Retraites : les failles "chroniques" d'une réforme

Publié par jfl-seronet le 13.09.2010
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Réforme des retraites
Voilà, c'est parti. La réforme des retraites est en débat, depuis mardi, à l'Assemblée Nationale. Ce texte fait l'objet de nombreuses contestations de la part des syndicats, partis politiques, associations et collectifs. C'est notamment le cas des Chroniques associés qui dénoncent les manquements d'un texte qui creuse les inégalités en matière de retraite des personnes atteintes d'une maladie chronique ou en situation de handicap. Pourtant des solutions existent. Interview de Claire Lalot, coordinatrice des Chroniques Associés.
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Pour Chroniques associés, quels sont les principaux problèmes posés par la réforme des retraites dont l'examen commence le 7 septembre à l'Assemblée Nationale ?
Le principal problème vient du fait que le projet de loi joue principalement sur deux variables qui sont d'une part le report de l'âge minimum légal de la retraite de 60 à 62 ans, soit une modification très importante d'un acquis social, et d'autre part sur le fait que l'âge minimum pour bénéficier d'une retraite à taux plein, quelle que soit la durée de la cotisation, passera de 65 à 67 ans [c'est l'âge auquel s'annule la décote, soit une minoration de la pension, pour les salariés qui n'ont pas toutes leurs annuités]. Ces deux variables imposent donc un allongement de la durée de cotisation. Ces variables peuvent peut-être se justifier pour des personnes qui ont effectivement commencé à travailler tard, qui sont arrivées tard sur le marché du travail, qui n'ont pas connu d'interruptions de la vie professionnelle et qui ont de grandes chances de vivre avec un bon état de santé jusqu'à 80 ou 90 ans. Dans ce cas de figure-là, elles semblent  se justifier. Sans revenir sur l'opportunité de cette réforme pour les actifs n'ayant pas rencontré au cours de leur carrière ni travail pénible, ni accident, ni maladies, ni handicap, ni… un sérieux problème se pose pour les personnes qui ont connu une interruption ou des interruptions de leur vie professionnelle. C'est le cas de plusieurs catégories de la population, celles qui sont le plus fragilisées sur le marché du travail, en particulier les personnes les moins diplômées. C'est le cas également pour les personnes migrantes et les personnes touchées par une maladie chronique ou un handicap. Ces dernières vont nécessairement, pour des raisons de santé, connaître des interruptions, plus ou moins durables, de la vie professionnelle, des ralentissements de carrière. Or le calcul des droits à la retraite se fait sur la base des 25 meilleures années de cotisation. Pour des personnes qui ont alterné des périodes de travail et des arrêts maladie ou des périodes d'invalidité, il est possible que, sur ces fameuses 25 années, le salaire de référence soit largement inférieur à la moyenne des salariés en France. Ces personnes sont de fait défavorisées pour le calcul des droits à la retraite. Nous avons donc ces deux problèmes. A savoir maintenir un niveau de ressources qui soit convenable, honorable pour des personnes touchées par une maladie chronique ou en situation de handicap et permettre à ces personnes de pouvoir bénéficier d'une retraite dans de bonnes conditions. Autrement dit de ne pas à avoir à partir tard à la retraite pour justement pouvoir en profiter… de la retraite !

