Retour vers le futur ! (épisode 1)

Publié par Rédacteur-seronet le 06.08.2021
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Initiativechronologie VIH

Tout démarre le 5 juin 1981. À cette date, un article scientifique rédigé par des médecins américains, dans le Bulletin médical des CDC (centres de contrôle des maladies américains) est publié. Il décrit cinq cas concernant de jeunes hommes (tous homosexuels) atteints d’une maladie inconnue. Rapidement, la nouvelle se diffuse, puis inquiète à travers le monde. Le 3 juillet, le New York Times écrit son premier article sur cette maladie (Rare cancer seen in 41 homosexuals) qui n’a pas encore de nom. Le premier cas apparaît en France fin 1981 et peu de personnes imaginent alors le cataclysme mondial à venir.

Daniel Defert © Stéphane Blot

1981

Ailleurs : C’est à partir de cas de leucémies que va être découvert aux États-Unis, le premier rétrovirus humain : HTLV-I. Ce virus est isolé par le chercheur américain Robert Gallo en 1980. C’est dans cette « famille » de virus que l’on trouve le VIH-1 et le VIH-2, qui seront découverts un peu plus tard. En 1980, le Dr américain Michael Gottlied (il sera le médecin de Rock Hudson) commence à prendre en charge à Los Angeles des patients gays qui présentent un taux de lymphocytes CD4 anormalement bas, un amaigrissement, des candidoses dans la bouche, des pneumonies… sans qu’on en comprenne la cause. En juin 1981, les premiers cas d'une déficience immunitaire inhabituelle provoquant des maladies rares chez des hommes jeunes (pneumonie, sarcome de Kaposi, etc.) sont plus clairement repérés chez des hommes aux États-Unis : cinq cas à Los Angeles et 26 à New-York. Ils ont pour point commun d’être homosexuels et jeunes. D’ailleurs, on donne d’abord à la maladie le nom de Gay-Related Immune Deficiency (Grid) car elle ne semble toucher que les homosexuels masculins. Leurs cas font l’objet de deux publications médicales par le Centre de contrôle des maladies d’Atlanta (Center for Disease Control, CDC) dans le Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) du CDC : l’une le 5 juin 1981 (c’est d’ailleurs la date officielle du début de la pandémie) sur les cas de Los Angeles (le principal auteur est Michael Gottlied) ; la seconde, le 4 juillet sur les cas new-yorkais. Les premières études sur l’immunodéficience acquise montrent que cette maladie se transmet par voie sexuelle et sanguine et qu’elle ne frappe pas que les homosexuels. À la fin de l’année 81, on signale des cas chez des personnes utilisatrices de drogues injectables. Dès juin, le CDC crée une task force sur le sarcome de Kaposi et les infections opportunistes.En août, l’écrivain et producteur Larry Kramer organise une réunion dans son appartement à New York. Quelques 80 gays y participent pour parler de l’épidémie qui semble démarrer. En décembre : 337 cas sont recensés aux États-Unis.

Ici : C’est en décembre que le Dr Willy Rozenbaum (Hôpital Claude Bernard, Paris) identifie un premier cas en France, qu’il prend en charge. A la fin de l'année, près de 17 cas sont constatés.

1982

Ici : La riposte s’organise en France avec la création du Groupe français de travail sur le sida (GFTS) qui réunit de jeunes médecins comme Willy Rozenbaum, Serge Kernbaum, Odile Picard, Jean-Baptiste Brunet, Jean-Claude Gluckman, David Klatzmann, Jacques Leibowitch, Christine Rouzioux et Françoise Brun-Vézinet ou encore Didier Seux et des représentants-es de la Direction générale de la santé (Élisabeth Bouvet, Claude Weisselberg et Jacques Chaperon). Certains membres de ce groupe publient dans la revue scientifique The Lancet un article concernant la première personne prise en charge par le Dr Willy Rozenbaum. Mobilisée aussi, l’Association des médecins gays qui organise un séminaire sur le sida. En septembre, l’hebdomadaire Gai Pied, principal journal d’informations gay de l’époque, publie son premier article sur le sida. Si le sida commence à marquer les esprits, c’est surtout la dépénalisation de l’homosexualité avec l’abrogation de l’article 332-1 du Code pénal qui frappe l’opinion : la majorité sexuelle, fixée à 15 ans, est désormais identique pour les relations homosexuelles et hétérosexuelles. Grâce aux travaux de l’Institut Pasteur notamment, on commence à comprendre que le virus se transmet par voie sexuelle entre homosexuels, mais aussi entre hétérosexuels-les, par voie sanguine lors de transfusions ou via les coagulants pris par les hémophiles, par échange de seringues, de la mère à l’enfant. On parle de la maladie des « 4H » pour « Homosexuels, Hémophiles, Héroïnomanes, Haïtiens » ; la prévalence est alors très forte dans la communauté haïtienne aux États-Unis. On recense 21 cas de sida en décembre 1982 en France.

