Produits : des femmes témoignent de leurs parcours

Publié par Rédacteur-seronet le 08.03.2013
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Le 8 mars 2013 se déroule, comme chaque année, la Journée internationale des femmes. A cette occasion, AIDES a souhaité donner la parole aux femmes qui consomment des produits psychoactifs qui, contraintes à rester dans l’ombre, sont confrontées à des enjeux de santé et difficultés de vie spécifiques. Pour cette journée, Seronet vous propose de découvrir (ou redécouvrir) des parcours de vie de femmes qui se sont investies dans cette brochure inédite : Je consomme… et alors ?. Voici ce que Carla, Nathalie, Leïla, Laura, Carla, Isa voulaient dire.

Carla

Quand j’ai commencé à me droguer, je ne le faisais que le week-end. Pour m’en payer, j’ai commencé par voler, ne presque plus manger et j’ai fini par atterrir à la rue. Je me droguais de plus en plus, il fallait la payer cette drogue. J’ai commencé à travailler comme strip-teaseuse dans des sex shops, puis je suis passée à hôtesse de bars de nuits, puis escort girl, voire plus. Je ne faisais pas le trottoir à proprement parler.

J’avais récupéré des numéros de téléphone de messieurs qui venaient me voir dans les sex shops et les bars et je les ai rappelés en proposant mes services. J’étais plutôt bien payée et le fait de me faire belle devant le miroir avant les rendez-vous m’amusait. Tant qu’on faisait que discuter et passer une bonne soirée ça allait, mais quand il fallait aller plus loin, je commençais à regretter d’être venue. Mais j’allais quand même jusqu’au bout. Je ne voulais pas rendre l’argent, j’en avais besoin pour ma drogue.

J’étais mi-heureuse (d’avoir de quoi payer ma drogue), mi-dégoûtée de moi-même. L’odeur des clients restait plusieurs jours malgré les douches et les frottements que je m’infligeais pour me nettoyer. Quand je rentrais d’une soirée vers mon squat, j’avais l’impression que tous les gens que je croisais savaient et me jugeaient, se moquaient de moi.

A l’époque, je vivais seule avec mes deux chiens et ma drogue. Puis un jour, j’ai rencontré mon copain. Il m’a aidée à me sentir mieux. J’ai découvert le sexe par plaisir et non par obligation. J’ai commencé un traitement méthadone, vu des psy pour apprendre à m’aimer et à imposer des limites aux autres. Maintenant, j’ai complètement arrêté. C’est vrai que j’ai moins de thunes, mais je me sens mieux et plus joviale.

Nathalie

Je repense à la prison… J’y suis allée pour divers vols. Enfin, le problème, c’est pas le vol : c’est la came. Il faut dire que j’ai commencé tôt...

A 7h, les matonnes ouvrent la porte. Pour voir si on est en vie, elles nous disent de remuer dans le lit : "BONJOUR, REMUEZ, A PLUS TARD". A force, c’est une habitude. A 9h, la promenade hyper attendue, et après, l'heure fatidique : le courrier. Ça va jouer grave sur ton moral : bonnes ou mauvaises nouvelles ou pas de nouvelles du tout.

Puis à 13h45, l’impatience de savoir si on a une visite, d’une demi-heure maximum. J'en avais très peu, surtout mon fils. Il a toujours demandé à me voir. Ça faisait que renforcer nos liens, même si ce n'était pas toujours drôle. A chaque fin de parloir, j'avais une boulle à la gorge et c’était des adieux comme si on n’allait plus jamais se revoir. Le parloir "à double tranchant" je l'appelle. Déprimant.

Ensuite, deuxième promenade, pour le meilleur et aussi le pire… Avec les disputes, ce n'est pas tous les jours rigolo.

A 17h30, repas dégueulasse de préférence, puis à 18h, l'horrible bruit de la fermeture des verrous : un très gros "CLAC, CLAC" dans la tête, tous les soirs et tous les matins.

Je repense à ces années et surtout au bruit de ces putains de clefs qu’on aimerait détenir pour s'enfuir. A  chaque fois que j'entends le bruit des clefs, ça me fait mal au bide : je pense à la liberté et surtout à l'enfermement et au pouvoir des matonnes sur nous. Je les hais grave…

La prison, c’est la "SPA des humains", c’est ce que m’a dit un pote, mais c’est vrai : on n’est qu’un numéro d'écrou.

Tous les matins à 8h, c’est l’heure de la substitution. C’est contraignant, il faut sortir du lit, mais c’est un moment personnel où je vois un infirmier psy et où je peux m’exprimer librement. Du moins dans cette prison parce que dans une autre, c’était affreux. On me stigmatisait totalement, et tous les matins j’entendais : "T’es qu’une sale toxico. Tiens, ta drogue. C’est quand que tu arrêtes ?".

C'est aussi l'occase de croiser des hommes, chose rarissime, sauf les matons qu’on ne regarde pas vraiment comme humain… Enfin, un me plaisait pas mal ; il avait de beaux yeux et une bonne paire de... de clefs surtout.

