Queer, drag queen, séropositif, latino, immigré et fier !

Publié par Rédacteur-seronet le 01.05.2023
3 111 lectures
Notez l'article : 
5
 
0
InterviewLolita Banana

Des guirlandes lumineuses au plafond, des perruques (wigs) sur une étagère, une armoire pleine de robes à paillettes… Pas de doutes, nous sommes bien dans l’appartement d’une drag queen. Et quelle Queen ! Lolita Banana a fait sensation en révélant, fièrement, sa séropositivité lors de la première saison de Drag Race France en juillet 2022. Aujourd’hui, elle nous reçoit chez elle, en toute simplicité, dans le 11e arrondissement de Paris. Qui se cache derrière la perruque et le maquillage de Lolita Banana ? Quelle est son histoire ? L’interview sans fard d’un homme queer, séropositif et fier !

Crédit photo : Nina Zaghian

Vous êtes né au Mexique, quelle a été votre expérience en tant que personne queer dans ce pays ?

Lolita Banana : Le Mexique est un pays plutôt tolérant et ouvert d’esprit. Bien sûr, cela dépend de ta ville d’origine et de ta famille. J’ai eu de la chance de grandir dans une famille très ouverte qui m’a toujours soutenu. J’ai réprimé pendant longtemps mon homosexualité car, à la fin des années 90 [Lolita Banana est né en 1985, ndlr], au Mexique, on n’avait aucune représentation queer à la télévision. Je sentais que j’étais un garçon différent. J’aimais l’art, le théâtre et j’ai commencé la danse classique à l’âge de 14 ans. Les codes de la danse classique sont très binaires. Les garçons doivent être forts, musclés et virils. J’ai toujours été petit, mince et délicat et j’étais très complexé par mon côté féminin, alors je faisais tout pour le cacher. Souvent, au collège, on me disait que j’étais efféminé. On me traitait de « pédé », mais j’essayais de passer au-dessus de ça. J’étais un très bon élève, le chouchou des profs, alors je prenais les attaques de mes camarades comme de la jalousie. C’est vers l’âge de 17 ans que mon attirance pour les garçons est devenue une évidence, mais même après mon coming out, je continuais de rejeter tout ce qui était queer. Quand des gens me disaient : « Ça ne se voit pas que tu es gay », je prenais ça comme un compliment. Je disais que la Pride ne me représentait pas et je n’aimais pas du tout les drag queens !

Pour quelles raisons êtes-vous venu vivre en France ?

La France était le pays de mes rêves depuis tout petit. J’étais fan d'Asterix et Obélix dans mon enfance ; ma grand-mère était prof de français et j’ai toujours évolué dans un univers francophone. Pour un ado mexicain de classe moyenne, venir en France était un rêve utopique. J’ai fait un Bac +5 en danse contemporaine au Mexique et la dernière année, j’ai rencontré un Français dont je suis tombé amoureux. Un jour, il m’a dit : « Ma mission au Mexique est terminée. Je dois rentrer à Paris. Est-ce que tu veux venir avec moi ? » Je me suis dit qu’on ne vivait qu’une fois. J’ai obtenu un visa étudiant et j’ai trouvé une école à Marne-la-Vallée pour faire un master en sciences de l’enregistrement. Je suis arrivé à Paris en 2009 et la première année était horrible car je ne comprenais rien. Le français que j’avais appris à l’école était très différent du français de Paris. Les gens parlaient trop vite ou en verlan. J’ai toujours parlé un espagnol riche et soutenu et je me sentais frustré de ne pas maitriser le français. L’année d’après, je suis entré au Conservatoire supérieur de danse et musique à Porte de Pantin pour faire un master en notations chorégraphiques, mais je ne suis pas allé jusqu’au bout, car en 2012 j’ai découvert ma séropositivité…

Dans quelles circonstances s’est faite cette découverte ?

