Réflexions (psycho)actives après le symposium

Publié par Mathieu Brancourt le 18.07.2011
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gayDrogues festives
La réunion du 22 juin, sur le thème "VIH et drogues festives", organisée par le Corevih Ile-de-France-Centre, a amené les principaux acteurs (associatifs, soignants et chercheurs) à réfléchir sur la consommation "récréative" de produits. Aurélie, Fred et Fabrice, tous trois militants associatifs, reviennent sur cette réunion et les perspectives qu’elle a, selon eux, ouvertes. Pour Seronet, après le compte-rendu global (1), voici leurs retours, plus personnels.
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Aurélie : "J’ai trouvé l’ambiance très détendue. Les personnes présentes, médecins compris, portaient beaucoup d’intérêt aux intervenants et à leurs présentations. Dommage que l’on ait des données un peu anciennes. De plus concernant les données de l’OFDT [Observatoire Français des drogues et des toxicomanies, ndlr], il y a des chiffres "cachés", qui n’apparaissent jamais. On parle de kétamine, qui, selon certains, ne serait pas si présente, alors que je pense le contraire. Pour moi, elle arrive justement en force en France, elle est très consommée et que ce n’est qu’une partie de l’iceberg qui a été montrée ce soir-là. Je suis en revanche heureuse de voir que, dans les études, des données relatives à l’alcool sont présentes. Même si les médecins ont paru ici sensibles à la question, ils ne sont néanmoins par formés pour aborder la question de l’usage de drogues avec des personnes. J’aurai voulu savoir comment ils font pour discuter de cela, sachant que la consommation de produits est réprimée par la loi. J’ai du mal à entendre que cela soit facile d’en parler à son médecin. Les praticiens présents ont comme patients des personnes séropositives sous traitement, mais ont-ils mesuré l’enjeu de cette question de la consommation, par rapport à la loi de 70. De plus, durant le temps imparti d’une consultation, prennent-ils le temps de poser cette question ? Il reste difficile pour les personnes de s’ouvrir à leur médecin. C’est donc là, je pense, que les acteurs associatifs ont une place à prendre. Dans cette réunion, c’était des médecins parisiens, et encore faudrait-il voir si pour les autres régions, l’accès aux informations sur ces questions est effectif. Ce n’est pas gagné d’avance. Il y a des réseaux de médecins sur les addictions, mais tous les médecins n’en sont pas adhérents. C’est un débat à ouvrir dans les associations, car ce n’est pas normal que l’on ne puisse pas aborder plus facilement la question de la consommation de produits chez les gays. Pour finir, la question des hépatites me semble primordiale : l’étude HEPAIG, relatant des témoignages de personnes co-infectées VIH/VHC, parle de l’hépatite comme d'un "cancer des tox". Il est tant de casser les représentations sur les hépatites, qui ne sont pas liées au genre, ni à la propre sexualité des gens. Le rôle des associations est bien de permettre de libérer la parole des personnes concernées, de les rassurer, en leur disant que l’hépatite est une maladie du foie et non le "cancer des tox" évoqué, puisque la contamination par voie sexuelle n’est pas impossible".

Fred : "Mon sentiment général ? Je suis très content que cette réunion ait été organisée, avec des intervenants divers. Des chercheurs notamment, comme Jean Yves le Talec, qui a présenté les résultats de son étude (Hepaig II). Elle s’intéresse aux personnes co-infectées hépatite C et VIH, avec un pan qui montre bien leur pratique sexuelle et leur consommation de produits psycho-actifs, tout en vivant avec le VIH. Déjà cela, c’était intéressant. Il y a eu aussi les positions de Gilles Pialoux, en termes de prévention et les "recommandations" qui pourraient en résulter, étaient aussi très intéressantes. Elles mettaient en évidence cette problématique spécifique aux milieux gays ou festifs, d’une consommation très importante et épisodique. On voit un pourcentage très important de gays séropositifs, consommateurs de produits. Cela de manière plus ou moins régulière. Mais surtout, ces derniers ne se considèrent pas comme des "toxicomanes", de leur propre expression, mais qui n’est pas la mienne. Ils pensent gérer par eux-mêmes leur rapport à la dépendance et à la drogue. Leur consommation a un coté uniquement festif, ou liée à une recherche du produit qu’il faut, pour une nouvelle forme de sexe. Quelque chose de très connectée à la performance sexuelle, sur la durée ou le nombre de mecs (MDMA, cocaïne, amphétamines). Des produits psycho-actifs qui permettent de s’inscrire dans un rythme de clubbing ou de weekend, un processus de performance sexuelle. On est dans un schéma de recherche d’excitation, d’endurance, de confiance ou de désinhibition. Associé au "marathon" de la soirée, notamment avec le Viagra et le Cialis [stimulant érectile, ndlr]. Que cet aspect soit mis en exergue, c’est hyper intéressant. On réfléchit déjà dans AIDES, sur les nouveaux modes de consommation et les nouvelles drogues. Visiblement, il y a une recrudescence de l’injection et pas que coke et héro. Je pense au "slam" (injection de produits au niveau génital, pour accroître le plaisir), qui se fait avec d’autres substances. Cela devient beaucoup plus préoccupant. Sur la question du VIH, on nous a présenté une diapositive sur les interactions entre produits et ARV (antirétroviraux). Cela n’est pas très poussé. Il faut voir la régularité des prises avec des cofacteurs, qui jouent sur les interactions. Aujourd’hui, on n’est pas capable de dire telle drogue a tels effets, et rien d’autre. On ne peut pas dire, de manière générale, que l’usage de drogues a des conséquences spécifiques sur la santé d’une personne vivant avec le VIH. Les conséquences de la consommation sont déjà connues pour la population générale. Pour les personnes sous ARV, c’est beaucoup moins clair. Mais concernant l’augmentation du nombre d’injecteurs dans la communauté gay, je suis particulièrement inquiet, car les HSH [hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ndlr] ne sont pas tous au fait des techniques de réduction des risques en matière d’injection. Ils n’ont jamais été directement sensibilisés aux problématiques de l’injection. C’est un enjeu de santé publique, car les personnes qui ne sont pas sensibilisées aux techniques de réduction des risques liées à l’injection, s’exposent à l’infection par le VIH et le VHC. C’est très problématique. Enfin, sur les questions de la pénalisation des usagers et de l’utilisation des produits psycho-actifs, qui pourraient représenter un frein en termes de  prévention, il y a du bon. On peut se féliciter de la réponse de trois médecins, reconnaissant que la pénalisation n’est pas forcément une réponse appropriée qu’il faut peut être refondre la loi de 70. Il ne faut pas confondre, en effet, la santé publique avec de la répression. Les médecins, même s’ils ne vont pas aussi loin que nous dans la lutte contre la pénalisation des consommateurs, sont les premiers à reconnaitre que le système actuel n’est pas compatible avec une bonne prévention. Une autre politique des drogues est possible. C’est ce que nous, acteurs de la prévention, réclamons".

