RDR, TSO et Covid-19

Publié par jfl-seronet le 23.03.2020
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L'épidémie à Covid-19 a un impact sur bien des secteurs de la santé, notamment l'accès aux TSO (traitements de substitution aux opiacés) et aux outils de RDR (réduction des risques) pour les personnes consommatrices de produits. De nombreuses associations sont intervenues auprès des pouvoirs publics pour que soit assuré l'accès continu aux soins et outils de prévention indispensables aux personnes.

L'infection à Covid-19 bouscule dramatiquement le champ de la santé comme celui du médico-social. Si des réponses ont d'ores et déjà été apportées sur certains points, des interrogations demeurent encore, notamment sur l'accès à la prévention, aux outils de réduction des risques (RDR) et aux traitements de substitution aux opiacés (TSO). Très rapidement, les associations et structures spécialisées se sont mobilisées pour mettre en place une continuité de la réponse et des services aux personnes consommatrices de produits, notamment celles qui sont habituellement accueillies dans les Csapa (centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie) et dans les Caarud (centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues). Deux points plus particuliers mobilisent les associations : accès aux TSO donc et accès aux outils de RDR.

La Fédération Addiction a indiqué (17 mars) qu'elle était mobilisée « pour s’assurer que les publics (accueillis) soient pris en compte et inclus dans les mesures d’adaptation d’urgence », nécessaires aujourd'hui et dont certaines sont en cours. La Fédération Addiction a fait rapidement remonter plusieurs demandes au ministère de la Santé, à la direction générale de la Santé et à la direction générale de la Cohésion sociale.

La première concerne la prescription et la délivrance des traitements de substitution aux opiacés (TSO). « Comme les mesures prises pour d’autres traitements de troubles chroniques (notamment les hépatites) nous soutenons la nécessité d’adapter les conditions de prescription et de délivrance des traitements de substitution aux opiacés (TSO) en pharmacie », indique la Fédération Addiction. Il s'agit d'assurer « la continuité de soins essentiels en cas de problèmes de ressources humaines médicales (dans les Csapa ou chez les médecins généralistes) et de prévenir les risques d’incidents chez les officinaux (pharmaciens) qui auront déjà beaucoup à faire par ailleurs », indique le communiqué de la Fédération Addictions. « D’autre part, une incertitude sur la continuité de ces traitements serait non seulement une source majeure de stress chez ces patients mais leur ferait aussi courir un risque de fluctuations de tolérance à risque d’overdoses en cas de reprise après des « sevrages » inopinés », souligne la fédération.

Sur ce sujet, la Fédération Addiction, et AIDES notamment ,ont travaillé avec la direction générale de la Santé dans l'objectif de la sortie d'un arrêté qui vient compléter l’arrêté du 14 mars sur la prolongation des ordonnances pour les maladies chroniques, qui, jusque-là, ne s’appliquait donc pas aux TSO. Ce nouvel arrêté est une bonne nouvelle, et cela d'autant que les recommandations des ONG ont été prises en compte.Toutefois, cela concerne uniquement le renouvellement des ordonnances pour des personnes sous traitement depuis au moins trois mois. Le nouvel arrêté ne règle donc pas la question de l’entrée dans le traitement.

Concrètement, cette procédure s’applique comme suit : la personne usagère doit être dans un traitement de substitution aux opiacés (méthadone sous forme de gélules, méthadone sous forme de sirop ou buprénorphine en comprimés) depuis au moins trois mois ; avec l’accord de son médecin prescripteur, la personne se rend dans la pharmacie d’officine mentionnée sur la prescription et en fait la demande à son-sa pharmacien-ne. ; chaque renouvellement d’ordonnance se fait pour 28 jours maximum. Au regard du contexte qui peut amener des consommateurs-rices vers les TSO, les structures restent donc mobilisées pour les personnes qui entreraient dans le processus de substitution ainsi que dans le suivi de la mise en place de cet arrêté. En attendant cet arrêté, des consultations par téléphone, des envois d’ordonnance étaient possibles pour limiter les allers et venues dans les lieux de soin, notait la Fédération Addiction, le 17 mars. « En cas de nécessité de suspendre des dispensations de méthadone en Csapa faute de personnel et dans le cas de personnes n’ayant pas de couverture sociale, il est possible de proposer aux pharmacies-relais de facturer les coûts induits au Csapa concerné », a indiqué la Fédération Addiction.