Je me souviens d’un soir où on a mis une fille avec moi, juste pour la nuit. "Elle sera transférée demain", ils me disent. Quel dommage… On a fait l’amour toute la nuit, à se manger le clitoris, à s’embrasser... Une nuit d’extase "mutuELLES" appréciable dans ces nuits de solitude…

Tout ça pour dire que j'ai des très mauvais souvenirs en taule comme de très bons…

Leïla

J’ai commencé vers 17 ans, en festif : ecstasy, speed et pétard pour redescendre. Seulement, quelques années plus tard, j’ai connu l’héroïne, la cocaïne "en fumette", un mec qui deale un peu et la rencontre amoureuse. J’y ai goûté comme ça et je trouvais ça dégueulasse. A ce moment-là, on croit gérer le produit, que l’amour réciproque fera le reste.

Et là, pas du tout, car le manque physique et psychologique gagne toujours sur l’amour. On est en colère contre soi et contre l’autre de nous avoir fait découvrir cette m… et on se déchire.

Bref, cela devient un cercle vicieux. Comme le chat qui court après sa queue, "on tourne en rond", autour de ça. On se crée une bulle rien qu’autour de notre "amie-ennemie".
Nos ami-e-s/ennemi-e-s aussi sont l’entourage car, quand tu veux arrêter, on t’incite à consommer. Mais c’est possible de tout arrêter, en ne fréquentant plus ces personnes, ou en s’exilant dans une autre ville. C’est mon parcours. La substitution peut aider mais pareil, il faut savoir gérer car ça peut être une autre dépendance.

Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour dire qu’il est vraiment possible de combattre cette addiction. Les médecins sont plus à l’écoute, et les associations font du bon boulot pour prévenir les dommages collatéraux. J’aurais tant aimé que mes potes qui ont connu cette descente aux enfers sachent que ce n’est pas un combat vain.

Laura

Placée à l’ASE (anciennement DDASS) à l’âge de 8 ans, les travailleurs sociaux nous ont toujours interdits à ma sœur et moi de voir notre frère. Pour quelles raisons ? Des préjugés, comme d’habitude… Mon frère étant poly-dépendant et ayant fait plusieurs fois de la prison était considéré comme un danger. Ils n’ont même pas pris la peine de le rencontrer ou d’entendre notre demande. De quel droit peut-on empêcher un homme de voir sa famille à cause de sa "différence" ? J’ai comme réponse que de l’incompréhension et de la colère…

Carla

Un soir, avec des potes, on a pris du LSD. Je ne savais pas que je n’étais pas assez forte pour le supporter. J’ai commencé par "paranoïer", "psychoter" et me sentir très mal. J’avais l’impression que tout le monde me connaissait par cœur et me méprisait, qu’on m’observait, qu’on riait de moi, qu'on me trouvait pathétique. J’essayais de me raisonner, mais la psychose était trop forte.

Je me suis recroquevillée et j’ai attendu que la mort arrive. J’étais tellement mal que je voulais que tout s’arrête. J’ai fini par "dépercher", mais je suis restée plusieurs jours choquée par cette expérience, la plus dure que j’aie jamais vécue. J’ai réessayé le LSD car mes amis me disaient que j’avais été mal entourée ou dans un mauvais jour. A chaque fois, un désastre.

J’ai dû arrêter les champis hallucinogènes, le shit et la beuh car ça me faisait des remontées de trips et je repsychotais automatiquement. Le plus dur a été d’arrêter le shit car j’en fumais tous les jours, par habitude je crois.

Mais malheureusement, les bad trips ont continué : d’abord une fois par-ci par-là, puis plusieurs fois par semaine. Actuellement, j’ai un traitement psychiatrique pour mes hallucinations visuelles, auditives, sensorielles et odorantes. Je ne sais pas dans quel état je serais maintenant si je n’avais pas arrêté. Certaines drogues ne vont pas à tout le monde, je l’ai appris à mes dépens…

Isa

Etant consommatrice de produits, je venais à AIDES au CAARUD [Centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, ndlr]. Je passais de temps en temps pour discuter avec les animateurs, prendre du matos… C'était un endroit où je me sentais bien, où je pouvais me confier, me poser, en confiance.

On m'a parlé de l'accueil femmes consommatrices de produits. Au début, l'idée de me retrouver entre nanas me paraissait inutile, puis je me suis de plus en plus investie pendant les actions avec les filles. Ça me faisait du bien, et je suis devenue volontaire.

Un poste d'animatrice d'actions était à pourvoir, j'ai présenté ma candidature, et j'ai été embauchée. J'avoue que j'ai vraiment flippé, je n'étais pas sûre d'être à la hauteur. Je me suis posé pas mal de questions, il fallait que j'assure ! Mais pour une fois, j'ai l'impression de faire un boulot utile, où  mon parcours peut être mis à profit.

Le fait d'écouter les autres me permet d'être moins centrée sur moi-même. J'ai mis du temps à prendre mes marques, la frontière entre personne accueillie et accueillante est compliquée à gérer. Les casseroles avec lesquelles je suis arrivée sont toujours là, mais le coté humain, la confiance qu'on m'a donnée, les différents projets mis en place et le non jugement font que je me sens à ma place.

Ces témoignages ont été précédemment publiés dans la brochure de AIDES : Je consomme… et alors ? On peut télécharger cette brochure sur le site de AIDES.