Prix du médicament : des mesures attaquées, mais validées (Partie 2)

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Thérapeutiqueprix du médicament

Le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale du quinquennat de François Hollande (PLFSS 2017) a été adopté le 5 décembre dernier. Le texte comporte deux articles importants, les articles 97 et 98, qui portent sur le régime des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et modifient de façon majeure les modalités de fixation des prix des médicaments en France. Ils ont été sévèrement attaqués par les industriels du médicament et les parlementaires de l’opposition. Le Conseil constitutionnel les a validés. Seronet fait le point. Seconde partie.

Article 98 : rééquilibrer le rapport de force entre le CEPS et les laboratoires

Le CEPS (1) est chargé de la fixation des prix du médicament après avis de la Commission de la transparence (CT) et, pour les médicaments les plus coûteux, après avis de la Commission d’Evaluation économique de Santé publique (CEESP) de la Haute Autorité de Santé (HAS). Le CEPS disposait jusqu’alors de quatre critères légaux pour fixer le prix des médicaments, dans le cadre de négociations conduites avec les laboratoires pharmaceutiques :
- le niveau d’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR), et le cas échéant de son évaluation médico‐économique,
- le prix des médicaments à même visée thérapeutique déjà disponibles sur le marché,
- le volume des ventes prévues ou constatées,
- les conditions prévisibles et réelles d’utilisation du médicament.

Dans le cas où la négociation n’aboutissait pas, le CEPS pouvait toujours fixer le prix de façon unilatérale mais ce mécanisme a été très peu utilisé. Jusqu’alors, le CEPS ne pouvait se fonder sur d’autres critères et les tribunaux administratifs l’ont plusieurs fois rappelé à l’occasion de différents contentieux initiés par des laboratoires pharmaceutiques insatisfaits des prix retenus par le CEPS.

L’article 98 entend sécuriser la pratique du CEP en ajoutant de nouveaux critères pour la  fixation et la baisse du prix des médicaments et des dispositifs médicaux. L’article 98 mentionne ainsi que le "prix de vente (…) peut être fixé à un niveau inférieur ou baissé par convention (2) ou, à défaut, par décision [du CEPS]", selon au moins un des critères suivants : l’ancienneté de la mise sur le marché, la fin du brevet, l’arrivée d’une première version générique du médicament concerné, le prix net, le prix d’achat constaté du médicament concerné et des médicaments concurrents, le coût net du traitement médicamenteux pour l’assurance maladie obligatoire lorsque la spécialité concernée est utilisée concomitamment ou séquentiellement avec d’autres médicaments (3), l’existence de prix ou de tarifs inférieurs dans d’autres pays européens présentant une taille totale de marché comparable, etc.

En cas d’échec des négociations, le CEPS peut toujours fixer le prix de façon unilatérale… En renforçant les moyens légaux du CEPS, le législateur entend rééquilibrer le rapport de forces dans la conduite des négociations aboutissant à la fixation et à la baisse des prix des produits de santé remboursables.

Les arguments des députés pour attaquer l’article 98

Dans ce cas aussi l’article est particulièrement détaillé et complexe. Rebelote donc dans la saisine des députés. Ces derniers considèrent que l’article est rédigé de telle façon, qu’il ne peut pas être compris et qu’il est, de ce fait, inapplicable donc inconstitutionnel. Parmi les points avancés pour le contester, on trouve celui de la comparaison tarifaire avec les autres pays européens. Pour les députés : "Cette disposition qui vise le prix net obtenu dans les autres pays européens comparables dépasse largement ce que prévoit l'actuel accord-cadre sectoriel qui se réfère au prix (facial) des autres marchés européens de référence". Pour les parlementaires : "Cela fait fi des disparités existant nécessairement entre la France et les législations de ces autres pays européens comparables. Si la législation nationale impose de publier au Journal Officiel, le prix public de vente (prix facial négocié avec le laboratoire, hors les remises), tel n'est pas nécessairement le cas des autres pays européens comparables qui seront définis dans le décret d'application de la loi. En outre, si le prix public dans ces pays était accessible, il s'entendrait hors les remises commerciales consenties par le fabricant ou l'exploitant du médicament. En effet, comme en France, les remises accompagnant le prix fabricant hors taxes négocié entre l'entreprise et le CEPS sont couvertes par le secret des affaires et donc confidentielles". En fait, les parlementaires ont essayé de vendre l’idée que d’un pays à un autre le prix ne serait jamais sur la même base de calcul, faussant ainsi toute comparaison.