Ailleurs : Aux États-Unis, en septembre, on utilise pour la première fois le sigle Aids (Acquired immune deficiency syndrome). Une traduction française est proposée par le ministère de la santé canadien : syndrome d'immunodéficience acquise ; qui sera abrégée en l’acronyme : SIDA, puis ensuite sida, lorsque le terme devient un mot commun. Des premiers cas sont signalés en Afrique. En janvier, c’est la création du Gay Men’s Health Crisis (GMHC), la première association de lutte contre le sida aux États-Unis… et dans le monde. Elle va servir de modèle à de nombreuses associations créées par la suite, dont le Terrence Higgins Trust de Londres. Daniel Defert, Président-fondateur de AIDES, rappelait dans un livre d’entretiens (Daniel Defert, une vie politique, Éditions du Seuil, 2014), sa rencontre avec un volontaire du GMHC en septembre 1984, puis sa rencontre avec tous les dirigeants et fondateurs du GMHC. Il s’en inspirera pour créer AIDES. Le 10 décembre, le CDC publie un rapport sur un cas de transmission à la suite d’une transfusion sanguine. Le 17 décembre, le CDC publie un rapport sur 22 cas d’immunodéficience inexpliquée et de maladies opportunistes chez des enfants. Sortie de la première brochure sur le « safer sexe » à l’initiative d’un groupe activiste gay de San Francisco. En septembre, le CDC utilise le terme « AIDS » pour la première fois dans une de ses publications.

1983

Ici : Le 20 mai, l'Institut Pasteur publie dans la revue Science la première description du virus responsable du sida sous le titre : Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS). Les chercheurs-ses qui ont isolé le virus - Luc Montagnier, Jean-Claude Chermann et Françoise Barré-Sinoussi - l'appellent alors le Lymphadenopathy Associated Virus (LAV). Il deviendra par la suite : le VIH. Cette découverte, on la doit au résultat d’une biopsie réalisée par Willy Rozenbaum sur un ganglion d’une personne suivie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, en janvier. Paris Match fait sa une sur « la nouvelle peste ». La bataille du dépistage commence : l’Institut Pasteur dépose une demande de brevet pour un test de dépistage sanguin du VIH auprès des autorités américaines. En août, le docteur Patrice Meyer, cancérologue à l’Hôpital Paul Brousse (Villejuif, Île-de-France), crée la première association française de lutte contre le sida : Vaincre le sida (VLS). Cette création se fait en rupture avec l’Association des médecins gais, dont Patrice Meyer juge que l’association ne prend pas la mesure du problème. Près d’une centaine de cas sont recensés en France, dont 50 décès.

Ailleurs : En Afrique, une épidémie à transmission hétérosexuelle se révèle. De son côté, l’Organisation mondiale de la santé démarre, fin novembre, une surveillance globale de la maladie. Des cas sont signalés au Canada, dans plusieurs pays européens, en Haïti, au Zaïre, en Australie, etc. On recense près de 3 000 cas au niveau mondial, dont 267 cas dans les pays européens. Le deuxième forum américain sur le sida est organisé. À cette occasion, des représentants-es des groupes de personnes malades rédigent une charte qui fera date (elle ne sera publiée qu’en 1985 dans la revue de la Coalition People with AIDS). On la connaît sous le nom de Principes de Denver. C’est l’acte de naissance de l’activisme en matière de lutte contre le sida. Le président américain Ronald Reagan conseille l’abstinence et la fidélité conjugale pour contrer l’épidémie. Le 6 août, on annonce la disparition du chanteur allemand Klaus Nomi, icône de la scène new-wave du début des années 80 et contre-ténor d’opéra. Il est l’une des premières célébrités victimes du sida ; il a 39 ans. En septembre, le ministre américain de la Justice et l’ONG Lambda Legal entament une procédure judiciaire pour discrimination sérophobe : un médecin, le Dr Joseph Sonnabend, est menacé d’être expulsé de l’immeuble où se trouve son cabinet parce qu’il y soigne des « malades du sida ».

1984

Ici : « L’affaire du sang contaminé » démarre. Des lots de sang contaminés sont distribués entre 1984 et 1985. Pourtant dès 1983, la Direction générale de la Santé avait publié une circulaire demandant l’exclusion des « donneurs-ses à risque », mais elle est restée sans effets. Les responsables du Centre national de transfusion sanguine sont informés-es que le chauffage du plasma permet d’inactiver le VIH et de rendre sain les prélèvements sanguins. Des lots de sang non chauffés et contaminés continuent pourtant à circuler. Le 25 juin, le philosophe Michel Foucault meurt des suites du sida. Suite à ce décès, son compagnon, le sociologue Daniel Defert, écrit une lettre (le 25 septembre) dans laquelle il propose la création de l’association AIDES. Cette lettre est fondatrice et constitue un programme et un appel à la mobilisation. Le quotidien Libération annonce la création de AIDES ; les premiers-ères volontaires se manifestent. La création est annoncée dans le Journal officiel du 4 décembre. Daniel Defert devient le premier président de AIDES. En octobre, Line Renaud crée l’Association des artistes contre le sida (AACS) qui organise les premières collectes de fonds en France pour la lutte contre le sida. Elle obtiendra plus de 20 millions de francs en douze ans. Les chercheuses françaises Christine Rouzioux et Françoise Brun-Vézinet mettent au point les premiers tests de dépistage Elisa du VIH.

Ailleurs : En avril, la secrétaire d’État à la Santé Margaret Heckler (administration Reagan) annonce « officiellement » que le Pr Robert Gallo et son équipe ont trouvé la cause « probable » du sida ; ce qu’ils appellent le HTLV-III (pour lymphotrope humain type III). Elle annonce le lancement prochain de tests de dépistage sanguin du HTLV-III et l’arrivée d’un « vaccin dans les deux ans » ! De leur côté, les scientifiques français confirment que le LAV (Lymphadenopathy Associated Virus) est bien l’agent qui cause le sida. Il s’avèrera que le HTLV-III est la même chose que le LAV, découvert en premier ; ce qui débouchera sur une énorme controverse scientifique entre la France et les États-Unis sur le séquençage du virus et donc la « découverte » du virus du sida, avec les implications scientifiques et économiques associées. L’affaire ne fait que démarrer. Le CDC confirme que l’échange de seringues permet de réduire les infections lorsqu’on pratique l’injection. Le New York Times explique que l’infection par le VIH est possible via la salive. Il faudra attendre deux ans pour avoir des preuves scientifiques que ce n’est pas le cas.

