Rien pour nous, sans nous !

Publié par Fred Lebreton le 09.09.2021
2 706 lectures
Notez l'article : 
0
 
Initiativecongrès AIDES 2021

L’édition 2021 du congrès national de AIDES s’est tenue du 3 au 5 septembre dans un format inédit avec près de 300 militants-es répartis-es dans sept villes différentes en France (Nantes, Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille, Strasbourg et Toulouse). Thème central de ce week-end : la démarche communautaire en santé, avec la présentation de nombreux cas concrets qui ont montré en quoi ce concept, développé par AIDES à sa création, était si important dans la lutte contre le VIH et les hépatites et gardait toute sa pertinence. Retour sur un week-end riche en échanges et partages d’expériences.

La démarche communautaire, quézako ?

La démarche communautaire consiste à agir avec un groupe de personnes (la communauté) unies par une même problématique et un même désir d’action. Ensemble, les personnes trouvent les ressources pour élaborer des solutions à leurs problèmes, agir sur leur environnement ou améliorer leur quotidien. La santé, elle aussi, est un bien commun que la communauté décide de gérer elle-même avec l’aide ou non d’un-e facilitateur-rice. Les personnes concernées sont associées (y compris dans les décisions) à tous les niveaux de l’action : de l’identification des besoins jusqu’à l’évaluation. L’intérêt de la démarche communautaire est qu’elle permet de construire des actions dont la mise en œuvre est collective : les personnes concernées se mobilisent pour elles-mêmes et pour les autres. En table ronde, le vendredi 3 septembre, Bruno Spire, administrateur de AIDES et ancien président de l’association (2007 à 2015), a donné sa vision de ce concept qui remonte aux fondements de l’association. Le militant et chercheur est revenu sur la définition initiale de la démarche communautaire par le président-fondateur de AIDES, Daniel Defert, qui, dès 1984, insistait pour marquer la différence entre « identitaire » et « communautaire ». Daniel Defert a toujours affirmé que AIDES n’était pas une association gay contrairement à l’association qui l’a inspirée, le Gay Men Health Club (GMHC) (1). Bruno Spire a expliqué que le communautaire n’était pas la juxtaposition de groupes identitaires (personnes LGBT, personnes migrantes, personnes consommatrices de drogues etc.). AIDES est une association de personnes séro-concernées, séro-exposées ou séro-affectées et en tout cas séro-solidaires. Qu’ils-elles vivent avec le VIH ou pas, le vécu collectif permet aux militants-es de l’association de parler au nom des personnes et avec une colère commune. Dans sa démonstration, Bruno Spire a rappelé les quatre piliers de la démarche communautaire chez AIDES :

  • une démarche inclusive, participative et basée sur les besoins des personnes : on fait avec, pas pour. Rien pour nous sans nous !
  • la reconnaissance du savoir expérientiel qui met en valeur l’expertise rare d’un vécu individuel et collectif, tout en reconnaissant la valeur du savoir académique ;
  • la transformation sociale qui vise à effectuer un travail de plaidoyer afin de modifier les lois et innover (Bruno Spire cite l’accès à la Prep par exemple ou l’autorisation du dépistage rapide du VIH par les militants-es associatifs-ves) ;
  • la force du collectif car personne ne peut rien seul.

 

À la fin de sa présentation, Bruno Spire est revenu sur les limites de la démarche communautaire et notamment le fait de ne pas posséder toutes les expertises techniques (d’un-e médecin, par exemple) ou le fait que ce principe ne soit pas adapté à l’urgence (une catastrophe naturelle, par exemple, sera plutôt gérée par une association humanitaire).

« L’empouvoirement »

Christine Ferron, déléguée générale de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé, est intervenue pour expliquer le concept d’empowerment. « L’OMS traduit empowerment par autonomisation, mais je trouve qu’il y a un vrai danger à considérer l’autonomisation sans la notion d’empouvoirement », a déclaré la psychologue clinicienne de formation. Et d’ajouter : « L'empowerment se fait à trois niveaux : d'abord au niveau individuel (prise de décision pour soi-même), ensuite au niveau communautaire (construction d'un sens de la communauté) et enfin au niveau organisationnel (collaboration, transmission d'information, prise de décision) ».

