Retraites : une adoption à l’arrachée

Publié par jfl-seronet le 24.03.2023
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Politiqueretraite

Les motions de censure contre le gouvernement d’Élisabeth Borne ont été rejetées, lundi 20 mars. La réforme des retraites est donc adoptée. Mais ce n’est pas encore la fin de l’histoire entre saisine du Conseil constitutionnel sur la légalité de la réforme et possible durcissement du mouvement social, promis par la quasi majorité des syndicats. Seronet fait le point.

Bronca. La réforme des retraites a été définitivement adoptée lundi 20 mars après le rejet des deux motions de censure déposées contre le gouvernement qui se maintient à neuf voix près. L'exécutif fait de nouveau face depuis à une contestation sociale qui menace de se durcir, constate l’AFP. De nombreuses manifestations ont eu lieu dans la soirée du 20 mars dans plusieurs villes de France, émaillées parfois d'incidents. À Paris, des opposants-es à la réforme ont déambulé, par petits groupes, dans le centre, jetant des projectiles sur les forces de l'ordre, mettant le feu à des poubelles ou renversant sur leur passage du mobilier urbain. Plus d’une centaine de personnes ont été interpellées dans la capitale au cours de ces incidents, selon une source policière. Les mêmes scènes se sont reproduites dans plusieurs grandes villes, comme à Strasbourg, Lyon ou Rennes. Pour tenter de reprendre la main, Emmanuel Macron a consulté, dès le 21 mars la Première ministre Élisabeth Borne, plusieurs ministres et les responsables de la majorité. Il a ensuite vu Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, respectivement présidente de l'Assemblée nationale et président du Sénat. Il a également reçu les députés-es et sénateurs-rices de la majorité. Lundi 20 mars, la catastrophe n'est pas passée loin pour l'exécutif. La première motion de censure, initiée par le groupe indépendant LIOT avec le soutien de la gauche, a recueilli 278 voix sur les 287 nécessaires pour faire tomber le gouvernement Borne. Le vote n'avait jamais été aussi serré depuis une motion de censure déposée contre celui de Pierre Bérégovoy en 1992, a rappelé l’AFP.

Le deuxième texte, à l'initiative du RN, n'a lui recueilli que 94 voix.  Après le rejet de ces deux motions, la réforme des retraites d’Emmanuel Macron est donc définitivement adoptée. Dans une déclaration à l'AFP, Élisabeth Borne s'est dit « déterminée à continuer à porter les transformations nécessaires ». Du côté de ses opposants-es, on estime que son gouvernement est « mort ». La suite des événements reste incertaine tant la crise est profonde.

Les points clés de la réforme

Report de l'âge légal, durée de cotisation, mères de famille, emploi des seniors-es, carrières longues, pénibilité, régimes spéciaux... Voici les principaux points de la réforme des retraites, adoptée définitivement lundi 20 mars par le Parlement.

L'âge légal de départ en retraite sera relevé progressivement de 62 à 64 ans, au rythme de trois mois par an à partir du 1er septembre 2023 jusqu'en 2030. Néanmoins, les travailleurs-ses handicapés-es pourront partir en retraite à partir de 55 ans, et ceux-celles en invalidité à 60 ans.

Durée de cotisation. Pour obtenir une pension « à taux plein » (sans décote), la durée de cotisation requise passera de 42 ans (168 trimestres) actuellement à 43 ans (172 trimestres) d'ici 2027, au rythme d'un trimestre par an. Cet allongement était prévu par la réforme Touraine de 2014, mais sur un calendrier moins resserré. L'annulation de la décote restera maintenue à 67 ans pour ceux-celles qui n'auront pas tous les trimestres requis.

La plupart des régimes spéciaux existants, dont ceux de la RATP, des industries électriques et gazières et de la Banque de France, seront mis en extinction selon la « clause du grand-père », déjà mise en œuvre à la SNCF. La mesure ne s'appliquera donc qu'aux nouvelles personnes embauchées.

