Projet Iccarre d’allègement du traitement VIH : la polémique en débat
Que se passe-t-il avec l’essai Iccarre ? Depuis plus d'un an, rien ne semble bouger au sujet de ce projet d'essai. Qui veut évaluer, lorsque le VIH est déjà contrôlé depuis plusieurs mois, l’efficacité d’une prise d’ARV quatre jours par semaine au lieu de sept. Nous avons demandé à cinq spécialistes français et étrangers reconnus du VIH de nous donner leur avis sur l’essai. En espérant contribuer à ce que la situation se débloque rapidement.

Un essai "en difficulté institutionnelle et financière". C’est ainsi, qu’à mots choisis, Gilles Pialoux résumait sur VIH.org la situation de l’essai Iccarre. C’était fin décembre. Depuis plus d’un an, son promoteur, Jacques Leibowitch, 70 ans, iconoclaste médecin à l’hôpital de Garches, se livre à un important lobbying, inondant les boites mails des cliniciens-chercheurs français d’appels en faveur de sa recherche. Sans grand succès jusqu’à présent…
Le collectif interassociatif TRT-5 [dont l’auteur de ces lignes est membre] a rencontré Jacques Leibowitch et son équipe à deux reprises en 2011. Le 16 janvier dernier, le TRT-5, qui réunit neuf associations de lutte contre le sida (Actions Traitements, Act-Up Paris, Act-Up Sud Ouest, AIDES, Arcat, Dessine-moi un mouton, Nova Dona, Sida Info Service, Sol En Si), a exprimé publiquement "son intérêt et ses questions" vis-à-vis de l’essai, mettant en ligne un courrier adressé en novembre 2011 à l’équipe des investigateurs. Evoquant l’intérêt d’une telle stratégie en termes de "moindre lourdeur dans la vie quotidienne" et de "meilleure tolérance à long terme", le TRT-5 estimait "essentiel que l’essai soit conçu de façon à assurer la meilleure prise en compte de ses résultats dans l’intérêt des personnes vivant avec le VIH".
Sur Seronet, nous avons été parmi les premiers à ouvrir le débat. Puis AIDES a été de ceux qui, au TRT-5, ont plaidé pour que le projet soit présenté publiquement à l’occasion de la Journée scientifique annuelle organisée par le collectif le 12 décembre 2011. Parmi ceux de l’assistance qui vivaient avec le VIH, l’intérêt était franc. Tout comme il l’est sur les fils de discussions sur Seronet.
données publiées
Rappel des faits : depuis 2003, Jacques Leibowitch invite, dans le cadre d’un suivi médical très rapproché, quelques unes des personnes qu’il suit et dont le virus est contrôlé depuis plusieurs mois, à réduire leurs prises d’antirétroviraux. Une prescription hors AMM (autorisation de mise sous le marché) dont le médecin accepte de prendre la responsabilité. De sept jours par semaine, ses patients passent à cinq. Puis à quatre si la charge virale reste indétectable. Puis trois, voire deux, pour quelques rares personnes.
Plus la prise est brève, plus le pourcentage de personnes chez lesquelles elle est suffisante diminue. Mais si l’on en croit Jacques Leibowitch, chez ces personnes dont le virus "échappe au contrôle antiviral, un réajustement rapide de la combinaison antivirale permet de reprendre le contrôle sur le virus". De fait, l’expérimentation a donné lieu à une publication dans une revue scientifique américaine "FASEB", en janvier 2010, portant sur 48 personnes. Puis à une actualisation des données à la conférence de Rome, en juillet 2011, sur 70 personnes cette fois. Le médecin annonce que de nouvelles données seront rendues publiques à la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) qui se tient à Seattle du 5 au 8 mars prochain. [L'étude n'a finalement pas été retenue par le comité scientifique de la CROI, MAJ du 23 février 2011].
L’Université Versailles Saint-Quentin "promoteur" ?