Où en est la culture de la participation en France ? L’experte en santé explique qu’avec un système éducatif très normatif, notre modèle est un des plus inégalitaires au monde avec une dominante persistante du modèle biomédical et du savoir scientifique, et des instances de démocratie en santé qui restent consultatives et peu écoutées. La crise sanitaire liée à la Covid-19 en a fait la démonstration éclatante. « Si la connaissance est une lutte sociale entre puissants et faibles, il est vital de développer un secteur tiers de la recherche, porté par les personnes concernées », a exhorté Christine Ferron.

Dépistage communautaire au Maroc

Après la théorie, place à la pratique ! Tout au long du week-end, des militants-es de AIDES et d’autres associations partenaires sont venus-es présenter des exemples concrets de mise en pratique de la démarche communautaire en santé. C’est le cas de Mehdi Karkouri, professeur agrégé à la faculté de médecine de Casablanca (Maroc) et président de l’Association de lutte contre le sida (ALCS), membre de Coalition Plus, un collectif dont AIDES est co-fondateur, comme l’ALCS d’ailleurs. Le militant a montré comment un plaidoyer associatif avait permis de mettre en place le dépistage communautaire du VIH au Maroc. Un travail de longue haleine, entamé en 2009, qui a donné lieu à une phase pilote en 2016, puis, finalement, en 2019, a débouché sur une circulaire officielle du ministère de la Santé. Aujourd’hui, au Maroc, 80 % des découvertes de séropositivité au VIH se font dans le cadre du dépistage communautaire. « Cette victoire a ébranlé le pouvoir médical qui peut se croire tout puissant », a souligné Mehdi Karkouri. Et d’ajouter : « C’est la reconnaissance de l’expertise de la communauté ».

Travail de rue à Marseille

Joachim Levy, militant de l’association Nouvel Aube à Marseille, est venu présenter sa structure spécialisée dans le travail de rue auprès des usagers-ères de drogue. Créée en 2010, Nouvel Aube a développé une expertise communautaire par les pairs pour aller vers les personnes consommatrices les plus précaires qui vivent dans la rue ou des squats. L’association effectue 400 accompagnements par an, met en place des groupes d’auto supports, réalise des Trods VIH et VHC, propose des hébergements et bénéficie d’une « entrée permanente » en détention qui lui permet de faire le travail « dedans et dehors ». Nouvel Aube publie même une revue participative et associative qui sert d’outil de médiation : la revue Sang d’encre. « Lorsqu'on arrive dans un squat, la première chose qu'on fait, c'est travailler sur la dignité et la sécurité du lieu. On ne peut pas envisager de prendre soin de soi quand on ne se sent pas en sécurité là où on vit » a expliqué Joachim Levy.

Un centre de RDR à Lisbonne

Autre bel exemple de réussite de la démarche communautaire en santé, celui présenté par Ricardo Fernandes, le directeur de l’association de lutte contre le VIH portugaise GAT, membre de Coalition Plus. Ce dernier a présenté In mouraria, un centre de réduction des risques à Lisbonne. Situé dans un quartier avec une forte migration issue d’Afrique du nord, le centre propose un accompagnement communautaire par des pairs, un accès internet, de la nourriture, du matériel d’injection, une adresse courrier, des dépistages VIH, VHC, VHB, etc. En 2020, le centre a accueilli 65 usagers-ères par jour, 14 605 seringues ont été distribuées ainsi que 1 249 kits de crack et 689 Trods ont été effectués. « Pour faciliter les relations avec le voisinage du centre d'accueil des usagers de drogues, on l'a ouvert aux gens du quartier, qui sont devenus utilisateurs (distribution de capotes, dépistages…), puis ambassadeurs du lieu », s’est réjoui Ricardo Fernandes.

Du porte-à-porte en Île-de-France

Armand Totouom, militant de AIDES dans le Val-d'Oise, a présenté le programme Hermetic qui consistait à proposer un dépistage du VIH par Trod au domicile de personnes, en le proposant prioritairement aux hommes originaires d’Afrique subsaharienne hétérosexuels ou hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Cette expérimentation de porte-à-porte a eu lieu entre novembre 2016 et février 2017, dans les villes de Bagnolet, Saint-Denis, Sevran (Seine-Saint-Denis). Au total : 278 personnes ont été rencontrées et le taux de trods positifs au VIH était de 3 %. Cette action a généré une forte mobilisation des militants-es et une bonne acceptabilité de la part des habitants-es. Pour renouveler, cette action, un affinement des critères de choix des sites est préconisé avec la difficulté qu’il n’existe pas en France de données officielles sur la répartition des populations migrantes.