Des solutions ont aussi été trouvées par les structures elles-mêmes. Ainsi les Csapa de Nouvelle-Aquitaine vont fonctionner selon un service minimum. Ils ont annulé tous les rendez-vous physiques. Concernant les ordonnances pour TSO, les médecins les envoie par mail ou par fax directement dans les pharmacies où les personnes usagères pourront aller les chercher. Ce seront des traitements d’un mois. Les usagers-ères qui ont besoin d’ordonnance devront donc appeler les médecins par téléphone.

Concernant les bonnes pratiques, on peut aussi se référer au guide de l'addictologie en pharmacie d'officine du Respadd (Réseau de prévention des addictions). Sur les TSO, le guide rappelle : une alliance thérapeutique est posée comme condition de l’initiation du traitement entre l’usager-ère, le médecin et un-e pharmacien-ne de référence. Le mode de communication privilégié (mail, appel, rencontre physique,…) entre les trois parties se définit dès l’initiation du traitement. L’ordonnance du médecin doit normalement obligatoirement indiquer le nom du-de la pharmacien-ne et il est recommandé – bien que non obligatoire de façon réglementaire – au médecin de prendre contact avec le-la pharmacien-ne pour chaque ordonnance.

Une autre remontée aux autorités de santé concerne l'organisation de l'accueil en Csapa et en Caarud et l'hébergement. Sur ce sujet, la Fédération Addiction renvoie vers la dernière version officielle du guide d'accompagnement pour les établissements de santé, médecine de ville et les établissements et services médico-sociaux (pages 39 et 40 du document pour les hébergements, comme les appartements de coordination thérapeutique (par exemple).

La Fédération Addiction a indiqué (17 mars) ses recommandations concernant les modalités d'accueil en Csapa et Caarud. Les accueils collectifs doivent être fermés mais l’accueil individuel doit être maintenu pour les situations d'urgence. Des lignes téléphoniques dédiées ont aussi été mises en place par les structures pour assurer un lien avec les personnes accompagnées. Le matériel de RDR peut se faire avec une distribution dans les sacs préparés et avec des quantités adaptés aux besoins sur des périodes plus longues, ainsi que pour approvisionner les distribox et les programmes d'échanges de seringues en pharmacies.

Concernant le matériel de RDR, le principe serait celui d'une mise à disposition accrue en pharmacies face à la fermeture partielle voire totale dans certains endroits des établissements médico-sociaux (Csapa, Caarud). Il y a deux possibilités en pharmacies : stéribox à un euro (peu fréquent) et du matériel (seringues propres, etc.) mis à disposition gratuitement par les Caarud et les Csapa de proximité dans les pharmacies... C'est rare, mais cela existe. Par exemple, dans le département du Gard, des pharmacies en donnent gratuitement en lien avec le Caarud Logos. Dans le département des Deux-Sèvres, cela est fait avec avec le Caarud de AIDES. L'objectif dans ce domaine est double. D'une part, augmenter l’accès au matériel en pharmacies et d'autre part avoir des délivrances de TSO sur ordonnances sécurisées sur des périodes plus longues qu'un mois. Ce qui vient de se faire.

Pour les programmes d'échanges de seringues propres (Pesp), le Guide de l'addictologie en pharmacie d'officine du Respaad rappelle qu'un tel programme ne peut pas être porté par une pharmacie, mais par une association ou un établissement de santé ou médico-social, le plus souvent un Caarud. Les Pesp en pharmacie ne sont pas uniquement des dispositifs de distribution de seringues ou de kits, mais de matériel de réduction des risques au global. Les outils sont à définir entre les partenaires, selon les stocks du Caarud qui porte le projet et les financements alloués. Certains Pesp proposent ainsi des documentations de prévention, des « roule ta paille » et des réflexions étaient en cours sur la distribution de « kit crack » dans certains Pesp.