Si l’on en croit Jacques Leibowitch, le principe ferait l’objet d’un brevet de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et de l’Université Versailles Saint-Quentin. C’est cette dernière, où il a longtemps enseigné, qu’a choisi Jacques Leibowitch comme promoteur (responsable juridique) d’Iccarre. Et pas l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), donc. Laquelle a cependant indiqué, courant 2011, qu’elle mettrait ses centres investigateurs à disposition, sous réserve d’un nouvel examen du protocole de l’essai visant à s’assurer de sa sécurité pour les participants.
Pas de financement
Jacques Leibowitch espérait obtenir des financements (notamment via ses contacts à l’Elysée), mais cela na pas été le cas. Evoquant début 2011 un an un essai à 1,7 millions d’euros - un chiffre que certains jugeaient déjà surestimé -, il parle désormais de 3 millions d’euros. Mettant en avant les considérables économies que la stratégie, si elle était validée, pourrait garantir à l’Assurance maladie : selon ses calculs, pas moins de "3 000 à 6 000 millions d’euros en 10 ans", ses patients ayant déjà fait "économiser 1,4 million à la Caisse".
Reste que le médecin n’a aucune perspective sérieuse de financements. L’ANRS a indiqué qu’elle ne pourra contribuer qu’à une part modeste du financement. Ce qui amène au débat suivant, celui du nombre de personnes à inclure dans Iccarre. Certains plaidant (tel Gilles Pialoux à l’Hôpital Tenon) pour une phase pilote démarrant très rapidement, avec un faible nombre de participants. Jacques Leibowitch répondant que pour que la stratégie soit largement acceptée, il faudra "non plus 200 mais 400 ou 500 volontaires". Impasse.
Mode polémique
En attendant, le lobbying forcené sur Internet continue, sur un mode polémique. Exemple d’un des mails envoyés par Jacques Leibowitch : "L’Histoire avec un grand H ou un petit h s’étonnera de ce que les traitements intermittents en cycles courts, deux ans après leur présentation scientifique au FASEB journal du 23 janvier 2010, ne soient pas considérés comme une "actualité" qui vaille, en dépit de leurs conséquences déontologiques et éthiques… A qui profiterait donc la sur-médication ?".
Au fil des mois, de plus en plus de cliniciens-chercheurs confient, en privé, que l’idée d’Iccarre est "bonne". Et/ou "originale". Voire "géniale".
"C’est toujours génial avec Leibowitch, admet l’un deux. Il a de bonnes intuitions. Il est là depuis les débuts de l’histoire scientifique du sida en France, il est à l’origine du premier groupe de travail français et a participé à la découverte du virus". Un autre : "Leibo a toujours été un mec brillant, en dehors de l’establishment scientifique du sida, en dehors de l’ANRS. Toujours à contre courant. Iccarre ne déroge pas à la règle : là encore, contre courant des tendances actuelles. Et ce ne sont pas les laboratoires qui vont soutenir l’essai, vous l’imaginez, car Iccarre est une menace pour leurs bénéfices. Le problème, c’est que Leibowitch présente Iccarre sur un mode polémique. Il s’en prend à l’establishment, qui déteste ça. Alors, personne n’a envie de se lancer. La situation est bloquée". Un dernier : "Les idées géniales appartiennent à ceux qui arrivent à les mettre en œuvre".
En attendant, Jacques Leibowitch (l'écouter dans les matins de France Culture) continue à prévenir ceux qui vivent avec le VIH : "N’essayez pas l’intermittence seul dans votre coin. Ça se fait avec son médecin, dans certaines conditions et avec un suivi rapproché obligatoirement". Mais jusqu’à quand les séropos attendront-ils ?
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Commentaires
on en parle depuis trop longtemps
les associations: BOUGEZ votre CUL !
On en parle...enfin.
Enfin on en parle...
Sans jeter de l'huile sur le feu (espèce de mauvais esprit) je préfère 'Iccarre' à 'Ypergay'. Puisqu'il y en a un qui ne nourrit pas grassement les labos, et qui prend soin des patients. Le même porte un beau nom de héros mythique quand l'autre se trimballe un nom racoleur de boîte de nuit de mauvais goût.
Prendre soin. Voilà une notion que la médecine devrait revoir quand elle nous donne des traitements censés nous maintenir en vie, jusqu'au moment où l'on se prend la poussière cachée sous le tapis des effets secondaires. Effets secondaires que les médecins aux bonnes volontés n'écoutent guère ou d'une oreille distraite, "puisque les analyses sont bonnes".
