Prestations sociales : un rapport détonant du DDD sur la fraude

Publié par jfl-seronet le 22.09.2017
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Thérapeutiqueprestations sociales

Le 7 septembre, le Défenseur des droits a publié un rapport sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Sans doute à la surprise de beaucoup, ce rapport, très documenté, met en évidence combien cette "chasse" peut porter atteinte aux droits de personnes, en particulier celles en "situation de précarité". Que dit ce rapport ?

D’emblée le titre du rapport donne le ton : "Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ?" Cette analyse tombe particulièrement bien dans un contexte où depuis des années, on évoque beaucoup la fraude aux prestations sociales et souvent avec des chiffres erronés. Très précis, très complet, le rapport du Défenseur des droits (DDD) rétablit les faits et surtout souligne le "caractère discriminatoire du ciblage des "suspects de fraude". Il rappelle que le montant des fraudes aux prestations sociales reste bien dérisoire par rapport au non recours aux prestations… et aux fraudes aux cotisations.

Pourquoi le Défenseur des droits a-t-il lancé une telle analyse ?

De façon générale, le Défenseur des droits est chargé de "veiller au respect des droits et libertés par les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public". L’institution est également "investie d’une mission de promotion de l’égalité des droits, dont l’axe majeur est le développement de l’accès aux droits". Dans ce cadre, le Défenseur porte une attention particulière aux personnes en situation, temporaire ou durable, de vulnérabilité, quels qu’en soient les motifs, ainsi qu’aux institutions et aux dispositifs de protection sociale dont le rôle en la matière est primordial. Le Défenseur des droits a reçu pas mal de réclamations qui l’ont amené à s’intéresser à la question de la fraude et à sa lutte, et tout spécialement sur les conséquences de cette lutte et ses effets sur "les droits des usagers des services publics".

Quel est le niveau de fraude ?

La fraude aux prestations sociales représente, selon la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), 3 % du montant total de la fraude détectée en 2015 (1), soit 672,26 millions d’euros. A titre de comparaison, le montant de la fraude aux cotisations sociales est de 497,2 millions d’euros et celui de la fraude fiscale est de 21 200 millions d’euros. Autre élément à prendre en compte, la fraude aux prestations sociales apparaît également moins importante que ne l’est le non-recours aux droits. En effet, selon une enquête dirigée par la Caisse nationale d’allocations familiales et la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, le non-recours au revenu de solidarité active (RSA) était estimé à près de quatre millions d’euros en 2010. Ajoutons que cette fraude concerne un faible nombre des bénéficiaires. Par exemple, en 2016, la Caisse nationale d’allocations familiales estimait que la fraude a concerné 0,36 % de ses allocataires.

Lutte contre la fraude : quelles sont les évolutions récentes ?

La lutte contre la fraude s’est considérablement développée depuis la loi du 13 août 2004 sur la réforme de l’Assurance maladie, rappelle le rapport. Un dispositif a été mis sur pieds par les pouvoirs publics, comprenant une procédure de répression des abus de droit en matière sociale, la création de la DNLF (Délégation nationale à la lutte contre la fraude) et des comités départementaux de lutte contre la fraude sociale. Les modalités de la lutte contre la fraude aux prestations sociales se sont durcies et les organismes prestataires ont été amenés à mettre en place des dispositifs de contrôle.

Un sujet délicat

Le Défenseur des droits en convient : "Il est difficile d’aborder la question de lutte contre la fraude aux prestations sociales, sans s’exposer à de nombreuses critiques, tant les enjeux à la fois politiques, sociaux et économiques sous-jacents sont prégnants". Ce rapport a pour objectif "d’identifier et d’évaluer la mise en œuvre des dispositifs de lutte contre la fraude (….) sur les droits des usagers du service public". Pour le Défenseur des droits, il ne s’agit nullement de "remettre en cause la légitimité de cette politique publique", mais de voir s’il y a des dérives, où et de proposer des recommandations pour y palier.

Quels sont les constats ?

Le point de vue est intéressant et assez inattendu. Le Défenseur des droits explique que le législateur a simplifié les procédures d’octroi des prestations pour accélérer le traitement des dossiers et donc l’ouverture des droits. Certains droits s’ouvrent ainsi sur le fondement des déclarations des usagers. Ce qui est bien pour réduire les démarches administratives note le rapport. Cette évolution, très pratique, ne permet pas la sécurisation de la demande de prestation, car "les organismes ont tendance à ne vérifier les éléments déclarés par l’usager — situation de famille, situation professionnelle et financière — que plusieurs mois voire années après avoir versé les premières prestations". La demande de prestation peut avoir été mal remplie, de bonne foi et la personne sera considérée comme fraudeuse alors qu’une vérification aurait permis en amont d’éviter ce problème. "Face à cette situation tout à fait paradoxale où l’usager est pris en tenaille entre une procédure déclarative d’accès aux prestations sociales, propice aux erreurs, et un dispositif de plus en plus étoffé de lutte contre la fraude, véhiculant la suspicion d’une fraude massive de la part des bénéficiaires, le dispositif de lutte contre la fraude aux prestations sociales mérite d’être analysé à la lumière des droits des usagers des services publics", avance d’ailleurs le Défenseur des droits.