Comment expliquez-vous que, selon vos chiffres, près de 15 millions de personnes touchées par une maladie chronique n'aient pas été prises en compte dans cette future loi ?
C'est, pour partie, lié à une certaine jeunesse de nos associations. Le regroupement Chroniques Associés a été créée en 2005. Il existe bien entendu le Collectif interassociatif pour la santé (CISS) qui est engagé sur cette question. Mais sans doute, au final, n'existe-t-il pas assez de structures interassociatives qui permettent de représenter les personnes malades chroniques ou en situation de handicap dans ce débat, surtout au regard du nombre de personnes qui sont concernées. La Direction Générale de la Santé (DGS) parle de 15 millions de personnes qui seraient atteintes d'une maladie chronique. Parfois, ce chiffre va jusqu'à 20 millions. Dans tous les cas, il s'agit de chiffres colossaux et il n'existe pas suffisamment de structures capables d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur ces personnes et leurs situations, notamment sur un tel enjeu. Ce n'est pas l'unique explication. Avec cette réforme, le gouvernement s'attaque à un acquis du système social français, un des piliers de l'Etat social. Les débats qui ont porté sur cette question ont été organisés à la rentrée, mais la "préparation du texte" s'est faite lorsque la majorité des Français était en vacances, qu'elle s'intéresse moins à l'actualité politique, etc. Une façon d'échapper à la vigilance de la société civile. D'une certaine façon, le gouvernement s'y est pris pour qu'il n'y ait pas vraiment de débat avec la société civile sur cette réforme. Il n'y a pas eu de Grenelle. Nous avons assisté à un défaut de concertation, une réforme montée à la va-vite… Tout semble avoir été fait pour que les associations comme les nôtres, la société civile n'aient pas voix au chapitre. Nous sommes en présence d'un double choix. Sur la forme, celui d'une réforme rapidement menée. Sur le fonds, le choix de ne pas retenir d'autres solutions de financement des retraites qui auraient pu fonctionner, mais qui supposaient un courage politique différent : par exemple, la taxation des plus hauts revenus, la remise en cause de certaines niches fiscales… Des mesures qui auraient permis de rétablir une certaine égalité au sein de la population… Cela n'a pas été fait. Au final, le choix a été celui de la mesure la plus banale : reporter l'âge de la retraite et celui de la durée de la cotisation.

Peut-on avoir un exemple concret de ce qui se passera si la réforme est adoptée telle quelle ?

Prenons l'exemple d'une personne touchée par une sclérose en plaque, qui a peu travaillé et qui touche une petite pension d'invalidité avec quelques compléments (allocation supplémentaire d'invalidité/ASI et la majoration pour la vie autonome/MVA). Au moment de l'âge de la retraite, elle n'aura droit qu'au minimum vieillesse (allocation de solidarité pour les personnes âgées/ASPA), mais sans aucun complément. Du coup, elle connaîtra nécessairement au final une baisse de revenus du simple fait de son âge, alors que ses besoins sont supposés augmenter avec le vieillissement. Il fallait effectivement un projet de réforme des retraites, mais un projet qui soit repensé, qui soit plus égalitaire et qui permette aux personnes qui ont des difficultés sur le marché du travail et dans leur vie professionnelle du fait de leur état de santé d'avoir des droits à la retraite suffisants compensant les difficultés rencontrées pendant leur vie active… ce qui ne sera pas le cas. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le calcul se fait sur les 25 meilleures années. Pour une personne qui apprend sa maladie à 24 ans… Par exemple, une personne touchée par un cancer qui va subir des traitements lourds, lesquels, probablement, vont l'écarter du marché du travail à un moment ou à un autre… Et bien pour cette personne là, parce qu'on n'a pas imaginé d'autres modes de calcul  pour elle, elle sera substantiellement défavorisée au moment de la retraite.


Quelles sont les principales revendications des Chroniques associés ?
La grande priorité pour nous, c'est bien évidemment que la nouvelle loi ne prenne pas comme principales variables d'ajustement ce que j'évoquais plus haut soit le report de l'âge de la retraite et l'allongement de la durée de cotisation. Nous demandons aussi de réelles possibilités de départ anticipé à la retraite pour les personnes qui ont un état de santé qui ne leur permet pas de travailler jusqu'à l'âge légal de la retraite. Nous voulons aussi que soient prises en compte pour le calcul des droits à la retraite les périodes non travaillées du fait de la maladie (indemnités journalières, invalidité), ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Parmi nos revendications, il y a également la nécessité de maintenir un niveau de ressources lors du passage à la retraite : en substance, il faut que le montant des revenus perçus à la retraite soit au moins égal à celui perçu avant la retraite via une pension d'invalidité par exemple.


Vous avez écrit au ministre en charge de ce dossier et aux parlementaires pour faire part de vos revendications. Quelles réponses avez-vous obtenues ?
Rien de la part du ministre du Travail Eric Woerth et des réponses de la part de parlementaires, l'UMP Denis Jacquat, rapporteur sur le texte qui, malheureusement nous propose un rende-vous… après le vote de la loi à l'Assemblée Nationale ! Notre mobilisation se poursuit.
Propos recueillis par Jean-François Laforgerie
Pour découvrir les propositions et revendications de Chroniques Associés, il est possible de consulter le dossier "Maladies chroniques et retraites" sur www.chroniques-associes.fr

Crédit photo : Hisks