Pour info, l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France a publié un avis portant sur le maintien de l’activité de délivrance et distribution des TSO et du matériel de RDR. Les ARS et la DGS ont demandé à l'esnemble des Caarud de leur envoyer des plans de maintien de l'activité.

Il y a aussi la réduction des risques à distance, avec Safe qui gère les programmes et les Caarud mandatés par certaines agences régionales de santé (ARS). Par exemple, voici les recommandations qui ont été faites sur le sujet par l'agence régionale de santé de Normandie.

Dans un communiqué plus récent (19 mars), la Fédération Addiction, indique que la « mise en place du confinement (…) a fortement mobilisé les équipes d’addictologie et de réduction des risques ». « Il s’agit d’éviter autant que possible de charger encore plus l’activité des urgences, des services hospitaliers et d’une médecine et pharmacie de ville déjà en surchauffe, en réduisant la transmission virale chez des personnes présentant toutes des troubles chroniques et qui seront donc autant de situations sévères en cas de contamination », note un communiqué de la Fédération. Elle rappelle que ses actions sont dirigées vers plusieurs priorités de santé. Il s'agit d'assurer « au mieux les suivis engagés, tout particulièrement les traitements de substitution aux opiacés (TSO) qui nécessitent la plus grande continuité », de « s'assurer l’accès aux seringues et aux matériels de prévention VIH/hépatites » et « d'accueillir les nouveaux patients et notamment les plus marginalisés, en déshérence aggravée ». « Anticipant sur les annonces (officielles), les adhérents du réseau de la Fédération Addiction ont adapté leurs pratiques et organisé des consultations à distance, que celles-ci soient médicales, pour les TSO et autres prescriptions, ou pour les psychothérapies et le soutien des personnes », rappelle la Fédération. « Les lieux de soins résidentiels ont appliqué, comme ils le pouvaient, les consignes de sécurité, mais soulignons-le avec des moyens misérables (pas de gels hydroalcooliques, peu ou pas de masques…), d’autres ont dû cesser certaines activités collectives,  du fait de la promiscuité trop forte et de l’impossibilité d’aménager leur espace. Cela n’a pas toujours été simple, et certains retours au domicile qui en résultent vont nécessiter une intensification des suivis pour éviter des crises familiales ou des rechutes », note le communiqué. Cette inquiétude se double d'une autre, celle qui porte sur « l'accès aux soins et l’accompagnement des usagers de drogues précaires » « Les usagers de rue sont actuellement perdus, il n’y a quasiment plus personne dans les rues, ils n’ont plus de « manche », plus de produits, ils sont angoissés et vont mal. Leurs lieux-repères ferment les uns après les autres, ils n’ont nulle part où se confiner pour se protéger. Comme chacun sait, le stress fait monter le besoin de consommer, les prises de risques augmentent et, ajoutées à la promiscuité et aux troubles chroniques associés, risquent de conduire à de véritables ravages dans cette population », avance la Fédération Addiction.

De leur côté, des associations s'organisent. Des militants-es de AIDES poursuivent, localement, en fonction des possibilités et des besoins, dans le strict respect des gestes barrières et de la distanciation sociale recommandés par les autorités de santé, le service d'accès aux outils de RDR. Ainsi, le Caarud d'une grande ville de l'Ain, dirigé par AIDES, propose une permanence « à la porte » (les personnes n'entrent pas dans le local, ne sont pas exposées au contact des autres et peuvent récupérer le matériel dont elles ont besoin). Le 18 mars, cette permanence « à la porte » a été peu fréquentée, explique un militant local. « Juste quatre passages. Et encore deux des personnes qui sont venues ne relevaient pas vraiment du public du Caarud mais plus d'un public précaire. En revanche, il y a eu quelques coups de téléphone et des envois de SMS pour des infos ou conseils. Même si les échanges sont peu nombreux pour le moment, on ressent quand même le désarroi des personnes qui, en tant normal ont déjà très peu de repairs », explique-t-il. Dans ce lieu, les militants-es ont prévu de proposer ces accueils « à la porte », les lundis, mercredis et vendredis de 14 heures à 17 heures et quand cela est possible sur rendez-vous pour tout ce qui concerne le matériel de réduction des risques en matière sexuelle et/ou usage de produits. « Nous avons maintenu la livraison des pharmacies partenaires du programme d'échange de seringues propres. Nous proposons aussi une réponse téléphonique du lundi au vendredi de 10 heures à 17 heures et des communications sur les réseaux sociaux. Bien évidemment tout cela peut être amené à évoluer en fonction des directives, de la durée de la crise sanitaire et de nos capacités à faire face ».