Après 12 ans de bons et loyaux services (j'allais écrire "sévices"), et de vrais problèmes aux muscles, aux reins, au foie, j'ai adopté le projet ICCARRE. (ou été adopté comme un chien abandonné par la SPA?) Depuis 3 ans, je suis passé de 7 jours à 5, puis à 4 jours avec le même traitement. Puis avec une autre combinaison, de 4 à 2 jours. Je suis donc à 2 jours de traitement par semaine. En vacance 5 jours sur 7. Et c'est drôlement bon. Je me sens plus léger, moins soucieux et mieux suivi. Avec deux jours de traitement (au lieu de 7 jours , hé les gars réveillez vous!) mes analyses sont "toujours aussi bonnes", ma charge virale reste indétectable, mon immunité a légèrement augmenté.
Je dis enfin merci.
Alexandre Bergamini, auteur de "Sang damné" aux éditions du Seuil.
re
@alexandrebergamini
Bonjour,
Pouvez vous nous donner plus de details concernant la suivie medicale s'il vous plait? Des analyses de sang toutes les semaines ou tous les mois? Quels molecules ou traitements avez vous pris? Maintenant, prenez vous 2 jours successives ou une fois tous les 3 jours?
suivi
Pour moi, il s'agit de 2 jours successifs suivis de 5 jours de repos. Par exemple le mardi et le mercredi. Les analyses de sang se font le matin de la première prise, donc le mardi matin AVANT la prise ( et donc après les 5 jours de repos) toutes les 4 semaines dans un premier temps. (environ 4 à 5 mois) Puis toutes les 8 semaines dans un second temps.
Je suis mieux suivi parce que JE me fais mieux suivre, en multipliant les points de vue et en diversifiant les soins. J'accorde une confiance mesurée à mon médecin et nous décidons ensemble de la suite. ( Ce qui n'a JAMAIS été le cas pendant 12 ans de tri-thérapie "normale" aux effets nocifs...alors même que je souffrais et que mon médecin de l'époque trouvait cela "normal"..."continuons, les analyses sont bonnes"...mettant mon diagnostic vital en jeu!)
Je prends actuellement 1 Truvada, 2 Viramunes (200mg) et 1 Videx (250mg) pour une prise. Sur un mois, je prends 8 Truvada, (au lieu de 30), 16 Viramunes (au lieu de 60), et 8 Videx (au lieu de 30)... Sur une année, je vais prendre en tout environ 3 mois de traitement au lieu de 12.
9 mois de traitement en moins dans mon corps et dans ma vie. Pour des résultats d'analyses aussi bons...
Je vous laisse y réfléchir...
Encore un temoignage du meme style ! Bizarre !!!
il est seropos depuis longtemps, s'inscrit sur SeroNet le 1er mars. et par la suite
meme discours, meme parcours, et meme discours CONTRE LES LABOS !!!!!
j'ai du mal a croire au 4 temoignages publies du 1er au 3 mars, par des personnes s'inscrivant le jour meme sur le site !!!
UNE VRAIE AVANCEE!!!
on verra
tu sais entre la version et pensée officielle sur le VIH et ce qui se passe vraiment, tout est loin d'être unfiforme.
Je sais que plein de patients ne prennent pas de TRI chaque jour...Un certain nombre de médecins ( ratachés à des services recherche/hôpitaux) ne suive pas la ligne officielle à la lettre et heureusement.
quant à ces nouveaux témoignages ici ça change quoi? si vrai c'est très enrichissant si faux ça change rien.( seronet peut d'ailleurs vérifier les adresses IP
)
De toute façon ce qui compte c'est que ICARRE ne soit pas bombardé par les labos. Ce serait déjà une énorme avancée pour les séropos.
On se déplace...
Bonsoir,
Je viens de dépublier les deux derniers commentaires qui avaient déjà été postés à la suite du dossier. Je ferme ce fil de discussion, comme ça c'est plus simple pour tout le monde, on discute tous à la suite du dossier où sont concentrés tous les articles et témoignages.
Bonne soirée. Sophie