Retraites : entre débats et conflits

Publié par jfl-seronet le 01.03.2023
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En pause temporaire. Les débats sur la réforme des retraites souhaitée par l’exécutif sont loin d’être achevés. Il reste encore l’étape du Sénat, puis celle de la commission mixte paritaire, puis un dernier vote des deux chambres sur une (éventuelle) version commune du texte.

Olivier Dussopt sommé de s’expliquer

Ce fut l’une des principales pommes de discorde entre les parlementaires et le gouvernement. Le ministre du Travail Olivier Dussopt avait estimé mercredi 15 février que 40 000 retraités-es supplémentaires chaque année toucheraient une retraite minimale à 1 200 euros. Cette intervention du ministre était nécessaire face à la fronde de l'opposition à la réforme des retraites. Ce dernier a détaillé (15 février) la revalorisation des pensions pour les retraités-es actuels-les et les futurs-es retraités-es, précisant que parmi ces derniers-ères, « 40 000 personnes de plus chaque année » passeront le cap des 85 % du smic. « Grâce à cette réforme […], 1,8 million de retraités [actuels, ndlr] vont voir leur pension revalorisée », dont la moitié « auront une revalorisation comprise entre 70 et 100 euros » et « vous en avez même 125 000 qui vont aller jusqu'au maximum des 100 euros de revalorisation », a expliqué le ministre lors d’une interview sur France inter. « Cela signifie que nous avons au total 250 000 retraités supplémentaires dans notre pays qui vont franchir le cap de 85 % du smic parmi les retraités actuels », a-t-il poursuivi. « Et lorsqu'on regarde les futurs retraités », sur les 800 000 nouveaux retraités par an, « 200 000 auront une pension revalorisée » et parmi eux, « un gros tiers aura une revalorisation supérieure à 70 euros », a détaillé le ministre. « Quand on me dit combien grâce à cette réforme vont passer le cap des 85 % du smic ? « Pourquoi 40 000 sur 200 000 ? Parce que ceux qui resteront en dessous des 85 % du smic sont ceux qui ont des carrières incomplètes », a précisé Olivier Dussopt. Le ministre a précisé donner ces chiffres avec « une prudence : on parle là d'une pension minimum pour quelqu'un qui a une carrière à taux plein », notant que « personne n'est capable de dire combien d'assurés prendront leur retraite en 2024, en 2030, en 2035 » avec les trimestres requis. Le gouvernement avait promis un minimum de 1 200 euros par mois de pension après une carrière complète au smic, sans préciser le nombre de personnes concernées. Les 1 200 euros affichés correspondent en réalité à 85 % du smic net — actuellement de 1 353 euros par mois, mais qui sera probablement revalorisé en cours d'année pour suivre l'inflation.

Les débats s'achèvent dans la confusion

Cris et confusion. L'Assemblée nationale a conclu, dans la douleur, vendredi 17 février à minuit, sans vote, l'examen en première lecture du projet de réforme des retraites, sur un énième imbroglio au sujet des « carrières longues ». L'examen du texte doit désormais se poursuivre, en mars, au Sénat ; ce dernier se saisira du texte à partir du 28 février en commission. Les députés-es ont ensuite largement rejeté une motion de censure déposée par le Rassemblement national. Dans un hémicycle clairsemé, comme le rapporte l’AFP, la Première ministre Élisabeth Borne a rétorqué que le débat avait montré les visages de « deux populismes », ceux de l'extrême droite et de la France insoumise (LFI), renvoyés dos-à-dos. Le débat sur la réforme phare d'Emmanuel Macron s'est achevé comme prévu à minuit pile, en raison de la procédure législative accélérée retenue par le gouvernement. « Le gouvernement saisira le Sénat du texte qu’il a initialement présenté, modifié par les amendements votés », a annoncé le ministre du Travail Olivier Dussopt. Élisabeth Borne a annoncé que le gouvernement retiendrait des mesures favorables aux enseignants-es du premier degré, aux professions libérales, aux pensions agricoles, aux retraités-es à Mayotte, et aux « carrières longues ». Point d'orgue de deux semaines de débats tendus, voire souvent chaotiques, Olivier Dussopt a réservé ses derniers propos aux députés-es Insoumis : « Vous m'avez insulté 15 jours, personne n'a craqué et nous sommes là, devant vous, pour la réforme », a-t-il lancé, manifestement furieux.

Sans surprise au vu du nombre d'amendements restant à discuter, essentiellement des amendements des députés-es Insoumis, et de la date butoir fixée à minuit, les débats se sont interrompus très loin du fameux article 7 sur le report de l'âge légal à 64 ans. Tout au long de la dernière soirée, la discussion a porté sur la durée de cotisation pour les retraités-es pouvant bénéficier du dispositif « carrières longues », c'est-à-dire ceux et celles qui sont entrés-es dans le monde du travail avant 21 ans.

