Prix du médicament : des sacrifices et une réforme ?

Publié par jfl-seronet le 03.09.2017
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Thérapeutiqueprix du médicamentaccès aux soins

En mai dernier, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) organisait un colloque "Médicaments innovants, garantir l’accès aux soins" pour poursuivre la réflexion initiée par un avis du Cese sorti quelques mois auparavant. Colloque décevant, marqué par les résultats d’une enquête Ipsos qui indique que face à la dérive des prix des traitements médicaux innovants les Français sont prêts à des sacrifices. Troublant.

Les niveaux très élevés des prix récemment demandés par les industriels pour certains traitements innovants ont interpellé la communauté médicale, la société civile et l’opinion publique. Alerté sur le risque que la France se mette à sélectionner les personnes bénéficiaires de ces traitements — ce qui a été le cas avec le Sovaldi, le médicament anti-VHC de Gilead — le Conseil économique, social et environnemental (Cese) s’était autosaisi de ce sujet et avait adopté en janvier 2017 un avis "Prix et accès aux traitements médicamenteux innovants". Le 19 mai dernier, il organisait un colloque "Médicaments innovants, garantir l’accès aux soins" afin de prolonger la réflexion sur deux axes. D’abord, comment sauvegarder une juste rémunération de l’innovation et l’accès de tous et toutes aux nouveaux traitements ? Ensuite, voir si serait utile une coordination européenne et internationale en faveur d’une rémunération adéquate de l’innovation thérapeutique ? Durant deux heures, des expert-e-s ont échangé leurs arguments. Défense des laboratoires pharmaceutiques et dénonciation de la politique gouvernementale (ancien gouvernement) qui met la pression sur l’industrie du médicament pour Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, le syndicat des laboratoires pharmaceutiques. Critiques acerbes et laminage des arguments des laboratoires pharmaceutiques avec Olivier Maguet, responsable pour Médecins du Monde de la campagne "Le prix de la vie" sur les dérives des prix des médicaments. Rappel de l’engagement de la société civile par Yann Mazens, directeur de SOS Hépatites, un des rares orateurs à parler des conséquences de la dérive des prix sur la vie des personnes malades. De fait, les interventions n’ont pas permis de répondre aux deux grands sujets que le Cese souhaitait approfondir. Dans sa conclusion, Etienne Caniard, vice-président de la Matmut et membre du Cese, a bien pointé le fait qu’existait aujourd’hui une "irrationalité de la fixation des prix des médicaments". Pour celui qui est également président de la Fondation de l’avenir pour la recherche médicale appliquée, on ne se pose pas les bonnes questions. Par exemple, pour lui, la question de la solvabilité (l’Etat a-t-il les moyens de payer ou non les prix demandés par les laboratoires ?) ne doit pas masquer le fait que le problème principal est celui de l’organisation des soins, de l’efficience… qui, si elles étaient mises en œuvre,  permettraient des économies et poseraient sans doute différemment la question de la soutenabilité financière du système de santé versus les prix de l’innovation médicale. De même, préconise-t-il l’introduction du critère de maladie grave dans le SMR (service médical rendu), un des critères de fixation du montant du remboursement d’un médicament par la Sécurité sociale, évalué par la HAS. Pour lui, il faut mesurer les performances des médicaments, notamment sur le long terme pour voir si les prix sont légitimes, s’ils doivent évoluer, notamment à la baisse. Il s’agit d’une évaluation constante qui jouerait sur l’évolution des prix.

Il explique ainsi que le prix peut être fixé à partir du coût (de fabrication, de l’investissement en recherche et développement), mais qu’il pourrait aussi l’être en fonction des économies potentielles que le médicament peut engendrer : un traitement qui évite des complications et donc des soins supplémentaires, un traitement qui permet de guérir en un temps court, etc. Bien sûr, l’industrie du médicament a besoin de visibilité, mais étant donné les relations actuelles qu’elle entretient avec l’Etat, on serait, de son point de vue, clairement dans un accord plutôt "perdant-perdant" ! "Nous avons besoin de mettre à plat un système complexe qui nourrit l’opacité", conclut-il.