« Nous faisons prioritairement deux choses, indique Philippe Malfrait, responsable de la région Grand Est de AIDES. La première chose est l'information. Le public que nous accueillons dans les Caarud n'est pas forcément connecté, n'a pas accès à Internet. Alors nous avons organisé une boucle téléphonique quasi quotidienne. Elle permet de rester en contact, de donner des nouvelles aux personnes et d'en prendre. On peut ainsi réorienter et conseiller notamment si des personnes évoquent des symptômes. La seconde est de maintenir un accès au matériel de RDR. On fait comme le feraient des pharmacies de garde, avec deux militants-es, dont l'un-e fait l'accueil à la porte du local. La personne fait sa commande de matériel. Un-e autre militant-e prépare le matériel dans un sac et on le remet directement. On fait bien attention aux gestes barrières et au respect des distances pour que cela ne représente un risque pour personne. Dans notre région, nous animons deux Caarud qui ont des locaux fixes : un à Mulhouse et un autre à Nancy. Cela fonctionne pour le moment. Nous fournissons tout le matériel dont les personnes ont besoin. Certaines venaient deux ou trois fois dans la semaine. On s'est organisé pour fournir tout le matériel demandé, afin que les personnes limitent leurs déplacements. Notre troisième Caarud est mobile. C'est celui de Metz. Comme nous n'avons pas de moyens de protection comme des masques, nous n'avons pas pu maintenir nos maraudes. On travaille alors avec des partenaires qui ont des locaux fixes, notamment des structures d'hébergement dont certaines accueillent des personnes usagères de produits, mais elles ne sont pas forcément familiariser avec ce type de distribution. Il y a bien le service Safe qui permet l'envoi postal de moyens de prévention, mais dans le contexte actuel du Covid-19 dans notre région, pas mal de postes sont fermées, ce qui perturbe les envois. Reste que cela permet de pallier les trous dans la raquette. Nous sommes dans une région particulière avec de grands centres urbains et des zones rurales comme le nord de la Moselle, par exemple. Aujourd'hui, une de mes inquiétudes porte sur le réapprovisionnement en matériel surtout si la situation actuelle se prolonge sur plusieurs semaines voire des mois. On ressent une vraie montée de peur. Une montée de peur objective. Chacun voit la réalité de la situation. En plus, nous sommes dans une région où les infos qui remontent des hôpitaux sont catastrophiques. Ce qui remonte, c'est qu'il y a du matériel dans les hôpitaux, des moyens, mais que c'est le personnel qui vacille parfois. D'abord parce que pas mal de soignantes-es sont, eux-mêmes, infectés-es. L'absentéisme se ressent. Concernant les Caarud que nous gérons, les files actives ont été divisées par dix. C'est particulièrement le cas à Mulhouse... C'est une source d'inquiétude pour nous car cela signifie que des personnes ne viennent plus et que potentiellement ces personnes pourront prendre des risques en réutilisant des seringues... faute de pouvoir s'en procurer des propres. »

(1) : La Fédération Addiction fédère les deux tiers du dispositif d’accompagnement sur les addictions soit environ 850 établissements médico-sociaux de soin, de réduction des risques, des consultations et équipes de liaison hospitalière et a un pôle de médecine générale et de pharmaciens exerçant en libéral.