Dans son rapport, le Défenseur des droits indique que "les atteintes aux droits des usagers et aux principes susceptibles de les garantir, tels que l’égalité devant les services publics, la dignité de la personne ou encore les droits de la défense, affectent chacune des étapes de la mise en œuvre de la politique de lutte contre la fraude aux prestations sociales (de la détection de la fraude à sa sanction, en passant par le recouvrement des sommes indument versées)". "Ces atteintes résultent à la fois de certains excès, entretenus par le développement d’une rhétorique de la fraude alimentée par de nombreux discours "décomplexés", et de causes plus structurelles que le Défenseur des droits s’est attaché à relever".

Des règles et des pratiques plus cohérentes

Le cadre juridique en vigueur ainsi que certaines procédures qui en découlent sont complexes et opaques, note le rapport. Ils ne permettent pas toujours à l’usager d’identifier les difficultés ou de mesurer les enjeux de chacune de ses déclarations faîtes pour le bénéfice de prestations. Ce dernier peut alors commettre des erreurs de bonne foi, abusivement assimilées à des pratiques frauduleuses. En effet, la définition extensible de la notion de fraude conduit souvent à assimiler l’erreur et l’oubli à la fraude. C’est la raison pour laquelle le Défenseur des droits préconise, parmi de nombreuses recommandations, de modifier les dispositions de l’article L. 114-17 du code de la Sécurité sociale afin que l’intention frauduleuse devienne un élément constitutif de la fraude.

Mieux informer les bénéficiaires

Face à cette complexité du cadre juridique, il incombe nécessairement aux organismes de protection sociale de mettre en œuvre l’obligation d’information à laquelle ils sont tenus. Il apparaît urgent de délivrer une information intelligible s’agissant des droits et obligations des usagers de l’administration, tout en veillant à son accessibilité, demande le Défenseur des droits. Pourtant, comme le souligne à plusieurs reprises ce rapport, on "assiste à une détérioration certaine de la relation entre les usagers du service public et les organismes en charge du service et du contrôle des prestations sociales, qui affecte la qualité de cette information". Le Défenseur des droits recommande en particulier de simplifier et d’harmoniser le contenu des obligations déclaratives et des procédures de demandes de prestations. Il devient également urgent de diffuser des instructions claires auprès des organismes de la branche famille s’agissant de la notion de concubinage (conditions cumulatives et recherche de la preuve) qui impacte significativement la prise en compte des ressources pour le calcul d’une prestation.

Renforcer les droits de la défense

Afin d’être mise en mesure de se défendre, la personne soupçonnée de fraude doit être "informée dans le plus court délai, de la nature et de la cause de l’accusation" (article 6 §3 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales), précise le Défenseur des droits. Dans ce cadre, doivent lui être notifiés les griefs qui pèsent contre elle, afin qu’elle puisse prendre connaissance des arguments de fait et de droit susceptibles de lui être opposés. "Le renforcement de la lutte contre la fraude aux prestations sociales, qui s’appuie à la fois sur des sanctions financières et sur le fichage des usagers considérés comme fraudeurs par les organismes, ne saurait s’affranchir de ces règles fondamentales", note le rapport. Le Défenseur des droits recommande ainsi de renforcer la formation des agents en charge du contrôle en insistant sur le caractère contradictoire de la procédure, les règles déontologiques afférentes à la fonction de contrôleur, leurs droits et devoirs et ceux des usagers et sur les règles de rédaction d’un procès-verbal.

Préserver la dignité des personnes

Le développement de la répression des bénéficiaires de prestations convaincus de fraudes à l’issue des opérations de contrôle tend à la fois à faciliter la récupération des indus et à alourdir les sanctions. Cette orientation ne doit toutefois pas faire oublier que les prestataires conservent des droits, et notamment celui de vivre dans la dignité, indique le rapport. Cette exigence conduit le Défenseur des droits à recommander, pour les bénéficiaires suspectés de fraude, d’instaurer un délai maximal de suspension du versement des prestations en cas d’enquête en cours et pour les personnes convaincues de fraude, de garantir la bonne application des dispositifs juridiques encadrant le recouvrement des indus frauduleux, au moyen d’instructions nationales rappelant les principes fondamentaux en la matière : reste à vivre et application d’un échéancier de remboursement personnalisé.

Pour le Défenseur des droits, il conviendrait également de "s’interroger sur la généralisation d’un droit à l’erreur pour les demandeurs et bénéficiaires de prestations".

(1) : Ce calcul a été réalisé à partir des montants de fraude détectée en matière fiscale, de cotisations sociales et de prestations sociales en 2015.