Quels vaccins pour les PVVIH ?

Publié par Fred Lebreton le 15.03.2023
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Thérapeutiquevaccinationpvvih

La crise sanitaire, dont on sort péniblement, a réactivé le scepticisme à l’égard des vaccins. Cependant, un certain nombre de vaccins est recommandé pour les personnes vivant avec le VIH, afin de les rendre moins vulnérables aux infections et aux complications liées à certaines maladies infectieuses. Dans ce contexte, Actions Traitements a organisé un webinaire intitulé « Vaccination et VIH : avancées, défis, mythes ».

Un peu d’histoire…

En introduction de ce webinaire, la Dre Anne Simon (infectiologue, aujourd’hui à la retraite) a fait un rapide point historique sur les prémices de la vaccination. La vice-présidente d’Actions Traitements a commencé par rappeler la définition de la vaccination : c’est-à-dire protéger un individu contre une maladie en activant son propre système immunitaire. Des méthodes empiriques de variolisation sont apparues très tôt dans l'histoire de l'humanité, grâce à l'observation du fait qu'une personne qui survit à la maladie est épargnée lors des épidémies suivantes. L'idée de prévenir le mal par le mal se concrétise dans des pratiques populaires sur les continents asiatique et africain.

Anne Simon donne quelques dates clés de l’histoire de la vaccination :
- 1796 : Edward Jenner fait les premières expériences scientifiques de « vaccination » contre la variole.
- 1885 : Le principe de la vaccination a été expliqué par Louis Pasteur et ses collaborateurs Roux et Duclaux, à la suite des travaux de Robert Koch mettant en relation les microbes et les maladies. Cette découverte lui permit de développer des techniques d'atténuation des germes. La première vaccination humaine fut celle d'un enfant contre la rage le 6 juillet 1885.
- 1944 : Création du premier vaccin contre la grippe.
- 1986 : Création du premier vaccin contre l’hépatite B.
- 2020 : Création du vaccin à ARNm contre la Covid-19.

Il existe deux grandes familles de vaccins :
- Les vaccins issus d'agents infectieux avec les vaccins vivants atténués (on injecte à la personne une version modifiée du pathogène contre lequel on veut qu’elle soit protégée) et les vaccins inactivés (qui contiennent l’agent infectieux mort, ou alors fragmenté. Une méthode de vaccination moins efficace sur le long terme et qui nécessite des rappels).
- Les vaccins sans agent infectieux. Parmi ceux-ci, les vaccins à ARN (ARN messager) d'utilisation récente (même si le principe est connu depuis plus d'une dizaine d'années) se révèlent très prometteurs et très adaptables face aux mutations des virus.

Quels vaccins recommandés pour les PVVIH ?

La Pre Elisabeth Bouvet, infectiologue à l’hôpital Bichat - Claude Bernard (Paris) et présidente du Comité technique des vaccinations à la Haute autorité de Santé (HAS) a présenté les nouvelles recommandations de vaccinations pour les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) telles qu’elles seront précisées dans le prochain Rapport d’experts-es qui sortira dans les prochains mois.

Principes généraux : la capacité à produire une réponse immunitaire, ce qu'on appelle l'immunogénicité, est globalement diminuée chez les PVVIH, en particulier quand la charge virale n'est pas contrôlée et les CD4 sont bas (surtout en dessous de 350/mm3). Si la charge virale est indétectable et les CD4 au-dessus de 500/mm3, la réponse immunitaire est bonne, mais légèrement diminuée et semble de plus courte durée en comparaison à la population générale (personnes non infectées par le VIH). Par ailleurs, de nombreuses études ont montré que les PVVIH qui avaient une charge virale élevée et des CD4 bas (en dessous de 350/mm3) avaient plus de risque de faire des formes graves de maladies telles que la grippe, la Covid-19, le HPV (papillomavirus humain), le zona, le pneumocoque, le méningocoque ou le Mpox. Point de vigilance, il est préférable de vacciner les PVVIH quand les CD4 sont supérieurs à 200/mm3). Ainsi, lors de sa présentation, la Pre Bouvet a déroulé la liste des vaccins recommandés pour les PVVIH :