1985

Ici : Côté recherche, le séquençage du LAV (qui deviendra le VIH), réalisé par une équipe française, est publié dans la revue scientifique Cell. L’Institut Pasteur (en France) et le laboratoire américain Abbott, en très forte concurrence, mettent au point, chacun de leur côté, un test de dépistage du sida. La bataille est acharnée et l’Institut Pasteur porte plainte contre l’administration américaine. L’enjeu ? Savoir qui, du Pr Robert Gallo ou du Pr Luc Montagnier, a permis, le premier, de séquencer le virus du sida. La bataille ne sera pas sans conséquences sur l’homologation des tests et donc l’accès au dépistage. En février, Abbott et Diagnostics Pasteur/Sanofi font leur demande d’agrément pour les tests respectifs de dépistage. Feu vert en juin pour le labo français et en juillet pour Abbott. Seul, le test « français » est alors remboursé. Le dépistage devient obligatoire en France à l'occasion des dons de sang, de sperme et d’organes. En septembre, innovation dans l’organisation des soins avec la création du premier réseau ville-hôpital à Paris. L’objectif est d’améliorer la « prise en charge globale et continue des patients ». En novembre, création d’Arcat-sida dont le cœur d’action est de favoriser la recherche clinique sur le VIH. AIDES lance sa première permanence téléphonique qui va préfigurer Sida info Service (SIS), quelques années plus tard. AIDES publie sa première brochure d’information. L’association fait aussi du plaidoyer en demandant au ministère de la Santé d’autoriser la publicité pour les préservatifs. Elle est alors interdite car les capotes sont assimilées réglementairement à des médicaments ! Des demandes émanent de la société civile pour la vente libre des seringues afin de limiter les infections chez les personnes usagères de drogues, ce qui suscite de vives oppositions chez les politiques et les médecins. En décembre, la première émission de télé exclusivement consacrée au sida en France est proposée. C’est Line Renaud (AACS) qui en a fait la demande. Il s’agit d’un numéro spécial de l’émission « Au nom de l’amour » animée par Pierre Bellemare. En décembre, la France compte 573 cas de sida, dont 214 décès.

Ailleurs : L'étendue de l'épidémie est une évidence. En 1985, chaque région du monde signale des cas de VIH/sida. En juillet, l'acteur Rock Hudson, une énorme star hollywoodienne, est l’un des premiers personnages publics à révéler qu’il est atteint du sida. Il meurt en octobre. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) approuve le premier test d'anticorps anti-VIH (ELISA) : les premiers tests de dépistage sont commercialisés. Le dépistage du VIH dans les dons de sang débute aux États-Unis. En avril, la première Conférence mondiale sur le sida s’ouvre à Atlanta. C’est l’Organisation mondiale de la Santé et le département américain de la Santé qui ont pris cette initiative, qui entend réunir, annuellement, des experts-es internationaux-ales du VIH. Parallèlement, la société civile n’est pas en reste avec la création de la Coalition des personnes atteintes du sida (People with Aids PWA). La structure travaille à un recueil de droits revendiqués par les personnes concernées, fait des recommandations aux médecins, aux personnes atteintes, elles-mêmes, et à la société dans son ensemble. Ce sont les « principes de Denver », pensés dès 1983. Côté recherche, les premiers essais concernant l’AZT (zidovudine, premier traitement antirétroviral du VIH) démarrent aux États-Unis. Un sondage dans le Los Angeles Times indique qu’une très grande majorité d’Américains-es est favorable au « placement en quarantaine » des personnes vivant avec le VIH.

1986

Ici : Le VIH/sida fait partie, dès juin, de la liste des maladies à déclaration obligatoire. En juin, Paris accueille la deuxième conférence internationale sur le sida. Le « sida » rejoint la liste des affections de longue durée (ALD), ce qui ouvre les droits à une prise en charge à 100 % des soins par la Sécurité sociale. Demandée dès 1985,  l’interdiction de la publicité sur les préservatifs est supprimée en novembre. C’est un peu plus compliqué concernant la levée de l'interdiction de la vente libre des seringues en pharmacie. Michèle Barzach, la ministre de la Santé, explique qu'elle craint « que cette mesure puisse apparaître aux yeux de l'opinion publique contradictoire avec la volonté affirmée par le gouvernement de lutter contre la toxicomanie ». Elle a donc décidé de ne prendre une telle mesure qu'après avoir consulté les conseils de l'ordre des médecins et des pharmaciens, ce qui va prendre du temps. « De juin à septembre 1986, on a dénombré en France quinze cas supplémentaires de sida par semaine. L'an dernier, au cours de la même période, on en comptait seulement cinq », rapporte Le Monde (novembre). Le gouvernement annonce qu’il a décidé « de faire en 1987 du sida une grande cause nationale ».

