleure chose au sujet de la Prep ». « Les personnes se sentent heureuses, et sont complètement différentes en comparaison avec la première consultation ». Plusieurs répondants-es à cette étude ont insisté sur l’effet libérateur de la Prep chez les gays plus âgés : « Les gays plus âgés qui ont traversé les années sida et perdu des proches ont toujours utilisé des préservatifs car ils étaient terrifiés. Certains d’entre eux qui sont aujourd’hui dans la cinquantaine et la soixantaine trouvent que la Prep est un outil extraordinaire ». Un-e autre professionnel-le de santé déclare : « Certains n’avaient plus aucun rapports sexuels depuis les années 90 à cause de la peur du VIH, la Prep leur a complètement changé la vie ».

D’autres ont mis en avant l’aspect bénéfique de la Prep chez les hommes gays ou bisexuels plus jeunes, en particulier ceux qui viennent d’un milieu culturel ou religieux qui rejette l’homosexualité. Pour eux, un diagnostic VIH serait comme un second coming out et un constat d’échec auprès de leur famille. Dans ce contexte, la Prep permet d’éviter une double discrimination intra familiale. Cependant les répondants-es à cette étude étaient vigilants-es dans leur façon d’aborder la Prep avec leurs patients-es les plus anxieux-ses : « La Prep n’est pas une pilule magique qui préserve de tout ce qui ne va pas ». La plupart n’ont pas hésité à orienter les patients-es les plus angoissés-es vers des services de prise en charge psychologique, tout en prescrivant la Prep car « les bénéfices dépassent les risques ».

Quid des couples sérodifférents ?

Interrogés-es sur l’intérêt de prescrire la Prep aux partenaires séronégatifs-ves dans un couple sérodifférent, les répondants-es ont souligné l’importance de bien expliquer le concept U = U (indétectable = intransmissible) : « Techniquement si la personne séropositive est le ou la seule partenaire et que la charge virale est indétectable, il n’y pas besoin de Prep ». Mais les professionnels-les de santé ont listé des situations pour lesquelles la Prep peut être un outil de sécurité supplémentaire. Le cas, par exemple, du ou de la partenaire séropositif-ve qui a du mal à bien prendre son traitement ou les couples ouverts avec plusieurs partenaires ou encore les personnes nouvellement diagnostiquées séropositives et dont la charge virale n’est pas encore indétectable. Parfois, c’est aussi un problème d’adhésion au concept U = U (Indétectable = Intransmissible), y compris chez les personnes qui vivent avec le VIH depuis longtemps… « Quand on leur a martelé pendant des années de toujours utiliser des préservatifs, c’est un peu compliqué chez certaines personnes de sortir de ce dogme ».

Un autre cas de figure décrit par un-e participant-e à cette étude était la nécessité chez certaines personnes séronégatives dans un couple sérodifférent de prendre le contrôle de leur prévention en prenant la Prep : « Je suppose que c’est un peu comme les femmes qui prennent le contrôle de leur contraception pour ne pas tomber enceinte ». En cela la Prep est décrit comme un outil d’empowerment important, en particulier chez les femmes hétérosexuelles qui ne sont pas en mesure d’exiger systématiquement un préservatif de leurs partenaires.

Les « hyper anxieux-ses »

Le dernier groupe de personnes sur lesquelles les professionnels-les de santé étaient interrogés-es était surnommé « les hyper anxieux-ses » ; c’est-à-dire les personnes qui expriment une angoisse importante de contracter le VIH malgré un risque faible ou nul de le contracter. Bien que ces personnes représentent une faible majorité de celles vues en consultation Prep, ces consultations étaient décrites comme très chronophages, empêchant parfois de consacrer du temps à d’autres personnes qui, elles, auraient plus besoin de la Prep. « Parfois on a l’impression que les personnes qui sont le plus à risque, ne sont pas celles qu’on voit en consultation », commente un-e répondant-e de l’étude. Et en même temps, certains-es professionnels-les de santé ont reconnu que les personnes présentées comme « hyper anxieux-ses » pouvaient tout à fait cacher certaines pratiques qui exposent à des risques. « Nous sommes assis dans nos tours d’ivoire, en train d’écouter la vie sexuelle des gens, mais les patients ne disent peut-être pas toujours la vérité sur leurs pratiques », explique un-e des répondants-es. Et d’ajouter qu’il y a peut-être des événements traumatiques derrières certains non-dits comme des abus sexuels, des infidélités ou autres.

Il a été admis que parfois la Prep était prescrite à des personnes qui n’avaient clairement pas de risques de contracter le VIH. Certains-es répondants-es se sont référés-es aux recommandations officielles. « Si on s’en tient aux recommandations, les personnes peuvent prendre la Prep si elles ont peur du VIH », affirme un-e professionnel-le de santé. Un-e autre rétorque que cette formulation a été écrite principalement pour rassurer les professionnels-les de santé qui souhaitent prescrire la Prep à des personnes dont les pratiques exposent à un risque de contracter le VIH très faible, voire nul.

Et en France ?

Le constat est similaire en France d’après le Dr Daniel Gosset qui exerce au centre de santé sexuelle Le 190 à Paris, un des plus gros centres prescripteurs de Prep en France. « Je prescris la Prep aux personnes qui sont très inhibées par le VIH. J’ai des patients qui n’avaient quasiment pas de vie sexuelle à cause de cette peur liée au VIH, la Prep leur a permis de faire des rencontres et même de se mettre en couple ». Le risque de contracter le VIH en pratiquant une fellation est très faible, mais ce risque paralyse certains patients explique le Dr Gosset. « Nous avons des demandes de patients très stressés par le VIH et qui demandent la Prep uniquement pour pratiquer la fellation. Le fait d’avoir peur d’un résultat positif à chaque dépistage suite à des fellations est source d’angoisse pour eux. La Prep est quand même assez libérateur par rapport à ça ».

Au-delà de la prévention VIH

En conclusion, les auteurs-rices de l’étude australienne déclarent que : « Malgré certaines réserves, les professionnels-les de santé interrogés-es prescrivaient pratiquement toujours la Prep aux personnes qui la demandaient. Ils-elles ajoutent que bien que la « Prep puisse changer la vie des gens », il manque aujourd’hui des formations et des recommandations officielles qui soutiennent les cliniciens-nes qui veulent prescrire la Prep à des personnes qui n’ont pas de risque clinique de contracter le VIH, mais qui demandent la Prep pour gérer leurs angoisses liées au VIH, aux dynamiques de couples et à la sexualité. Et de conclure : « Ceux qui prescrivent la Prep doivent être soutenus pour proposer la Prep dans une offre qui va au-delà de la prévention VIH et qui permet aux personnes de s’épanouir dans leurs vies sexuelles ».

Références : Smith AKJ et al. Issues associated with prescribing HIV pre-exposure prophylaxis for HIV anxiety: a qualitative analysis of Australian providers’ views. Journal of the Association of Nurses in AIDS Care, 32: 94-104, 2021.