Racolage public : le double langage du PS

Publié par jfl-seronet le 12.04.2013
6 221 lectures
Notez l'article : 
0
 
Politiquedélit de racolage

Une fois encore, on a cru que cela ne passerait pas… comme une malédiction. Et puis finalement si. La proposition de loi d’Esther Benbassa, sénatrice Europe Ecologie Les Verts (Val de Marne), visant à l’abrogation du délit de racolage public a été votée au Sénat… malgré la chausse-trappe des sénateurs socialistes. Cette attitude a considérablement irrité l’auteur du texte. Elle révèle surtout un combat idéologique sur cette question au sein du parti majoritaire.

Le 29 mars, la proposition de loi écologiste sur l’abrogation du délit de racolage public est votée par les groupes de gauche PS, Europe Ecologie Les Verts, CRC (communistes) et RDSE (groupe à majorité parti radical de gauche) ; l’UDI-UC (centriste) s’est abstenue et l’UMP a voté contre. Côté gouvernement, Christiane Taubira, la garde des Sceaux, avait émis un "avis de sagesse favorable". Elle avait insisté sur la "nécessité d’une action plus globale", mais convenait malgré tout que le délit de racolage touche des "victimes", des "personnes fragiles économiquement, socialement et juridiquement". Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, a, quant à elle, rappelé que la France a une position abolitionniste sur le travail du sexe. Elle a expliqué que l’abrogation de ce délit "ne signifie aucunement admettre une quelconque forme d’impunité à l’égard des proxénètes". La ministre et porte-parole du gouvernement a confirmé que le gouvernement souhaitait toujours un "plan global contre la traite des êtres humains à l’automne".

Débats, le PS s’agite

Les positions exprimées par les ministres sont assez révélatrices des débats qui agitent le PS sur cette question. Deux logiques s’affrontent : celle des abolitionnistes qui veulent donc la fin du travail du sexe et la pénalisation des clients comme un des moyens d’y parvenir, celle de ceux qui pensent que cette abolition n’est pas possible et qu’il faut trouver des réponses qui tiennent compte des particularités des différentes formes de travail sexuel. Les deux camps sont d’accord sur la protection des prostituées, même si chacun a son idée des solutions à mettre en œuvre. Cette confrontation est idéologique et a des conséquences sur toutes les initiatives prises sur le sujet, dont celle d’Esther Benbassa. Cela a donné lieu à un sacré pataquès.

Bis repetita

Tout commence en 2012, novembre pour être précis. Esther Benbassa qui a déposé sa proposition de loi d’abrogation du délit de racolage public sur le bureau du Sénat fait l’objet des amicales pressions du gouvernement. Najat Valllaud-Belkacem lui demande de retirer son texte car le gouvernement a pour ambition de mettre en chantier un projet de loi global sur la prostitution. La sénatrice joue le jeu. Ce retrait lui vaut de sérieuses critiques de la part des associations opposées à l’abolition, le STRASS par exemple. Et puis, le temps se passe et rien ne s’annonce. Une députée PS, Maud Olivier, fait un travail sur la prostitution à l’Assemblée Nationale, tandis que deux sénateurs, Chantal Jouanno (UMP) et Jean-Pierre Godefroy (PS) travaillent à un rapport parlementaire dans le cadre d’une mission d'information sénatoriale pour évaluer la situation des personnes prostituées aujourd'hui. Cette mission leur a été confiée par la Commission des Affaires sociales du Sénat, en janvier 2013. L'objectif de la mission est de comprendre qui sont, aujourd'hui, les personnes prostituées : état de santé, conditions d'accès aux droits sociaux, précarité et risques d'exposition à la violence. Par ailleurs, les sénateurs doivent s'attacher à cerner la diversité des profils des personnes prostituées : mineurs, étudiants, ou encore les étrangers en situation irrégulière. Leur travail comme celui de Maud Olivier contribueront à alimenter la future loi sur la prostitution. De son côté, ne voyant rien venir, la sénatrice Esther Benbassa redépose son texte avec l'accord du gouvernement.

Chausse-trappe !