Ailleurs : La communauté scientifique a tranché et adopte définitivement l’acronyme VIH (HIV en anglais) : virus de l’immunodéficience humaine. On a les premiers résultats d’une étude clinique sur l’AZT : la vie des malades est prolongée. L’étude a duré 24 semaines et elle a été menée auprès de 282 personnes. Ses résultats ont été publiés dans la très réputée revue scientifique New England Journal of Medecine. Développée initialement pour traiter le cancer, cette molécule est la première à avoir une activité antivirale confirmée contre le VIH. Le médicament sera approuvé par la FDA (Agence américaine du médicament), l’année suivante. On découvre que le virus peut être transmis de la mère à l’enfant par l’allaitement. Le CDC indique dans un rapport que les cas de sida affectent de façon disproportionnée les Afro-américains et les Latinos. C’est spécialement vrai pour les enfants : 90 % des cas de sida périnataux y sont diagnostiqués. Le 1er décembre, la première conférence internationale sur le VIH/sida en Afrique est organisée. Création d'un Comité directeur international des personnes vivant avec le VIH/sida - il deviendra le Réseau mondial des personnes vivant avec le VIH/sida (Global Network of People living with HIV ou GNP+).

1987

Ici : « Le sida, il ne passera pas par moi ». C’est l’une des campagnes de lutte contre le sida françaises qui reste dans les esprits, sans doute du fait de son slogan, qui a durablement marqué. Lancée le 18 mai 1987, on la doit au comité français d’éducation pour la santé (CFES, devenu Inpes, puis Santé publique France). En conférence de presse, Michèle Barzach, la ministre déléguée chargée de la Santé, explique : « Il faut que chacun sache qu’il est concerné et en particulier parmi les jeunes… il faut se protéger soi-même, mais également protéger l’autre et le reconnaître. Seul un effort individuel permettra d’éviter les réactions passionnelles dictées par la peur de la contagion ». Cette crainte irraisonnée, Jean-Marie Le Pen en fait son lit… déjà. Le mercredi 6 mai 1987, le leader d’extrême droite est à L’heure de vérité, la grande émission politique d’Antenne 2. Il y parle des personnes atteintes qu’il propose d’appeler « sidaïques » et d’enfermer dans des « sidatoriums ». Cette année-là, le sida est déclaré grande cause nationale par le président François Mitterrand, une première ! Cette décision politique et symbolique vise à mettre en avant cet enjeu de santé publique au travers de plusieurs événements qui jalonnent l’année. Un autre outil de réduction des risques est également mis à disposition du public : les seringues sont en vente libres dans les pharmacies, en février. Des pharmaciens-nes s’y opposent, voire font jouer la clause de conscience. Côté organisation des soins, on assiste au lancement des Centres hospitaliers d’information et de soins de l’immunodéficience humaine : les CISIH. De son côté, AIDES ouvre sa première permanence hospitalière et l’association Apparts, une émanation de AIDES inaugure ses premiers appartements de coordination thérapeutique. Ils sont destinés aux personnes vivant avec le VIH, tout particulièrement celles dont la situation est la plus précaire. Le dépistage à l’insu des personnes est interdit. En juin, le gouvernement présente son Plan national de lutte contre le sida. Il porte sur quatre points : la prévention, les soins, la recherche et la coopération internationale.

Ailleurs : La troisième conférence internationale sur le sida est organisée à Washington. À cette occasion, une organisation non gouvernementale de lutte contre le sida, AIDS Project (Los Angeles) prend pour la première fois la parole en séance plénière. De son côté, le président Ronald Reagan profite de la tribune pour appeler à des « tests systématiques » de dépistage du VIH. « Il est temps que nous sachions exactement ce à quoi nous sommes confrontés », explique-t-il alors. La pandémie se développant, des instances internationales prennent des initiatives. Ainsi, l’OMS élabore son Programme mondial de lutte contre le sida, dont il confie la direction à Jonathan Mann. Le VIH/sida est la première maladie à faire l’objet d’un débat à l’Assemblée générale de l’Onu. Les communautés concernées se mobilisent également, notamment en Afrique, à l’instar de l'Organisation ougandaise d'aide aux malades du sida (Taso) ou de la création du Réseau international d'entraide et de lutte contre le sida (Icaso). Act-Up New York est créé le 12 mars à l’initiative de Larry Kramer, une première manifestation est organisée à Wall Street, le 24 mars. Ronald Reagan et Jacques Chirac mettent un terme (provisoire) à la « querelle » scientifique Gallo/Montagnier sur la découverte du VIH par un « accord », mais il faudra attendre 1994 pour que les autorités américaines reconnaissent enfin que la découverte du VIH est bien française. Diana, la Princesse de Galles, rend visite à des malades. Elle est photographiée en train de toucher une personne vivant avec le VIH hospitalisée ; grand retentissement médiatique.

1988

Ici : Le dépistage s’organise mieux en France avec la publication d’une circulaire (en janvier) sur la mise en place des centres de dépistage anonyme et gratuit du VIH/sida (CDAG). Un nouvel acteur de prévention arrive avec la création du CRIPS (Centre régional d’information et de prévention contre le sida) à Paris. Le professeur Claude Got, un expert habitué des cabinets ministériels, remet son Rapport sur le sida. C’est le document de référence de l’époque sur l’organisation de la réponse française à la lutte contre le sida. Le travail a été commandé en août par le ministre de la Santé Claude Evin. Claude Got a eu six semaines pour le faire ! Il sera publié quelques mois plus tard... Les premières mesures sont effectives l’année suivante.

Ailleurs : Pour la première fois, les ministres de la santé du monde entier se réunissent à Londres pour discuter de l'épidémie de VIH/sida et élaborer une stratégie commune de lutte contre le sida. Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonce que le 1er  décembre sera désormais la date de la Journée mondiale contre le sida. Plus de 107 millions d’exemplaires d’une brochure d’infos sur le VIH/sida (Understanding Aids) sont envoyés aux Américains-es. Sur le plan de la recherche, l’essai clinique franco-britannique Concorde sur l’AZT démarre outre-Manche ; ce sera le cas en France l’année suivante. Disparition de Sylvester, la vedette du disco, des suites d’une maladie liée au sida, à 41 ans.