De la pirogue en Guyane

Romaric Zeriouh-Vene, militant de AIDES en Guyane et président de la région caraïbes de AIDES, a présenté le projet Takari sur l’empowerment des personnes séropositives en zone isolée. Takari est le mot qui désigne la grande tige de bois qui sert à diriger la pirogue, moyen de transport le plus utilisé dans certaines zones de la Guyane. Dans la ville de Saint-Laurent-du-Maroni, le manque de transports isole les personnes vivant avec le VIH issues de la communauté amérindienne dont beaucoup ont été dépistées en stade avancé de l’infection. Pour les accompagner et renforcer leur autonomie, les militants-es de AIDES vont à leur rencontre. Une fois arrivé au village, la coutume est d’offrir une bouteille de rhum au chef coutumier. La sérophobie est très présente dans cette communauté, en grande partie par méconnaissance des modes de transmission. Les difficultés d’accès aux traitements VIH sont un réel enjeu alors plusieurs mois de traitements sont délivrés, afin d’éviter les ruptures. « Une mission d'exploration dans une zone protégée extrêmement isolée nous a permis d'identifier clairement les freins dans l'accès aux soins et à la prévention : pas de papiers d'identité pour voyager, fracture numérique, barrière linguistique, etc. » a expliqué Romaric Zeriouh-Vene.

Un groupe migrant LGBT à Marseille

Qui a dit que les groupes en non mixité étaient un problème ? Certainement pas Moussa Fofana, militant de AIDES à Marseille, qui a présenté un groupe d’auto support de migrants-es LGBT qui se réunit chaque vendredi au Spot Longchamp. Parti du constat que les migrants LGBT étaient très isolés à Marseille et connaissaient peu la Prep, Moussa a créé ce groupe en décembre 2018. L’idée était de créer un espace sécurisant entre personnes qui connaissent et comprennent les difficultés liées aux parcours migratoires. Le groupe compte 92 membres à ce jour. Il réunit chaque semaine entre 20 et 30 personnes originaires principalement d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen orient. Les thématiques abordées sont l’isolement, l’accès aux droits, aux soins et la promotion de la Prep entre pairs. « La non-mixité a permis de construire quelque chose de vraiment très positif pour les personnes concernées et quand nous avons ouvert à d'autres publics, ils ont pu bénéficier de tout ce que la non-mixité avait permis de construire », a expliqué Moussa Fofana.

Cette édition 2021 du congrès national de AIDES s’est terminée par les discours de la nouvelle présidente de l’association Camille Spire et de son directeur général Marc Dixneuf. Seul regret, en raison de la crise sanitaire, les militants-es n’ont pas pu faire la traditionnelle soirée festive du samedi soir, mais la conception du programme a permis de nombreux temps de discussion en off, et la joie de se retrouver après un an et demi de réunions en visio était palpable. La crise sanitaire liée à la Covid-19 l’a montré : « Rien pour nous, sans nous ! » reste un principe plus que jamais d’actualité. Charge à chacun-e d’entre nous de l’appliquer que ce soit chez AIDES ou ailleurs.

(1) : Le GMHC est une organisation de service de lutte contre le sida basée à New York, à but non lucratif, soutenue par des bénévoles et basée dans la communauté dont la mission est de « mettre fin à l'épidémie de sida et d'améliorer la vie de toutes les personnes touchées ».

 

Une légion d’honneur pour Catherine Aumond
Moment fort en émotion de ce congrès, samedi 4 septembre, Bruno Spire, ancien président de AIDES, a remis la légion d'honneur à Catherine Aumond, administratrice et trésorière de l’association. C’est d’abord dans son métier de sage-femme que Catherine Aumond agit avec et pour les plus vulnérables. Dès 1982, elle accompagne de nombreuses femmes qui cumulent des facteurs de vulnérabilité, particulièrement en milieu rural. « C’est confrontée à une femme séropositive en 1993 qui voulait des enfants et se heurtait à un milieu médical l'accusant d’engendrer de futurs orphelins, qu’est née ma force militante », a rappelé la militante dans son discours de remerciements. « Il est certain que le regard positif inconditionnel que j’ai découvert à AIDES a profondément changé ma pratique professionnelle. (...). AIDES est un magnifique lieu de rencontres. J'ai ri, pleuré, râlé, écrit, argumenté (...). Je pense que l'épidémie de VIH est loin d'être terminée, cette Légion me donne envie de continuer à me battre », a-t-elle déclaré. Et de conclure : « Je dédie cette distinction à l’ensemble des militants-es de AIDES et à toutes les personnes séro-concernées ».