2012 a été une année très compliquée pour moi. J’avais rompu avec mon copain, celui avec qui je suis arrivé en France. Après cette rupture, j’ai rencontré un garçon avec qui j’ai eu des rapports sexuels sans préservatifs à plusieurs, mais le VIH ne m’a jamais traversé l’esprit. En janvier de cette année, je suis tombé malade. J’ai pensé que c’était une grippe car il faisait très froid à Paris, mais, en réalité, j’étais en primo infection sans le savoir. Je n’ai pas fait de test VIH et au bout d’une semaine j’allais déjà mieux. Quelques mois plus tard, pendant l’été 2012, j’ai eu un coup de foudre pour un mec. Au bout de quinze jours de relation fusionnelle, il me propose d’aller faire un test VIH ensemble. J’étais très content ; c’était un peu comme s’il voulait formaliser notre relation. Au moment d’aller récupérer les résultats, le laboratoire m’appelle pour me demander de venir rapidement pour parler avec le médecin. J’étais sous le choc. Je ne m’y attendais pas du tout. Mon mec de l’époque a eu le bon réflexe. Il m’a emmené direct à Saint Antoine et il m’a trouvé un médecin, le jour même. Une semaine après j’étais sous traitement et un mois après ma charge virale était indétectable. Mais le choc de cette découverte a duré longtemps. J’avais surtout peur d’avoir transmis le VIH à mon copain et peur qu’il me quitte. Il est resté. On s’est installés ensemble. Malheureusement, notre couple n’a pas survécu à cette épreuve et j’en ai beaucoup souffert.

Avez-vous dû faire face à des actes ou des paroles sérophobes ?

La sérophobie, c’est avant tout l’ignorance. Quand j’ai été dépisté positif, c’était mon premier test VIH depuis mon arrivée en France. Il y a une vraie peur de se faire dépister et une peur du stigmate lié à ce virus. J’avais une image dépassée du VIH, je ne connaissais rien à U = U ou aux nouveaux traitements. Le plus compliqué aujourd’hui, ça reste les applis de rencontres. Quand je précise que je suis séropositif indétectable, parfois, on me bloque, parfois, on ne me répond plus. Je n’aime pas quand on me demande si je suis clean. Les personnes séropositives ne sont pas sales ! En général, quand on me pose cette question, je réponds : oui car je sors de la douche ! Je ne peux pas transmettre le VIH donc je n’ai aucune obligation de mentionner mon statut sérologique à des partenaires occasionnels, mais si on me pose la question, je dis la vérité. Depuis Drag Race, tout le monde la sait, donc c’est un peu plus simple. Depuis mon coming out en tant que séropositif, je ressens une responsabilité d’informer et je le fais dès que je peux.

Comment est né votre personnage de Lolita Banana ?

Je suis danseur avant tout et je suis venu en France pour vivre de ma passion pour la danse. Pendant l’été 2018, je faisais de l’animation dans un camping de Biscarrosse, à côté de Bordeaux. On avait un show de cabaret et la chorégraphe m’a demandé si ça me dirait de faire un numéro de drag queen. C’est justement l’époque où je commençais à regarder RuPaul's Drag Race alors j’ai dit oui. Mon maquillage était horrible et je ne savais pas danser en talon. Je n’avais personne pour me guider, pas de drag mother [traditionnellement, la drag mother initiait ses protégés-es au drag, les préparait et les coachait pour les balls, concours célèbres à partir des années 1980, ndlr]. Le premier soir, j’avais une coiffe très tropicale avec beaucoup de fruits et une de mes collègues danseuses m’a spontanément appelé Lolita Banana. Ce nom est resté. J’ai beaucoup aimé la réaction du public. C’était un numéro drôle et burlesque et puis j’étais le protagoniste sur le devant de la scène. De retour à Paris en septembre 2018, j’ai participé à ma première compétition de drag, la Drag Me Up, et je suis arrivé jusqu’en demi-finale alors que j’étais un baby drag ! À la suite de ça, on m’a proposé d’animer le Brunch And Queen et ça fait quatre ans que je fais ça tous les dimanches. Je me suis fait un nom dans la scène drag parisienne et c’est ça qui m’a poussé à candidater pour participer à la première saison de Drag Race France.