1989

Ici : Préconisées par le rapport du professeur Claude Got, plusieurs mesures sont mises en œuvre comme la création du Conseil national du sida, un organisme officiel de réflexion indépendant et consultatif sur les questions de santé publique liées au VIH/sida. Le CNS explique que son travail s’attache «  à concilier le respect des libertés individuelles et les impératifs de santé publique, la protection du droit des personnes et la prise en compte de l'intérêt général. Le CNS est lancé en février. Il est présidé par l’anthropologue Françoise Héritier-Augé. Toujours à la suite du rapport Got, création en mai de l’Agence française de lutte contre le sida (AFLS), la première agence gouvernementale pour la prévention et la communication sur le sida est dirigée par Dominique Charvet, un magistrat. Elle sera maintenue jusqu’en 1995. En mai, publication de la première circulaire de l’administration pénitentiaire sur la lutte contre le sida en prison. Une circulaire sur le protocole à mettre en œuvre en cas d’accident à l’exposition au sang (AES) est publiée en juin. Elle ne concerne que les professionnels-les de santé. Il faudra encore attendre pour le traitement d’urgence en cas d’exposition sexuelle (rupture de capotes, par exemple). C’est la base du futur TPE (traitement post-exposition, dit traitement d’urgence). De son côté, la société civile est très active. Daniel Defert prononce un discours fondateur : « Un nouveau réformateur social : le malade », actant la fonction politique des malades, à la Conférence internationale sur le sida de Montréal. Act Up-Paris est créée en juin, tout comme le Patchwork des noms. Médecins du Monde lance son premier programme d’échanges de seringues à Paris. Ce sont les tous premiers pas de l’accompagnement à la prévention des risques d’infections chez les personnes héroïnomanes… les débuts de la RDR. Côté média, sortie du premier numéro de la revue Sida 89 qui deviendra Sida 90, puis le Journal du sida (Arcat-sida), à partir de 1990. En France, on dénombre 7 194 cas de sida.

Ailleurs : Le CDC (Centre de contrôle des maladies, Atlanta, États-Unis) publie, en juin, son premier guide de référence sur la prévention de la pneumocystose (une forme de pneumonie), une maladie opportuniste, alors très fréquente en stade sida. Dans la foulée, il sort ses recommandations officielles concernant la prévention et la transmission du VIH et de l’hépatite B. En mai, décès de la star de la photographie, Robert Mapplethorpe, des suites d’une maladie liée au sida. Plus de 100 000 cas sont recensés aux États-Unis.

1990

Ici : En France, l’année 1990 est marquée par la création de trois associations de lutte contre le VIH qui existent toujours aujourd’hui : Sol en Si (Solidarité enfants Sida), Dessine-Moi un mouton en octobre et un mois plus tard Sida Info Service, créée par l'Agence française de lutte contre le SIDA (AFLS) en partenariat avec AIDES, qui y transfère sa ligne d’appels (PTL). Côté scientifique, le premier Rapport d’experts, dirigé par le Pr Jean Dormont est publié en juin. Il vise à définir les modalités de référence en termes de prise en charge des personnes vivant avec le VIH.

Ailleurs : En 1990,  la Cocq-sida (Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida) est créée. Cette initiative qui soutient et consolide l’action communautaire face à la lutte contre le VIH/sida sur le territoire québécois existe toujours aujourd’hui. Le projet de Aids action now ! Tie  (Treatment Information Exchange) devient le réseau canadien d’info-traitements sida (Catie), un organisme communautaire indépendant. La 6e conférence internationale sur le sida, qui se déroule à San Francisco du 20 au 24 juin, est boycottée par de nombreuses associations, car les personnes vivant avec le VIH ne sont pas autorisées à entrer sur le territoire américain. À ce sujet, SIDA 90 (renommé le Journal du Sida en octobre 1990) écrit : «  En France, ce boycott était soutenu par la quasi-totalité des associations (notamment AIDES, Arcat-sida). […]. Le gouvernement pour sa part, avait décidé de ne pas « se faire représenter » à San Francisco et les douze ministres de la Santé de la Communauté économique européenne (CEE) s'étaient rangés à la position prise par Claude Evin, ministre français de la Santé (…). La plupart des scientifiques interrogés se sont rendus à San Francisco et beaucoup ont fait part publiquement de leur sentiment sur le boycott, l'estimant absurde et inefficace (SIDA 90 n° 17 /18 - Juin/Juillet 1990).  Côté prévention, le préservatif interne (dit féminin à l’époque) est disponible à la vente aux États-Unis et dans quelques pays européens, mais pas en France.

1991

Ici : Une convention est signée entre le gouvernement français et les assurances le 3 septembre. Elle est censée garantir aux personnes séropositives l’accès à l’assurance sur les prêts immobiliers. Cette convention ne sera jamais respectée. L’année 1991 voit la naissance de deux nouvelles associations encore actives à ce jour. Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence ouvrent, le 11 septembre,le Couvent de Paris   grâce à la présence de trois Sœurs de San Francisco en voyage en Europe. L’association Actions Traitements est fondée en octobre, initiée par un petit groupe de personnes séropositives qui, dans l’urgence de la survie, voulaient se tenir au plus près des découvertes en matière de traitements. Le 31 décembre, sous la pression de l'association des polytransfusés-es, puis de l'association de défense de transfusés-es et enfin de l'Association française des hémophiles, le Parlement vote une loi dédommageant financièrement les victimes du risque transfusionnel. Ces dernières doivent, pour en bénéficier, faire la preuve qu'elles ont reçu une transfusion sanguine et qu'elles sont séropositives. Environ 4 000 personnes en bénéficieront.