Les pensions des futurs-es retraités-es justifiant d'une « carrière complète » (43 ans de cotisations à terme) ne pourront pas être inférieures à 85 % du Smic, soit environ 1 200 euros brut par mois au moment de l'entrée en vigueur de la réforme. Les retraités-es actuels-les justifiant des mêmes critères bénéficieront aussi de cette revalorisation.

Un « index seniors » sera créé pour mieux connaître la place des salariés-es en fin de carrière dans les entreprises. Il sera obligatoire, dès cette année, pour les entreprises de plus de 1 000 salariés-es, un seuil abaissé à 300 salariés-es en 2024. Sa non-publication sera passible de sanctions. Un nouveau type de CDI sera créé à titre expérimental pour faciliter l'embauche des demandeurs-ses d'emploi de longue durée de plus de 60 ans. Ce CDI sera exonéré de cotisations familiales.
Les règles du cumul emploi-retraite seront modifiées afin que les retraités-es reprenant une activité professionnelle améliorent leurs pensions. La retraite progressive, qui permet de passer deux ans à temps partiel avant de partir en retraite, sera « assouplie ».

Carrières longues. C'est le point le plus complexe. Ceux-celles qui ont commencé à travailler tôt pourront toujours partir plus tôt. Actuellement, un début de carrière avant 20 ans peut permettre un départ anticipé de deux ans, et une entrée dans la vie active avant 16 ans peut donner droit à une retraite anticipée de quatre ans. Ce dispositif sera « adapté » avec deux nouvelles bornes d'âge : ceux-celles qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans pourront partir un an plus tôt, à 63 ans ; ceux-celles qui ont débuté avant 20 ans pourront partir deux ans plus tôt, soit 62 ans ; ceux-celles qui ont commencé avant 18 ans pourront faire valoir leur droit à la retraite quatre ans plus tôt, soit 60 ans ; ceux-celles qui ont démarré avant 16 ans pourront terminer leur carrière six ans plus tôt, soit 58 ans. La durée minimale de cotisations, une fois l’âge anticipé atteint, sera désormais fixée à 43 ans cotisés pour toutes les carrières longues.

Mères de famille, orphelins-es. Une surcote de pension allant jusqu’à 5 % sera accordée aux femmes qui, sous l'effet des trimestres validés au titre de la maternité et de l'éducation des enfants, dépasseront les 43 annuités requises pour une pension à taux plein, un an avant l'âge légal de départ. Le nombre de trimestres pour éducation attribués à la mère, dans le partage entre parents, est augmenté. La majoration de pension pour enfants sera étendue aux professionnels-les libéraux-les et aux avocats-es. Les orphelins-es pourront bénéficier de la réversion de la pension de leurs parents.

Pénibilité. Le compte professionnel de prévention prenant déjà en compte le travail de nuit et d'autres critères de pénibilité pourra être utilisé pour financer un congé de reconversion professionnelle. D'autres critères comme le port de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations mécaniques seront eux pris en compte au moyen d'un nouveau « fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle ». Chez les fonctionnaires, les « catégories actives » englobant notamment les policiers-ères, pompiers-ères et aides-soignantes conserveront leur droit à un départ anticipé.

Saisie du Conseil constitutionnel

Starting-block. Élisabeth Borne va saisir « directement le Conseil constitutionnel » pour un examen « dans les meilleurs délais » du texte de la réforme des retraites, a indiqué (20 mars) Matignon après l’adoption du projet de loi, suite au rejet des motions de censure.  La Première ministre souhaite ainsi que « tous les points soulevés au cours des débats puissent être examinés » indique cette même source, en référence à la contestation par certains-es parlementaires de la constitutionnalité de plusieurs mesures. La gauche a notamment indiqué qu’elle souhaitait saisir le Conseil constitutionnel, contestant en particulier le fait que cette réforme puisse être menée par le biais d’un projet rectificatif du budget de la Sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel doit, par ailleurs, examiner la recevabilité d’une demande de référendum d’initiative partagée (RIP), initiée par la Nupes pour contester le projet du gouvernement, et qui lui a été soumise dès lundi 20 mars, indique l’AFP.