Tout semble rouler sans problèmes. Lors de son examen préalable en commission le PS et le gouvernement appuient la proposition de loi écologiste. La commission des affaires sociales la vote. L’adoption au Sénat ne semble plus faire aucun doute. Mais coup de théâtre lundi 25 mars, le sénateur PS Philippe Kaltenbach dépose au nom de son groupe une motion de renvoi en commission qui, si elle était adoptée, reviendrait à un enterrement du texte. Incompréhension et colère chez les sénateurs écologistes et tout spécialement Esther Benbassa. Il semble que l’initiative des sénateurs socialistes soit la conséquence des pressions d’un collectif d'associations de soutien aux prostituées, "Abolition 2012" ; un groupe qui protestait contre une abrogation "précipitée" du délit de racolage réclamant "une politique globale et abolitionniste". "Il existe un débat au sein du groupe socialiste sur ce texte, il n'a pas encore été tranché", avance alors le sénateur PS expliquant qu'il ne faudrait pas que ce texte soit interprété comme un feu vert donné à la prostitution. Finalement, mardi 26 mars, lors de sa réunion hebdomadaire, le groupe socialiste décide de continuer à soutenir la proposition de loi écologiste et de retirer sa motion.

Un mauvais tour du PS

"Tempête dans un verre d'eau", déplore le président PS de la commission des Lois Jean-Pierre Sueur. Pas vraiment ! Esther Benbassa n’a pas été prévenue de ce mauvais tour, les ministres non plus (rappelons que le gouvernement soutient la proposition de loi), la rapporteur, la sénatrice PS Virginie Klès n’est pas davantage au courant… "C'est un couac et tout le monde est furieux, je ne comprends pas ce qui se passe, c'est une sorte de coup d'état à l'intérieur du groupe PS, tout le monde est atterré", dénonce Esther Benbassa, interviewée par l’AFP. Ce revirement socialiste est très emblématique du combat idéologique auquel le parti est confronté. D’un côté, les abolitionnistes ne veulent pas donner de signes d’un prétendu laxisme (le PS a l’Assemblée Nationale a approuvé la position abolitionniste de la France, c’était sous Nicolas Sarkozy en 2011) ; de l’autre, certains élus entendent privilégier la protection des travailleuses du sexe. Esther Benbassa publiait le 25 mars 2013 un billet intitulé : "Délit de racolage: l'abrogation, sans délai !" sur le site du "Huffington Post" (1). Elle y expliquait sa position.

Sans délai au vote des députés ?

"L'urgence, en ce dixième anniversaire de son instauration, est l'abrogation du délit de racolage dont les effets néfastes ont été soulignés par différents rapports. Y compris celui de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), remis à la Ministre le 18 décembre 2012, qui montre comment la loi de 2003 a contribué à la dégradation de l'état de santé des personnes prostituées et des conditions d'exercice de leur activité, sans renforcer l'efficacité de la lutte contre les réseaux de proxénétisme", écrit la sénatrice. "[La loi sur le délit de racolage de 2003] n'a pas aidé au démantèlement des réseaux. Elle a bien plutôt aggravé la relégation et l'isolement des personnes prostituées en raison de la clandestinité qu'elle a induite. Elle les a rendues plus vulnérables face aux violences. Sans compter l'exposition aux risques de contamination (VIH, hépatite, maladies sexuellement transmissibles) et le développement de pathologies de la précarité (…) La liste est longue des effets pervers de la loi du 18 mars 2003. Et l'on peut craindre que la pénalisation des clients ait les mêmes (…) La loi visant à l'abrogation du délit de racolage que j'ai déposée au nom du groupe écologiste du Sénat au début octobre 2012 figure à l'ordre du jour de la Haute Assemblée le 28 mars prochain, après maintes péripéties. Si elle est votée - et elle peut l'être -, faites ensuite tout ce qui est en votre pouvoir pour la soumettre sans délai au vote des députés. Ne jouez pas la montre pour la faire coïncider avec l'examen de votre grand projet à venir, que celui-ci inclue ou non la pénalisation de l'achat de services sexuels", conclut la sénatrice. A ce jour, aucune date n’est prévue à l’Assemblée Nationale pour l’examen de cette proposition de loi.

(1) "Délit de racolage: l'abrogation, sans délai !", par Esther Benbassa, "Huffington Post", 25 mars 2013.