Autre argument : le secret des affaires. Secret des affaires, tout est dit !Pour l’opposition, l’article 98 aurait pour conséquence que le CEPS soit obligé de rendre public le prix réel et pas seulement le prix facial (soit le prix public, hors remises confidentielles) des concurrents pour justifier sa décision de prix. Très clairement, ils considèrent que c’est une atteinte grave au secret des affaires. De là découle un autre argument : "L'article 98 porte (…) atteinte à la liberté d'entreprendre et tout particulièrement à la libre concurrence garantissant le respect du secret industriel et commercial (…) La libre concurrence entre opérateurs intervenant sur un même marché économique est une composante de la liberté d'entreprendre, au même titre que la liberté du commerce et de l'industrie." Et la saisine d’expliquer : "Certaines des modalités du nouveau dispositif [que prévoit l’article 98, ndlr], n'apportent pas suffisamment, pour les opérateurs concernés, de garanties légales sur le respect, par le comité économique dans son action de régulation des prix des médicaments remboursables, du secret industriel et commercial".

Le LEEM en mode critiques, le Conseil constitutionnel valide

Là encore, on retrouve ces arguments dans la communication du LEEM (Les entreprises du médicament). Dans un communiqué (octobre 2016), le LEEM explique : "En ce qui concerne la réforme des règles de fixation unilatérales du prix des produits de santé par le CEPS, le LEEM estime que [l’article 98, ndlr] traduit une vision étatiste des relations entre la puissance publique et les industriels".

Le Conseil constitutionnel n’a pas davantage partagé l’analyse des députés concernant ce second article. Dans son avis du 22 décembre, il explique ainsi : "Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi".  Revenant sur l’argument des comparaisons de prix avec d’autres pays européens, le Conseil constitutionnel d’explique d’une part que "le critère justifiant une baisse du prix d’un médicament tiré de l’existence de tarifs, de prix ou de coûts de traitements inférieurs dans d’autres pays européens n’est pas inintelligible" et que d’autre part, s’il est vrai que le CEPS doit respecter le secret commercial et industriel, il n’en demeure pas moins que "si ce comité peut prendre en compte les remises consenties sur d’autres médicaments pour baisser le prix d’un médicament, il lui revient de le faire dans des conditions préservant le secret commercial et industriel des titulaires des droits d’exploitation de ces autres médicaments. Le grief tiré de l’atteinte à la liberté d’entreprendre doit donc être écarté".

Même conclusion que pour l’article de loi précédent : il est validé.

Les discussions sur la question du prix du médicament restent complexes et le théâtre d’affrontements tendus entre l’Etat et les laboratoires pharmaceutiques. Le LEEM se veut très offensif tout en précisant qu’il reste prêt au dialogue, passant au gré des communiqués de la colère à la conciliation. Il est dans son rôle, mais on voit bien que l’Etat est préoccupé par  la maîtrise des coûts et  l’équilibre d’un consensus entre ceux qui vendent et ceux qui paient. Ces deux articles de la LFSS pour 2017 en attestent puisqu’ils renforcent le cadrage législatif et financier des dépenses. Ce n’est pas un hasard — et sans doute le résultat d’un efficace lobbying du LEEM — si l’opposition a manifestement passé beaucoup de temps à tenter de faire censurer ces deux articles par le Conseil constitutionnel.

Il n’en reste pas moins que ces avancées, elles sont réelles, ne permettent pas d’apporter la véritable solution à la question de la fixation des prix des médicaments en France. De nombreux sujets (la réforme du système des brevets, le rôle des patients et de leurs représentants dans les instances d’évaluation des médicaments et de fixation de leurs prix, etc.) ne sont ainsi pas encore abordés. A la suite de ces avancées importantes : une grande réforme reste encore à faire.

Remerciements à Magali Léo du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss).

(1) : Ne siègent au CEPS que des représentants de l’Etat : Sécurité sociale, Direction générale de la Santé, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Direction générale des entreprises, Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, Caisse nationale du régime social des indépendants et de la Caisse nationale de la mutualité sociale agricole, etc.
(2) : Il s’agit d’un accord entre le CEPS et un laboratoire.
(3) : On en a un très bon exemple avec le Sovaldi (sofosbuvir) qui ne s’utilise jamais seul.

Lire la première partie.