Mouvement social et gardes à vue

Des manifestants-es retenus-es plusieurs heures au commissariat, puis relâchés-es sans aucune poursuite : avec les rassemblements spontanés contre le 49.3, avocats-es, magistrats-es et certaines personnalités politiques ont dénoncé des gardes à vue « arbitraires », y voyant, comme lors d'autres mobilisations ces dernières années, une « répression du mouvement social ».  Ainsi sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané le 16 mars, place de la Concorde, émaillé d'incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi. Pas moins de 283 procédures ont ainsi été classées sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d'infraction. Le 17 mars, 60 personnes ont été placées en garde à vue : 34 procédures ont été classées, 21 ont mené à des mesures alternatives (rappel à la loi, avertissement probatoire...) et cinq à un procès. « C'était vraiment toutes sortes de profils : étudiants à l'ENS, médecin, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d'un colloque et qui ont été nassés », a expliqué à l'AFP Me Coline Bouillon, l'une des avocates ayant assisté des manifestants-es. Les personnes ont été placées en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences », ou « dissimulation du visage » et sont restées 24h ou 48h en garde à vue, a précisé l'avocate, qui parle de « gardes à vue-sanctions », avec des « dossiers irréguliers », « vides en terme de preuve de culpabilité ». Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a lui aussi dénoncé lundi 20 mars ces nombreux placements en garde à vue, y voyant une « répression du mouvement social ». « Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d'exercer cette liberté », a estimé également Me Raphaël Kempf. Plusieurs personnalités politiques de gauche, comme les députés-es LFI Ugo Bernalicis et Mathilde Panot ou l'adjoint à la maire de Paris David Belliard ont critiqué des « arrestations arbitraires ». Depuis une « quinzaine d'années », il y a une « judiciarisation du maintien de l'ordre », relève Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de ces questions. Il cite notamment la loi dite Estrosi de 2010 qui crée le délit de « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » — initialement votée pour « lutter contre les violences de bandes et dans les stades », mais utilisée depuis en manifestation.

Commentaires

Portrait de Superpoussin

Merci pour ces points clés.

Je lis que les personnes en invalidité pourront partir à 60 ans. Est-ce une possibilité ou une obligation?

 

Enfin quand je lis "carrière complète" correspondant à 43 années cotisée je suppose que si on a 43 années validées sans cotisations on ne rentre pas dans la catégorie des carrières complètes? Si c'est le cas quelles sont les propositions d'Aides ou autres associations VIH pour défendre les anciens du VIH n'ayant quasiment pas pu travailler?

Portrait de jfl-seronet

 
Bonjour Superpoussin,

J'espère que vous allez bien.

Juste pour vous informer que suite à vos deux commentaires concernant les retraites et d'autres demandes, nous avons lancé la réalisation d'un dossier sur Remaides (qui sera repris sur Seronet) permettant de donner des infos et conseils notamment sur les points que vous mentionnez. L'article est en cours. Il comportera deux parties : le récit de ce qui s'est passé ces denières semaines, l'émergence de revendications concernant les personnes vivant avec une maladie chronique (ALD), celles qui ont eu des carrières hachées du fait de problèmes de santé...

Une autre sera plus sur les solutions et conseils, notamment avec l'apport des associations VIH qui ont la plus forte expertise sur le sujet. Je pense particulièrement aux ActupienNes et à d'autres ressources dans des associations de santé.

Je voulais savoir s'il était possible de reprendre vos commentaires dans le cadre de ces articles... je trouve qu'ils posent très bien la problématique à la fois personnelle, mais comme vous le dîtes qui concerne d'autres personnes. Je peux (selon votre choix et si vous en êtes d'accord) citer votre pseudonyme (ou pas).

Merci par avance de l'intérêt que vous accorderez à cette demande.
Bien cordialement
JFL pour Seronet