Fabrice : "Pour avoir fait pas mal de réunions de Corevih [Coordination régionale de lutte contre l'infection à VIH, ndlr], j’ai déjà trouvé l’ambiance très singulière. Dès l’entrée et jusqu’au bout, j’ai perçu une espèce d’ouverture, d’excitation, qui n’est pas souvent présente à ce genre de réunion. Certains médecins présents m’ont dit avoir trouvé ce moment très sympa, et m’ont confié avoir réalisé l’importance de cette problématique de consommation de produits chez leurs patients et, de ce fait, vont se mettre à en parler avec eux. Même si je ne suis pas sûr qu’ils aient, déjà, la capacité d’écoute suffisante pour prendre en compte cette consommation, par exemple pour l’adaptation éventuelle de leur traitement ARV. C’est encore trop tôt. J’ai également beaucoup aimé les échanges dans la salle entre les médecins et les chercheurs, et les questions des militants associatifs présents dans la salle. La question de la consommation de produits, on se la posait déjà dans nos structures. C’était donc intéressant d’en discuter, car nous n’avons, certes, pas autant de connaissances scientifiques, mais nous sommes à la pointe, sur la connaissance de ce que les gens vivent. Nous n’étions pas alors dans les certitudes, mais dans l’incertitude, ce qui laisse un espace de réflexion commun, très intéressant. C’est assez rare d’avoir ce genre de réactions dans ce cadre. Ce qui m’a aussi frappé, c’est qu’en prenant toutes les interventions en compte, on peut déjà élaborer des réponses quant aux modalités d’interventions : Quels types d’actions mettre en place ? Est-il intéressant d’intervenir, si oui, comment ? Etc. Une porte s’ouvre, sur le constat que, chez une catégorie de gays, l’intensification du plaisir lié à l’usage de produits, est un mode de vie, qui tient déjà compte du soin de soi. Pourquoi ? Car cela inclut la volonté de se faire plaisir, de façon très intense, mais dans un cadre qui articule travail, sociabilisation, mais aussi soin de soi. Comme dans le témoignage d’un médecin généraliste, évoquant ses patients qui viennent le lundi matin, voulant redescendre de leur week-end, pour justement limiter ces moments de prises de plaisir intense, à des moments biens délimités. Avec une volonté de retourner aux réalités quotidiennes, mais aussi de continuer à bien se soigner, notamment avec leur traitement ARV. Il y a donc un champ à travailler. Comment, avec des personnes qui ont déjà eu accès à l’éducation, à la santé, aborder la question de la prise de produits, en lien avec le soin de soi, pour que cela se passe le mieux possible, tout en prenant le plus de plaisir possible ? Dès lors, de nombreuses pistes de recherche doivent être mises à l’agenda des chercheurs. La question des interactions des produits avec les traitements antirétroviraux, notamment. La prise de traitement va durer de plus en plus longtemps et même, peut-être, devenir de plus en plus précoce, avec les nouvelles recommandations et le traitement comme prévention (TasP). Articuler sa prise de produits, sans prendre de risques avec son traitement et leur efficacité, est un champ de recherche à investir. Ce qui est bien, c’est que la plupart des éléments ont été mis sur la table. De plus, la question de la consommation de produits, dans mon association, n’est pas taboue. Nous sommes, nous-mêmes, un bon terrain pour l’expérimentation. On peut donc en parler, pousser plus loin le questionnement et chercher à connaitre les implications de la prise de produits sur les traitements et sur les comportements à risques. Faire de la réduction des risques sexuels en intégrant cette question particulière".

(1) Les drogues font leur récréation au "Comptoir"