Ailleurs : Le Visual Aids Artists Caucus, un groupe militant de soutien aux artistes vivant avec le VIH, fondé par Patrick O'Connell, lance le Ribbon Project qui donne naissance au Ruban rouge, emblème de la lutte contre le VIH/sida. Les artistes qui ont imaginé ce ruban rouge ont préféré rester anonymes afin d’attribuer sa paternité au collectif Visual Aids dans son ensemble. Le ruban est porté pour la première fois en public par des personnalités lors de la cérémonie des Tony Awards le 2 juin. Le 7 novembre, Earvin Johnson Jr, dit Magic Johnson, célèbre basketteur américain, annonce sa séropositivité dans une conférence de presse. Cette annonce le contraint à quitter la NBA, le championnat professionnel américain. Aujourd’hui âgé de 61 ans, Magic Johnson vit une retraite paisible avec sa femme et ses enfants. Quelques jours plus tard, le 24 novembre, Freddie Mercury, chanteur légendaire du groupe britannique Queen, décède des suites d’une pneumonie liée au sida. La veille, Gordon Atkinson, son médecin personnel, lisait un texte dicté par l’artiste dans lequel il annonçait être séropositif au VIH. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense plus de 10 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde.

1992

Ici : En janvier, l’association Solidarité Sida est lancée. Elle sera à l’initiative, entre autres, du Festival Solidays. La même année voit la création d’Asud, le premier groupe d’auto-support d’usagers-ères de drogues en France. En avril, la Sécurité sociale annonce le remboursement à 100 % de tous les tests de dépistages du VIH. En mai, deux nouveaux antirétroviraux, la ddI (Videx) et la ddC (Hivid), sont autorisés en France. Ouverture à Paris du Kiosque Info Sida, à l'initiative de l'Association des Jeunes contre le sida (AJCS). Le Kiosque est une association de prévention et de conseil sur le VIH/sida qui offre un espace de documentation, d'information et d'écoute. En septembre est créé le TRT-5, un collectif interassociatif pour défendre les intérêts des patients-es dans la recherche clinique. Le sigle « TRT » signifie « Traitements et Recherche Thérapeutique » et le chiffre 5 le nombre d'associations membres à sa création (Actions Traitements, Act Up-Paris, Vaincre le Sida, AIDES et Arcat). Le TRT-5 CHV existe toujours aujourd’hui et compte 14 associations. Le 21 octobre sort dans les salles françaises le film Les Nuits Fauves de et avec Cyril Collard, écrivain, acteur et réalisateur ouvertement séropositif. L’œuvre, qui est l’adaptation de l’autobiographie de Cyril Collard, fait polémique à sa sortie, mais connait un vrai succès populaire et remporte le prix de film de l’année aux Césars 1993. Le cinéaste décède des suites d’une maladie liée au sida trois jours avant la cérémonie.

Ailleurs : L’OMS estime à 14 millions le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde et s’alerte d’une recrudescence inquiétante des cas de tuberculose liés à l’épidémie du VIH/sida. Des chercheurs-ses se réunissent  à Amsterdam, en juillet, pour la 8e conférence internationale sur le sida. Ils s'entendent pour dire que les femmes sont le groupe le plus exposé au VIH et qu'elles doivent faire l'objet de plus d'attention dans les campagnes de prévention. La Food and Drug Administration (FDA) approuve la première combinaison de médicaments pour traiter le VIH. Elle n’est pas encore disponible en France.

1993

Ici : Depuis le 30 mars, toutes les personnes vivant avec le VIH qui le demandent sont prises en charge à « 100 % » pour affection longue durée (ALD) par la Sécurité sociale. En juillet, le premier distributeur-échangeur de seringues en France est inauguré à Nîmes, à l’initiative de AIDES et alors que le Conseil national du sida (CNS) préconise de donner la priorité à la réduction des risques (RDR). Le 1er décembre, à l’aube, les militants-es de Act Up-Paris habillent, sans autorisation, l’obélisque de la Place de la Concorde (Paris) d’un préservatif rose géant. Toujours en décembre, l’association Actions Traitements lance la revue Info-Traitements et l’association de soutien aux personnes et d’accompagnement Basiliade voit le jour.

Ailleurs : La recherche scientifique autour du VIH ne donne pas beaucoup d’espoir en 1993. Les premiers essais vaccinaux testés chez l'humain ne sont pas concluants et les résultats de l’essai Concorde sur les effets de l’AZT sont décevants. Du 6 au 11 juin a lieu la 9e conférence internationale scientifique à Berlin. Des militants-es d’Act Up-Paris s’en prennent aux représentants-es de l’AFLS (Association française de lutte contre le sida) en brandissant des affiches « Ils ont tué mon ami. Ils doivent démissionner ! ». Le Monde titre : «  L'impuissance de la science à vaincre le sida, Berlin, conférence du désespoir ». Le mois suivant a lieu à Washington la première édition de la Croi (Conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes) tandis que le pape Jean Paul II désapprouve l’utilisation du préservatif. Le film Philadelphia sort en décembre et connait un succès mondial. Réalisé par Jonathan Demme, le film est la première fiction hollywoodienne grand public avec un personnage principal séropositif. Il va marquer toute une génération et vaudra à Tom Hanks un Oscar pour son interprétation poignante d’un avocat victime de la sérophobie et de l’homophobie de sa hiérarchie. La campagne de publicité de la marque Benetton « HIV Positive » fait scandale. Elle reprend une photographie initialement publiée dans le magazine Life en 1990. La famille de David Kirby a autorisé l’entreprise à s'en servir. Sur son site, Benetton explique que l’image intitulée « Pieta » montre le malade qui apparaît tel Jésus, entouré de ses proches.