Pourquoi avoir décidé de faire un coming out VIH dans Drag Race France ?

J’en ai beaucoup parlé avec mon copain, avant. Je voulais son avis. Il m’a encouragé à le faire et c’est même lui qui m’a donné l’idée d’inscrire : U = U, sur mes mains ; c’était son idée. À la base, je voulais mettre un ruban rouge sur ma perruque. Je me suis dit que je parlerais de ma séropositivité si j’arrivais jusqu’à l’épisode de l’émission consacré à Mylène Farmer. Je ne suis pas fan d’elle et je la connais peu, mais je sais ce qu’elle a fait dans la lutte contre le VIH. Je ne voulais pas me déguiser en Mylène. Je voulais apporter une touche très personnelle lors de cet épisode. Mon but, c’était de montrer qu’on peut être séropositif et être une bombe latina, pleine d’énergie sur scène. Je voulais casser l’image du séropo malade et montrer qu’on peut vivre en très bonne santé avec le VIH, mais encore faut-il le savoir.

Quels retours avez-vous eu suite à ce coming out ?

Je dois avouer que j’avais peur d’avoir des réactions sérophobes, des insultes dans la rue. J’avais peur aussi que certaines personnes soient tristes ou aient de la pitié pour moi. Et au final, je n’ai eu que des retours positifs, c’est impressionnant. J’étais très surpris et très ému. Beaucoup de personnes m’ont remercié et j’ai reçu beaucoup de messages privés sur mon compte Instagram. Un ado m’a écrit pour me dire que sa grand-mère lui a annoncé sa séropositivité juste après avoir regardé l’émission ! En soirée, des personnes sont venues me parler, les larmes aux yeux, en me disant qu’elles venaient de découvrir leur séropositivité et que mon coming out leur donnait de la force.

En quoi est-ce important pour vous d’être une personne vivant avec le VIH visible dans l’espace public et médiatique ?

Je pense que je réunis toutes les minorités possibles en moi : Je suis queer, drag queen, séropositif, latino, immigré et j’en suis fier ! Grâce au VIH, ma vie a changé. J’ai commencé à prendre soin de moi, à me respecter beaucoup plus. Je fais attention à mon alimentation. Je fais du sport. Le VIH n’est pas une punition ou une défaite pour moi. En ce qui me concerne, le VIH a apporté beaucoup de choses positives dans ma vie. Bien sûr, je sais que dans beaucoup de pays, le VIH est toujours un drame, mais on a de la chance en France d’avoir accès aux traitements facilement et gratuitement. C’est pour ça que j’ai insisté sur le dépistage dans l’émission. J’ai un petit rituel tous les soirs avant de dormir c’est mettre mes nombreuses crèmes et prendre un verre d’eau avec mon traitement, même si je rentre à 6 heures du matin un peu bourré ! C’est un rituel important où je prends soin de moi. Je prends ce cachet pour me rappeler que je m’aime et que je veux rester en bonne santé. J’aime ma vie, j’aime mon métier et je suis très content de monter sur scène habillé en femme. Le drag m’a permis de me réconcilier avec mon côté queer et féminin. Et même dans la rue parfois, quand je ne suis pas en drag, je porte des vêtements féminins. Être queer, c’est politique. Un homme qui porte une robe dans la rue, c’est politique. Faire un coming out VIH, c’est politique !

Propos recueillis par Fred Lebreton.

 

RuPaul's Drag Race est une émission de téléréalité américaine produite et animée depuis 2009 par RuPaul, célèbre drag-queen. Quatorze saisons de Drag Race ont été diffusées aux États-Unis auxquelles s'ajoutent l'émission dérivée RuPaul's Drag Race All Stars et de nombreuses variantes internationales. La saison 1 de la version française, Drag Race France, à laquelle a participé Lolita Banana, a connu un vif succès pendant l’été 2022. La saison 2 sera diffusée pendant l’été 2023 sur France Télé.