Quarante-trois ou 44 ans ? La question n'a pas été clairement tranchée, malgré l'insistance de députés-es LR, menés-es par Aurélien Pradié, qui exige que tous les travailleurs-ses concernés-es puissent partir après 43 années de cotisations, sans que l'âge légal ne soit une barrière. « Je ne dirai jamais devant l'Assemblée nationale que la durée de cotisation serait un plafond », a déclaré Olivier Dussopt, estimant que ce serait « mentir ». « Nous ne pouvons pas sortir de tout ça avec des doutes », lui a répondu Aurélien Pradié, demandant une position claire. La gauche parlementaire s'est divisée sur la stratégie à adopter, les écologistes regrettant auprès de l'AFP « un raté stratégique » de LFI. « Je regrette qu'un certain nombre de groupes de la Nupes aient choisi en quelque sorte d'abandonner leurs amendements, d'abandonner la bataille et de nous laisser seuls pour tenir jusqu'au bout », a indiqué, de son côté, le député Insoumis Manuel Bompard. Les syndicats pressaient l'alliance de gauche d'aller jusqu'à l discussion de cet article clé du projet de réforme. C’est raté. « L'assemblée nationale donne un spectacle désolant, au mépris des travailleurs. Honteux », a réagi, dans la soirée, le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. La reprise des débats (hors commission) sur le projet de loi au Sénat va coïncider avec la date retenue par les syndicats de manifestations d’ampleur et de mise du pays « à l'arrêt », si le gouvernement ne retire pas la réforme. Échéance : le 7 mars. La CGT a d’ailleurs appelé, vendredi 17 février, à la grève reconductible dans les raffineries dès le lundi 6 mars. À suivre.

Emmanuel Macron s’en remet au « bon sens »

Tout un symbole. Le président Emmanuel Macron s’en est remis, mardi 21 février, lors d’un déplacement au marché de Rungis, au « bon sens » des Français-es. Il a réitéré qu’il « faut travailler un peu plus longtemps » alors qu’il était interpellé sur la réforme des retraites. « Dans l’ensemble, les gens savent qu’il faut travailler un peu plus longtemps en moyenne, tous, car sinon on ne pourra pas bien financer nos retraites », a affirmé le chef de l’État, qui était accompagné du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, et de la ministre déléguée aux PME, Olivia Grégoire. « Si on ne produit pas de richesse on ne peut pas la distribuer », a-t-il expliqué, convaincu « qu’il faut que le travail continue à payer davantage. » Persuadé que « tout le monde a du bon sens », Emmanuel Macron a plaidé pour « un vrai débat dans notre société sur le travail », tout en reconnaissant « un contexte d’inflation difficile », dont le « pic » sera, selon lui, atteint « ce semestre ».  Depuis le lancement de la réforme, Emmanuel Macron ne s’est quasiment pas exposé, hormis quelques déplacements à l’étranger, durant lesquels il a délivré de sobres et laconiques messages sur cette réforme, ou réunions très cadrées, souligne l’AFP. Ce déplacement au sud de Paris, auprès de « professionnels qui travaillent dès l’aube » est aussi l’occasion de mettre au centre de sa communication la valeur « travail », décrite comme un fil conducteur de son action. Le clin d’oeil est clair à « la France qui se lève tôt », leitmotiv de Nicolas Sarkozy lors de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007, également repris depuis par l’extrême droite.

Les sénateur-rices veulent parler d’âge légal

Deuxième round. Le Conseil politique de La France insoumise (LFI) appelle « solennellement » les « sénateurs de la Nupes » à « tout faire pour empêcher l’adoption de la retraite à 64 ans au Sénat », dans une déclaration rendue publique mardi 21 février. Il le fait d’autant plus que le Sénat ne compte pas d’élus-es LFI, mais trois groupes de gauche (PS, CRCE à majorité communiste, et écologistes), dont les membres n’ont pas été élus-es sous l’étiquette de la Nupes, la coalition formée pour les dernières législatives. De son côté, le patron des sénateurs-rices socialistes Patrick Kanner a promis que le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans serait débattu et soumis au vote au Sénat en mars. Les sénateurs-rices de gauche pourraient officialiser leur stratégie lors d’une conférence de presse en début d’examen du texte, c’est prévu dans l’hémicycle le 2 mars. « Je n’ai pas attendu que LFI m’explique qu’il fallait rejeter la réforme. Il faut que chacun reste un petit peu à sa place », prévient, agacé, le chef du groupe écologiste Guillaume Gontard. Les sénateurs-rices de gauche ont prévu de déposer en séance publique plusieurs motions pour rejeter le texte, le renvoyer en commission, ou solliciter un référendum, mais elles ont peu de chances d’aboutir dans un hémicycle dominé par la droite. Les sénateurs-rices ont convenu de ne pas empêcher les débats d’aller jusqu’à l’article 7 sur le report de l’âge légal, indique l’AFP.  Selon une source au sein de leur groupe, quelques socialistes ont évoqué l’idée d’aller jusqu’au vote final sur le texte, pour clarifier les positions de tous les sénateurs-rices, mais la majorité ne le souhaite pas, voyant d’un mauvais œil une probable adoption par la chambre haute. En séance, les écologistes présenteront « environ 500 amendements », selon Guillaume Gontard, notamment sur la « taxation des dividendes et des superprofits ». Les socialistes peaufinent encore leurs amendements en vue de l’examen. Mais les élus de gauche des deux chambres regardent aussi vers la rue, et l’appel à des grèves massives le 7 mars.

Après avoir privilégié les manifestations, l’intersyndicale a désormais appelé les Français-es opposés-es à cette réforme à « arrêter » le pays, le 7 mars. Elle fait le constat que les manifestations actuelles, pourtant fortes, ne lui permettent pas de se faire entendre. Des grèves reconductibles sont donc annoncées dans plusieurs secteurs, notamment les raffineries, « laissant présager un net durcissement du conflit durant plusieurs jours voire plusieurs semaines », comme le pointe Le Monde (20 février). À suivre.