Recherche et VIH : une fusion qui questionne

Publié par jfl-seronet le 15.01.2021
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Le 1er 2021, l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes est née de la fusion de feu l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales et du consortium REACTing sur les maladies émergentes. Cette fusion dont l’intérêt n’est pas contesté pour la société civile suscite des inquiétudes quant à son financement.

Le communiqué (21 décembre) de AIDES et Sidaction donne le ton : inquiétude et suspision. Le 1er janvier 2021, l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a disparu. Elle a fusionné avec le consortium REACTing agissant sur les maladies émergentes (qui disparaît en tant que tel, lui aussi), pour devenir une nouvelle entité, à la fois juridique et scientifique : ANRS-Maladies infectieuses émergentes. Dans leur communiqué, fin décembre, AIDES et Sidaction saluent « la pertinence de ce projet » et surtout alertent « sur le manque de garanties financières permettant de répondre aux ambitions de cette nouvelle agence ». Les deux ONG ont d’ailleurs rencontré l’Élysée à ce propos, mais la rencontre (18 décembre) n’a « pas apporté de réponses satisfaisantes sur les ressources budgétaires attendues ».

La société civile en mode « critiques »

« L’excellence de la France dans le domaine de la recherche contre le VIH [et les hépatites virales, ndlr] n’est plus à démontrer et le déploiement de l’ANRS a largement contribué à cette réussite. Son triple rôle de financeur, d’animateur et de coordinateur de la recherche en fait un modèle internationalement reconnu », constatent les deux organisations dans leur communiqué. Elles notent un avantage à cette fusion qui « en soi un projet pertinent et porteur de grandes ambitions ». « La situation sanitaire actuelle démontre que l’expertise acquise durant plus de 30 ans dans la lutte contre le VIH/sida doit être exploitée face à de nouveaux virus qui ne cessent d’émerger », explique d’ailleurs Marc Dixneuf, directeur général de AIDES.

Pour une réponse efficace et rapide aux épidémies actuelles et à venir, cette nouvelle agence requiert 76 millions d’euros de subvention d’État dès 2021, soit 36 millions de plus que l’enveloppe actuelle dont bénéficie l’ANRS pour la recherche sur le sida et les hépatites » Problème : « Seuls deux millions ont pourtant été attribués à ce jour et l’Élysée n’a pu nous assurer d’aucun autre engagement financier immédiat. Notre préoccupation est immense », soulignent les deux ONG dans leur communiqué. « Financement de la recherche contre le VIH, les hépatites et les maladies émergentes comme la Covid-19. Une nouvelle agence est créée en prenant appui sur un modèle qui fonctionne bien @agenceANRS qui associe société civile, représentants des patient-es et chercheurs-ses... Une bonne nouvelle... sauf que l'enveloppe supplémentaire pour s'étendre aux maladies émergentes est pour l'instant – accrochez-vous - : deux millions par an ! Pour rappel, une journée de confinement, c'est 500 millions pour l'État. L'État s'engage donc à hauteur de moins de dix minutes de confinement pour la recherche contre précisément ce qui a mené au confinement. C'est absurde. On nous promet des appels à projet, des hypothétiques bouts du plan de relance... mais comme argent sonnant et trébuchant à la création du 1er janvier, rien ou presque. À titre de comparaison, la Corée du Sud, c'est plus de 200 millions d’euros sur les infections émergences hors Covid ; le Robert Koch Institute allemand 105 millions d’euros en routine sur le sujet. Le NIH (États-Unis) vient de mettre 1 200 millions de dollars supplémentaires », tacle Caroline Izambert, directrice du Plaidoyer à AIDES, le 21 décembre. Les modalités prévues pour abonder ces financements ne sont « absolument pas adaptées ni aux enjeux et à l’urgence de la situation, ni au fonctionnement d’une agence autonome permettant de garantir l’excellence et l’efficacité du modèle de l’ANRS », avance le communiqué.

« Nous craignons fortement que ce montage ne conduise inévitablement à ponctionner le budget initialement dédié à la recherche sur le VIH, alors que cette épidémie est loin d’être terminée », s’alarme d’ailleurs Florence Thune, directrice générale de Sidaction. « Création de la nouvelle agence de recherche #VIH #hépatites maladies émergentes. Le modèle français impliquant société civile et projets nord/sud en danger par d'un manque flagrant de financement », souligne Aurélien Beaucamp, président de AIDES.