Opaque, complexe… c’est un peu le sentiment qui domine dans la plupart des interventions. Alors comment faire pour simplifier le bazar et sortir du secret ? Ces questions, on aurait bien aimé qu’elles soient posées par l’enquête commandée par le Cese à l’institut Ipsos à l’occasion de ce colloque. Ce ne fut pas le cas. L’institut a bien enquêté sur le prix des médicaments innovants, mais a plutôt cherché à savoir à quels sacrifices étaient prêts les Français pour avoir accès aux médicaments innovants. Ainsi Ipsos a demandé à son panel (1) si, pour équilibrer les comptes du système de santé, il faut en priorité plutôt augmenter les impôts ou plutôt diminuer les remboursements des soins médicaux. Résultat ? Près de 39 % des personnes préfèrent augmenter les impôts et 38 % diminuer les remboursements des soins médicaux ; 23 % ne se prononcent pas. Du coup, l’institut nous explique que les "Français sont très partagés sur les moyens à employer pour équilibrer les comptes du système de santé. Ipsos a aussi cherché à savoir si les Français étaient d’accord ou pas pour plafonner le prix des médicaments innovants pour permettre à tous d’en bénéficier, au risque que le prix des autres médicaments augmente. Ce qui, au passage, est une hypothèse de l’institut de sondage, qui n’est pas sans biais. Elle demande ainsi si les Français sont en faveur d’un contrôle plus contraignant des prix de l’innovation au risque d’une contrepartie pour les laboratoires. Résultat ? Plus de trois Français sur quatre estiment qu’il faut plafonner le prix des médicaments innovants dans le but de permettre à tous d’en bénéficier : 42 % sont tout à fait d’accord, 35 % plutôt d’accord… A noter que plus on est âgé, plus on est d’accord avec cette mesure : 84 % des personnes âgées de 70 ans et plus y sont favorables. Et manifestement, on ne s’effraie pas d’une contre partie.

Passons aux sacrifices. Ipsos a demandé aux Français s’ils seraient favorables au déremboursement de certains médicaments classiques pour permettre de mieux rembourser des médicaments innovants plus efficaces. Résultat ? Plus de trois Français sur cinq sont favorables à un déremboursement de certains médicaments pour permettre de mieux rembourser les médicaments innovants. La question peut surprendre car elle avance que les prix seraient fixés et leurs remboursements aussi selon un système de vase communicant, c’est plus complexe que cela. Et on voit d’ailleurs que cela ne fonctionne pas ainsi. de plus en plus de médicaments connaissent des déremboursements partiels ou complets sans que cela change quoi que ce soit aux prix extrêmement élevés des innovations thérapeutiques dans le VIH, le VHC, le cancer, pour ne citer que celles-là. La dernière question de l’enquête d’Ipsos entérine, quant à elle, la sélection des bénéficiaires. On a demandé aux Français si, pour faire face à la hausse des prix des médicaments, ils étaient favorables à ce que les personnes gravement malades ou les personnes âgées soient remboursées en priorité. Autrement dit, gratuité pour les uns sur critère d’âge et d’état de santé et accès conditionné pour tous les autres… qui seraient moins bien remboursés. Résultat ? Eh bien, 74 % des personnes interrogées sont d’accord pour que les personnes âgées soient prioritaires dans le remboursement et 85 % pour que le remboursement prioritaire aille aux personnes les plus gravement malades.

Il n’est pas anodin, dans le contexte actuel et après l’épisode du Sovaldi, qu’on pose ainsi la question de l’accès à l’innovation médicale. Bien sûr, on pourrait se satisfaire des résultats qui sont le signe qu’une majorité de Français restent solidaires des plus âgés et des plus faibles. C’est toujours rassurant. Mais il n’en demeure pas moins qu’une fois de plus l’enquête évacue bien facilement les questions de fond. Ces résultats biaisent un peu plus le débat puisqu’ils laissent supposer que face à la dérive des coûts des traitements les Français sont prêts à des sacrifices (moins de remboursements, sélection des bénéficiaires…) plutôt qu’à une réforme de fond du système de fixation des prix du médicament en France. Bref qu’ils préféreraient subir des mesures pénalisantes que modifier le système qui en est la cause directe. Ceux qui ont intérêt à ce que ce système ne change pas doivent apprécier.

(1) 955 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgé de 18 ans et plus. Enquête réalisée du 27 au 29 avril 2017, par téléphone, méthode des quotas.