A quelques jours de la mort...

Publié par olivier-seronet le 05.01.2010
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mortGingembre
"Etre hospitalisé à l’hôpital Houphouët-Boigny, même pour une toute autre maladie, laisse malgré tout la place aux ragots de toutes sortes. Il devient même stigmatisant d’y séjourner."

“Nous sommes en mars 1996. Philippe tombe malade. Il consulte dans un centre de soins de Médecins du Monde. On l'oriente vers l’hôpital Félix Houphouët-Boigny à Marseille. Cet établissement est alors spécialisé dans les maladies infectieuses et tropicales. Il accueille principalement les personnes originaires d’Afrique. A la fin des années 80 et au début des années 90, cet hôpital est presque devenu un mouroir… pour les personnes atteintes du sida majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne. A cette époque, dans les communautés africaines, on ne dit pas le mot sida, on évoque “la maladie du siècle”. Comprenne qui veut ! Etre hospitalisé à l’hôpital Houphouët-Boigny, même pour une toute autre maladie, laisse malgré tout la place aux ragots de toutes sortes. Il devient même stigmatisant d’y séjourner.


Philippe est donc orienté vers cet établissement. Il ne supporte pas l’idée d’y être hospitalisé car ce lieu lui rappelle, comme à beaucoup, des souvenirs douloureux. Son frère aîné et sa belle-sœur s’y sont éteints. Il décide donc de quitter cet hôpital à l’insu du corps médical pour se rendre à celui de la Conception. On l'examine. Le diagnostic tombe. C’est le sida. On lui annonce qu’il va être transféré à l'hôpital Houphouët-Boigny. Il refuse, mais le service téléphone malgré tout pour lui trouver une place là-bas. C’est ainsi que la Conception apprend que Philippe y est  recherché car il a clandestinement quitté l’hôpital. A cette époque, il est en situation irrégulière, sans couverture maladie. Du coup, on le renvoie chez lui avec une simple ordonnance pour acheter de quoi soigner un début de pneumonie. Pour la première fois, le mot “sida” est évoqué dans la communauté. On sait les dégâts que cette épidémie cause dans la communauté même si, jusque là, on ne l'évoque qu’à demi-mot. Il faut faire quelque chose car c'est aussi la première fois que nous sommes confrontés au fait de devoir prendre en charge un malade dont l’hôpital public ne veut pas. Après la médiation de l’association AIDES, Philippe est finalement admis à l'hôpital de la Conception, dans un état bien avancé de la maladie. Au bout de quelques jours,
il tombe dans le coma. Un mois plus tard, la situation s’aggrave encore. Les médecins convoquent alors les responsables de la communauté pour prévenir : “Nous savons, pour votre communauté et sa famille, qu’il est important de rapatrier la dépouille du défunt au pays, il va falloir que vous vous y prépariez, il ne passera pas le week-end”. Nous sommes un lundi. Pour la communauté, c’est une mort de plus. Ça commence à faire trop ! Il faut se réunir en vitesse et solliciter pour la énième fois la solidarité de tous pour faire face aux frais de rapatriement du corps. En milieu de la semaine, les médecins nous apprennent qu’ils vont essayer une nouvelle molécule. Un mois après, nous apprenons que Philippe est sorti du coma. On lui rend visite, mais il ne reconnaît personne. Sans le savoir, nous sommes en train de vivre une révolution thérapeutique, pour ne pas dire un miracle qui modifie l’histoire du VIH. Quelques jours après, les médias annoncent la découverte de nouveaux médicaments qui vont permettre aux malades du sida de vivre. On passe d'une maladie mortelle à une maladie de longue durée, une maladie à vie. Pour Philippe, la route, entre doutes et espoir, vers un retour à la vie presque “normale” est longue. Les séquelles tant neurologiques que motrices font craindre le pire. Il lui faut plus de vingt mois, passés dans différents établissements dont un séjour à la maison de Gardanne, pour retrouver une autonomie relative. Treize années se sont écoulées depuis, Philippe vit toujours du côté de Marseille avec une mémoire qui, parfois, lui joue des tours. Il aime bien raconter, non sans humour, comment la médecine avec l’aide de ses dieux lui a sauvé la vie : “Je suis un des premiers malades à bénéficier d’un traitement miracle. Un jour, j’ai fermé les yeux dormant d’un sommeil profond, mais à ma grande surprise le sorcier a ouvert les yeux”. Un jour, je l'ai surpris, dans une rame du métro, en train de prêcher tel un pasteur, racontant ce qu’il appelle son “voyage dans l’au-delà”, devant un public ébahi qui ne croyait peut être pas à son récit. Nous, ses proches, nous savons qu’il est revenu de loin, de la mort... et cela grâce à la médecine. D’ailleurs, s’il est incapable de se souvenir de tout, il n’oublie jamais l’heure de ses pilules.”

Illustration : Yul Studio