  • Grippe saisonnière : rappel à faire tous les ans pour toutes les PVVIH. Des vaccins efficaces et bien tolérés. Vaccin à haute dose recommandé chez les PVVIH âgées de plus de 60 ans  (souches A ou B).
  • Hépatite A : mêmes recommandations que la population générale (deux doses de vaccin), mais contrôler la réponse immunitaire chez les PVVIH un à deux mois plus tard et faire, éventuellement en cas de non réponse, une troisième dose booster.
  • Hépatite B : 7 % des PVVIH en France sont co-infectées par le VHB et il existe un risque de développer une forme chronique. Vaccin à faire une fois dans sa vie pour toutes les PVVIH qui n’ont pas été en contact avec le VHB. Trois doses pour la population générale. Une quatrième dose est recommandée chez les PVVIH pour une meilleure protection. Si bonne réponse vaccinale, il est recommandé une surveillance (recherche d’anticorps) tous les deux à quatre ans.
  • Pneumocoque : vaccin bien toléré, mais nécessité d’avoir un vaccin combiné en deux doses (Prenevar + deux mois plus tard Pneumovax) pour élargir le spectre de couverture vaccinale. Ce vaccin est recommandé chez toutes les PVVIH quels que soient le taux de CD4 et la charge virale. Un nouveau vaccin contre le pneumocoque va arriver « très prochainement » annonce l’infectiologue. Il faudra donc redéfinir ce schéma vaccinal.
  • Papillomavirus humain (HPV) : risque accru en cas de cancer HPV induit, en particulier chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) dont les CD4 sont bas. Nouveauté : il est recommandé de vacciner toutes les PVVIH de 11 ans jusqu’à 26 ans. Vaccin nonavalent (Gardasil) à trois doses (M0, M2, M6). La HAS a été saisie sur la question d’élargir l’âge de vaccination et il y aura des réponses courant 2023, affirme la professeure, mais ça n’est pas à l’ordre du jour. Des données cliniques sur l’efficacité du vaccin au-delà de cet âge sont en attente précise la Pre Bouvet.
  • Covid-19 : des études ont montré que les PVVIH non contrôlées avaient un sur-risque de forme grave. Il est donc recommandé de faire les rappels et il est fort probable qu’un rappel annuel soit recommandé un peu comme la grippe saisonnière.
  • Mpox : recommandés en particulier chez les HSH. Trois doses au lieu de deux si CD4 inférieurs à 200/mm3. Important car de récentes données présentées à la Croi ont montré un risque accru de mortalité chez les PVVIH co-infectées Mpox qui avaient moins de 200 CD4 et qui n’avaient pas fait ce vaccin.
  • Méningocoque : des données récentes indiquent une augmentation de cette infection dans la population depuis la fin de l’épidémie de Covid. L’incidence chez les PVVIH est supérieure à celle de la population générale quel que soit l’âge avec un risque accru d’hospitalisation. En 2016, une étude américaine a constaté une augmentation de l'infection à méningocoque chez les PVVIH. Vaccin quadruple. Pas de données pour l’instant de l'immunogénicité de ce vaccin chez les PVVIH. Proposition en cours de discussion à la HAS : proposer la vaccination méningocoque ACYW (rappel à cinq ans) et B (rappel entre trois et cinq ans) à toutes les PVVIH.
  • DT Polio : un rappel du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite est recommandé tous les dix ans chez les PVVIH.


Qui peut vacciner ?

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a montré qu’il était possible de simplifier l’accès à la vaccination en cas d’urgence et une loi en cours prévoit un élargissement de la vaccination à plus de professionnels-les de santé. Alors concrètement, qui peut vacciner en France en 2023 ? C’est la question à laquelle le Dr Nicolas Terrail, pharmacien hospitalier au CHU de Montpellier, a répondu :

  • Les médecins peuvent prescrire et administrer tous les vaccins.
  • Les infirmiers-ères peuvent, depuis le 24 avril 2022, administrer quinze vaccins aux personnes de plus de 16 ans sans prescription médicale préalable. Les sages-femmes peuvent également prescrire et administrer ces mêmes vaccins aux femmes enceintes, aux nouveau-nés et aux personnes de leur entourage. Liste de ces vaccins : grippe saisonnière ; diphtérie ; tétanos ; poliomyélite ; coqueluche ; papillomavirus humains ; infections invasives à pneumocoque ; hépatite A et B ; méningocoques (A, B, C, Y et W) ; la rage. En outre, les sages-femmes sont autorisées à prescrire et à pratiquer chez les femmes enceintes ou les personnes vivant régulièrement dans leur entourage les vaccinations contre la rubéole, la rougeole et les oreillons, chez les nouveau-nés, les vaccinations par le BCG, contre l'hépatite B en association avec des immunoglobulines spécifiques anti-HBs chez le nouveau-né de mère porteuse de l'antigène HBs et contre l'hépatite B : les nouveau-nés à Mayotte et en Guyane, selon le calendrier vaccinal en vigueur.
  • Les pharmaciens-nes peuvent administrer tous les vaccins avec prescription médicale aux personnes de plus de 16 ans et peuvent administrer, sans prescription médicale, le vaccin contre la grippe saisonnière, ceux contre la Covid-19 et celui contre le Mpox (pharmacies volontaires).