Bien entendu des solutions sont envisagées, mais elles n’arrivent pas à convaincre. « Les montages proposés ne permettront pas de préserver deux atouts majeurs de l’ANRS : des projets significatifs et immédiats avec les pays du Sud ainsi que l’implication de la société civile, spécificité de l’ANRS qui a largement fait preuve de son efficacité ». « Nous savons pourtant qu’à chaque épidémie, du VIH à Ebola, le travail collaboratif entre les citoyens-nes concernés-es et les associations expertes, les soignants-es, les chercheurs-ses, est nécessaire à l’élaboration de réponses efficaces, indique le communiqué.  « Si nous sommes définitivement favorables à l’innovation que représente cette fusion, nous ne pouvons pas nous résoudre à une mise en œuvre opaque qui ne saurait garantir le maintien de la qualité de structures qui ont démontré leur efficacité depuis des années. Ce manque d’ambition risquerait à terme de ne faire que des perdants : la lutte contre le VIH/sida tout comme la lutte contre les épidémies émergentes », soulignent AIDES et Sidaction. Et d’asséner : « Les défis à relever en matière de recherche face aux épidémies actuelles et à venir ne sauraient souffrir d’un manque d’ambition politique ». « Espérons que ce n'est pas la page de fin de la recherche dans le domaine du VIH », s’interroge même Fabrice Pilorgé, militant historique de la lutte contre le sida (Act Up-Paris, AIDES) et très bon connaisseur de l’ANRS.

Yazdanpanah tente de rassurer

Évidemment face à cette grande inquiétude, le nouveau directeur de l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes, le Pr Yazdan Yazdanpanah, tente de rassurer. « Avec mon équipe, je souhaite faire de cette agence une institution collaborative, efficace et innovante dans l’ensemble de son champ thématique : une agence par les chercheurs pour les chercheurs. Le premier moyen, pour l’agence, d’atteindre cet objectif est de s’inscrire dans une continuité forte avec l’ANRS « historique », avec son histoire prestigieuse mais aussi avec ses instances, ses structures et ses usages », explique-t-il dans un communiqué (24 décembre). Et d’indiquer concernant les financements : « Nous avons sanctuarisé, pour 2021, les budgets consacrés au VIH, aux hépatites, aux IST et à la tuberculose. Nous avons décidé que le calendrier des appels à projet, dans ces champs, serait reconduit sans changement en 2021 (…) Je sais que vous êtes nombreux-ses à vous être mobilisés-es, ou à prévoir cette mobilisation, pour que les moyens de la nouvelle ANRS soient à la hauteur de ses ambitions. Je voudrais vous en remercier personnellement et chaleureusement. Cette mobilisation est un levier d’influence et de responsabilisation extraordinaire pour nos décideurs-es. Le budget, les ressources budgétaires de la nouvelle agence seront peut-être son premier défi, mais certainement pas son dernier. Internationalisation, ouverture vers l’Europe, rapprochement avec les chercheurs, dynamique d’excellence et d’innovation seront autant d’objectifs structurants, dès 2021 ».

Outre les éléments financiers, le Pr Yazdanpanah a expliqué sa position concernant la participation de la société civile à la nouvelle ANRS-Maladies infectieuses émergentes. « S’agissant des associations, nous sommes collectivement attachés au modèle intégratif de l’ANRS : un modèle où les associations ne sont pas seulement associées aux processus institutionnels, mais sont de véritables partenaires de la recherche, de l’animation scientifique, de l’évaluation des projets. Nous maintiendrons et approfondirons ce modèle. J’ai compris que le souhait des associations n’était pas seulement la préservation, légitime, de l’héritage de l’ANRS ; mais aussi son extension, son approfondissement, sans cloison disciplinaire ou catégorielle. Ainsi les associations auront-elles un rôle essentiel dans les évolutions, les transformations nécessaires à l’accomplissement des ambitions de la nouvelle agence », a-t-il développé.

Comme on le voit, l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes tente de rassurer tant sur la collaboration avec la société civile que sur le budget. Mais est-ce suffisant pour apaiser toutes les craintes ?

 

ANRS : 32 ans et puis s’arrête…
L’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a donc clos « un chapitre important de son histoire pour donner naissance à un nouveau projet ». Créée en 1988 face à l’urgence de l’épidémie à VIH, un virus émergent tout comme le Sars-CoV-2 aujourd’hui, l’ANRS s’est donc transformée. Durant plus de trois décennies, l’ANRS aura « financé, coordonné et animé de la recherche au plus haut niveau et a su intégrer les associations de patients et la société civile à toutes ses décisions, créant ainsi un modèle inédit dans le paysage de la recherche française et européenne », notent le professeur François Dabis, ex-directeur de l’ANRS et Louis Gautier, président du conseil d’orientation de l’institution, dans un communiqué commun. « Elle laisse un bilan d’avancées scientifiques de premier ordre et des collaborations fructueuses en France, comme à l’international (…) L’ANRS a réussi à mobiliser dans la durée les forces de recherche sur le VIH et les hépatites virales en France et dans les pays partenaires. Ceci n’aurait sans doute pas été possible sans l’effort financier durable et constant de l’État, quelles que soient par ailleurs les fluctuations des politiques de recherche et de leur organisation », rappelle le communiqué bilan de l’ANRS. Pendant que la nouvelle agence se structure et s’organise, un ouvrage sur l’histoire de l’ANRS est en cours de rédaction. Ce projet collaboratif démarré en 2018 et retraçant 32 ans d’aventures scientifiques inédites sera publié en 2021 aux Éditions Odile Jacob.