1994

Ici : Le 7 avril, la première édition du Sidaction est organisée par l’association Ensemble contre le sida. Lors de la soirée diffusée en direct sur toutes les chaines de télévision pendant six heures d’affilée, l’actrice Clémentine Célarié embrasse un homme séropositif sur la bouche pour montrer que le VIH ne se transmet pas en embrassant. Ce premier Sidaction est un succès avec 41 millions d’euros récoltés. Le mois d’après, AIDES organise sa première « Marche pour la vie » à Paris, une opération de collecte de dons et de sensibilisation. En septembre, une circulaire autorise la distribution de Stéribox en pharmacie. Cet outil de réduction des risques était jusqu’ici seulement accessible en milieu médical ou associatif. Le 26 octobre, Act Up-Paris organise les « funérailles politiques » de Cleews Vellay, président de l’association de 1992 à 1994, qui venait de décéder des suites d’une maladie liée au sida. Conformément à son souhait, une partie de ses cendres sont dispersées dans une réunion d’assureurs auxquels Act Up-Paris reprochait d'exclure les personnes vivant avec le VIH. En partenariat avec Sida Info Services, AIDES lance un nouveau service en ligne : 3615 AIDES.

Ailleurs : En février, un essai américain montre l’efficacité de l’AZT dans la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Par ailleurs, la combinaison 3TC-AZT est reconnue plus efficace que l'AZT seul. Lors de la 10e conférence internationale sur le sida organisée du 7 au 12 août à Yokohama (Japon), Arnaud Marty-Lavauzelle, deuxième président de AIDES, fait une présentation sur la « violation des droits de l’homme comme obstacle à la prévention ». La conférence met en évidence l’importance de mesurer la charge virale chez les personnes vivant avec le VIH et l’avènement des traitements mieux individualisés. De nouvelles molécules sont présentées en phase test, les antiprotéases, qui agissent en inhibant la protéase du virus. Lorsque celle-ci est bloquée, les nouveaux virus produits sont défectueux et ne peuvent plus infecter de nouvelles cellules. En juillet, après des années de bataille juridique entre les États-Unis et la France, l'identification du VIH est attribuée officiellement à l'Institut Pasteur. Le 26 juillet est créé le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida ou plus simplement Onusida, un programme de l'ONU destiné à coordonner l'action des différentes agences spécialisées de l'ONU pour lutter contre la pandémie de VIH/sida.

1995

Ici : En mars, une circulaire du ministère de la Santé facilite la distribution gratuite de seringues stériles et l’accès aux traitements de substitution. En décembre, l’association ELCS (Élus locaux contre le sida) est créée sous l’impulsion de Jean-Luc Romero, homme politique ouvertement gay et séropositif. Le même mois, sous l’égide du Sneg (Syndicat national des entreprises gay), de AIDES et d’Act Up-Paris, les établissements commerciaux gay mettent en place une première charte de « bonne conduite » dans laquelle, les signataires s’engagent à vraiment promouvoir et diffuser du matériel de prévention. De son côté, le Conseil national du sida publie un Rapport sur les personnes étrangères vivant avec le VIH et en situation d’irrégularité de séjour.

Ailleurs : L’espoir de traitements vraiment efficaces grandit en 1995. En janvier, lors de la deuxième conférence de la CROI à Washington, les premiers essais cliniques à base d’antiprotéases qui ont eu lieu aux États-Unis montrent des résultats encourageants. En septembre, les résultats de l’essai Delta montrent que les bithérapies AZT-ddI et AZT-ddC sont meilleures que l’AZT seul.

1996

Ici : 1996 marque un tournant crucial dans la prise en charge thérapeutique des personnes vivant avec le VIH avec l’arrivée des premières trithérapies présentées en janvier lors de la Conférence de Washington. Les résultats sont très encourageants lorsque l'on associe trois molécules antirétrovirales : deux de type nucléoside et une troisième de type antiprotéase. En France, face à un accès limité à ces traitements, le Conseil national du sida propose en février d’organiser un « tirage au sort » pour sélectionner les personnes pouvant en bénéficier. Cette idée, vivement critiquée par le monde associatif, est rejetée par le Premier ministre Alain Juppé. Toujours en février, face à la lenteur de la mise à disposition des trithérapies, les militants-es d’Act Up-Paris occupent l’usine de la firme américaine Abbott à Evreux. En mars, des militants-es d’Actions Traitements organisent un voyage à New York pour récupérer les trithérapies non accessibles en France. Leur autorisation de mise sur le marché (AMM) n’arrivera qu’en septembre. Le 6 juin a lieu la 2e édition du Sidaction qui récolte 60 millions de francs contre 270 millions en 1994. Pierre Bergé, président d'Ensemble contre le Sida, impute une partie de cet échec aux propos virulents tenus sur le plateau par le président d'Act Up-Paris d’alors, Christophe Martet, qui a dénoncé l’hypocrisie du gouvernement français en s’adressant à son représentant Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la culture, dénonçant un « pays de merde ». Il faut dire que la situation est scandaleuse sur bien des points : l’accès aux soins en prisons, par exemple.