L'infirmier ou la sage-femme inscrit dans le carnet de santé ou le carnet de vaccination et le dossier médical partagé de la personne vaccinée sur Mon espace Santé la dénomination du vaccin administré, la date de l'injection et son numéro de lot. À défaut, ce-cette professionnel-le de santé délivre à la personne vaccinée une attestation de vaccination qui comporte ces informations. Si la personne vaccinée n'a pas de dossier médical partagé, et avec son consentement, le-la soignant-e transmet ces informations, par messagerie sécurisée, au médecin traitant de la personne vaccinée.

À quand un vaccin contre le VIH ?

C’est la question à un million de dollars à laquelle a tenté de répondre le Pr Jean-Daniel Lelièvre, immunologue au CHU Henri Mondor (Créteil) dans une présentation intéressante mais très (trop ?) technique. L’expert français de la vaccination VIH a plusieurs casquettes puisqu’il est aussi responsable du département clinique au sein du Vaccine Research Institute (VRI) en France et aussi en charge de la Global Vaccine Enterprise pour l'IAS. Dans sa présentation, le Pr Lelièvre rappelle les fondamentaux de l’infection à VIH. Ce qui contrôle une infection ce sont les anticorps, notamment les anticorps neutralisants qui vont bloquer l'infection des cellules. C'est l'induction d'une réponse lymphocytaire CD8. Les chercheurs-ses essaient d'induire ce type de réponse avec un vaccin. Le professeur revient sur la longue histoire de la recherche vaccinale dans la prévention du VIH et ses nombreux échecs. En quarante ans de recherche, neuf essais cliniques en phase avancée de vaccins contre le VIH ont été réalisés, dont les récents Mosaico et Imbokodo. Un seul de ces vaccins a démontré une quelconque efficacité — et seulement à un niveau modeste, qui n'est pas considéré comme suffisamment solide pour une autorisation réglementaire — dans l’essai RV 144, mené en Thaïlande entre 2003 et 2006, dont les résultats ont été publiés en 2009. Dans cet essai, le niveau de protection était de 60 % à un an, mais il baissait à 31 % au bout de trois ans et demi. Une des problématiques du VIH, c'est la diversité du virus avec énormément de souches et cela pose un problème majeur dans l'élaboration d'un vaccin contre le VIH pour être actif contre toutes les souches. L’autre piste est celle des anticorps neutralisants à large spectre (bNAb) qui nécessite des vaccins très particuliers, un peu différents à chaque administration. Une stratégie complexe, mais qui commence à donner des pistes intéressantes.

Alors, quelles sont les pistes actuelles dans la recherche vaccinale contre le VIH ? Le Pr Lelièvre cite les discussions en cours : poursuivre la stratégie des anticorps neutralisants à large spectre en utilisant des plateformes vaccinales performantes (ARN messager, VLP) et de nouveaux adjuvants ; développer les vaccins muqueux, associer les stratégies (bNAb + vaccin T) ou encore étudier la vaccination chez l’enfant chez qui le système immunitaire est sans doute plus propice à induire une réponse efficace. Et le professeur de conclure sur une note optimiste en rappelant que la recherche vaccinale contre le VIH a fait progresser les connaissances fondamentales cliniques (modalités de réalisation des essais), sociétales (implication forte de la communauté de patients-es) qui ont eu des bénéfices indirects clairs dans la mise au point d’autres vaccins (Covid, Ebola, etc.). Il reste donc un long chemin avant de trouver LE vaccin efficace contre le VIH et le rendre accessible de façon équitable à l’échelle mondiale. En attendant, des outils efficaces et disponibles comme la Prep et le Tasp ont tout intérêt à être mieux déployés pour contrôler l’épidémie de VIH dans le monde.