Ailleurs : Lors de la 11e conférence internationale sur le sida à Vancouver (Canada) du 7 au 12 juillet, la notion de charge virale indétectable fait son apparition. Le même mois, le magazine Time nomme homme de l'année le spécialiste du VIH/sida David Ho. La FDA approuve une autre classe de médicaments antirétroviraux – les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) : Viramune (névirapine), Rescriptor (délavirdine), non encore disponibles en France.

1997

Ici : En mars, Santé publique France (alors INPES) constate une baisse importante du nombre d’hospitalisations et de décès grâce à l’accès aux trithérapies. Cependant, des résistances aux traitements commencent à apparaitre. Les traitements ayant une autorisation de mise sur le marché (AMM) sont disponibles en pharmacie de ville dès octobre. Jusqu’à présent, ils n’étaient accessibles qu’en pharmacies hospitalières. Côté prévention, en août, le dépistage précoce, les traitements d’urgence (TPE) et les traitements prophylactiques pour les professionnels-les de santé sont mis en place. La même année, AIDES lance de nombreux partenariats avec d’autres associations travaillant sur la réduction des risques sexuels ou pour les usagers-ères de produits psychoactifs (le PASTT, ASUD, Techno+, etc.). En novembre a lieu le lancement du programme « Afrique 2000 » visant au renforcement de capacités des associations africaines pour mener leurs actions de lutte contre le VIH (à l’initiative de AIDES). Le 1er décembre, l’opération nationale de collecte de fonds « Contre le sida, un franc n’est jamais symbolique » est lancée. Elle est parrainée par le présentateur de jeux télévisés Pascal Brunner, alors grande vedette du petit écran.

Ailleurs : L’Onusida estime que 30 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde, beaucoup plus que ce que l’on pensait. On estime qu’une personne sur 100 dans le monde vit avec le VIH et seulement une personne sur 10 d’entre elles le sait. En novembre, l’Onusida lance une initiative en faveur de l’accès accéléré aux antirétroviraux, en partenariat avec l’industrie pharmaceutique qui accepte de différencier les prix selon les revenus des pays ; avec des prix nettement plus bas au Sud.

1998

Ici : Le film Jeanne et le garçon formidable sort sur les écrans français le 22 avril. Cette comédie musicale réalisée par Olivier Ducastel et Jacques Martineau renvoie directement à l'univers de Jacques Demy, décédé des suites d’une maladie liée au sida, notamment à travers la présence de son fils, Mathieu Demy dans le rôle d’un jeune homme séropositif. En juillet, dans l’affaire dite du « sang contaminé », l’ancien Premier ministre Laurent Fabius, et les anciens-nes ministres Georgina Dufoix (Affaires sociales et solidarité) et Edmond Hervé (Santé) sont renvoyés-es devant la Cour de Justice de la République « pour homicides involontaires » et « atteintes involontaires à l’intégrité physique des personnes ». Ce même mois, l’Institut national de veille sanitaire (InVS) est créé sous la tutelle du ministre de la Santé. En septembre, Médecins du Monde lance un programme expérimental de méthadone « bas seuil, dans la rue ». Le même mois, la France annonce la mise en place d’un Fonds de solidarité thérapeutique international (Fsti). De son côté, AIDES Île-de-France organise la première édition de la Braderie de la mode : il s’agit d’une opération de collecte de fonds via la vente de vêtement de grands-es créateurs-rices qui existe toujours aujourd’hui.

Ailleurs : En juillet, lors de la 12e conférence mondiale sur le sida organisée à Genève, les premiers essais sur l’allègement thérapeutique en bithérapie sont présentés avec des résultats mitigés, tandis que l’augmentation des graisses dans le sang provoquée par les antiprotéases suscite des interrogations. Le traitement post-exposition (TPE ou traitement d’urgence) est utilisé pour la première fois à San Francisco. L’OMS annonce que le VIH/sida est devenu la quatrième cause de décès dans le monde, et la première en Afrique. Pas moins de 33 millions de personnes vivent avec le virus, et 14 millions en sont décédées depuis le début de la pandémie.

1999

Ici : En mars, la Cour de justice de la République relaxe Laurent Fabius et Georgina Dufoix dans le volet politique de l’affaire du sang contaminé. Edmond Hervé est condamné pour « manquement à une obligation de sécurité ou de prudence », mais dispensé de peine. En mai est lancée la commercialisation en France du préservatif interne (dit « féminin » à l’époque) Fémidom. En juillet, la loi relative à la couverture médicale universelle (CMU) est adoptée. Ce même mois, l’association Solidarité Sida organise la première édition du festival Solidays. En octobre, le pacte civil de solidarité (Pacs) est adopté par l’Assemblée nationale après des mois d’opposition et de manifestations homophobes de la part d’une partie de l’opposition de droite et d’extrême droite et un certain manque de volonté politique de la part de la gauche majoritairement absente lors du premier vote à l’Assemblée. AIDES organise les premières UPT (Universités des personnes en traitement), qui se transformeront en UPS (Universités des personnes séropositives).

Ailleurs : Lors de la 6e conférence Croi à Chicago en février, une nouvelle molécule est présentée comme efficace sur les souches résistantes de VIH, il s’agit du T-20 (connu sous le nom de Fuzeon). Les chercheurs-ses découvrent qu’une seule dose de névirapine (Viramune) réduit efficacement le risque de transmission mère-enfant pendant la grossesse. Les premiers essais d’un nouveau vaccin humain contre le VIH commencent en Thaïlande.

Sources : Actions Traitements, Catie, cdc.gov, Le Figaro, hiv.gov, Le Journal du sida , Libération, Le Monde, l'Onusida, Radio Canada, Remaides, Seronet , Sidaction, Têtu, Transversal, vih.org, Wikipedia.

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