La parole aux militants-es
Loic, volontaire à Lyon, a souligné le « plaisir de retrouver des gens, des vrais gens parce que c’est vrai que depuis quelques temps nous avions l’habitude de nous retrouver en visio sur des temps de militantisme ; donc revoir des gens, pouvoir s’autoriser à faire des checks, des vrais plutôt que des coucous en vidéo, c’était bien ». Même constat pour Christelle, militante à Clermont-Ferrand : « Après un an et demi de Covid, ça fait énormément de bien de se revoir tous en petits groupes, en face à face (…). J’ai pu rencontrer d’autres personnes avec qui j’avais échangé uniquement par mails ou par visio et enfin mettre des visages sur des noms ». La militante ajoute que la réflexion autour de la démarche communautaire en santé va nourrir son action au quotidien notamment auprès des personnes trans et travailleuses du sexe. « Ça n’est pas parce que moi je trouve que telle idée est pertinente qu’elle l’est forcément pour la personne concernée ». De son côté, Quentin, volontaire à Paris, a apprécié le fait d’avoir le temps d’échanger : « La démarche communautaire, ce n’est pas le caritatif (…). On ne l’avait pas forcément travaillé avant donc c’était intéressant de passer tout un week-end dessus. C’est un format qui est assez cool parce que c’est long, ça permet vraiment de travailler ».

Yazdan Yazdanpanah, un « compagnon de route »
Dimanche 5 septembre, lors d’une table ronde intitulée « Regards extérieurs sur AIDES et la démarche communautaire », le professeur Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’agence ANRS | Maladies infectieuses émergentes, est revenu sur le rôle important de la démarche communautaire dans la recherche VIH. Celui qui s’est définit comme un « compagnon de route de AIDES depuis 14 ans » a cité, pour exemple, le décret en 2010 qui a permis au personnel non médical d'effectuer du dépistage VIH rapide (Trod). « Pourquoi ce serait aux personnes de venir se faire dépister ? Est-ce qu'on pourrait aller vers elles ? Avec un langage différent ? Ce sont ces questionnements, appuyés sur la recherche communautaire qui ont permis de faire changer la loi et que des personnels non médicaux puissent faire du Trod », a expliqué le professeur, qui regrette d’ailleurs le manque d'implication de la société civile dans la crise sanitaire liée à la Covid-19. Interrogé sur les inquiétudes liées au budget de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes suite à sa fusion avec l’agence de recherche Reacting, Yazdan Yazdanpanah s’est voulu rassurant : « Le budget annuel de l'agence de 40 millions d'euros est maintenu et ce fonds reste affecté à la recherche VIH/hépatites/IST ».

Un député allié… mais prudent
Jean‐François Mbaye, député LREM du Val de Marne et président du groupe d’information VIH/sida à l’Assemblée nationale, était le dernier invité du congrès. Le député a rappelé que le terme communautaire était souvent diabolisé par les conservateurs et a parlé de « malhonnêteté intellectuelle » à ce sujet. Il a souligné la nécessaire complémentarité entre les pouvoirs publics et le milieu associatif : « Il y a un devoir moral et une obligation pour les pouvoirs publics de soutenir le milieu associatif et il faut un dialogue permanent ». Questionné sur le manque de communication officielle autour de la Prep et du Tasp, le député a admis un manque des pouvoirs publics qui doivent reprendre la main sur ces sujets. « Quand on a des spots pour la sécurité routière, ils passent partout : à la télé, dans les cinémas, etc. Il faut que les pouvoirs publics donnent la même puissance d’action à la Prep et au Tasp », a préconisé le député. Questionné sur la politique gouvernementale actuelle sur les drogues, très répressive, et les déclarations récentes du président Macron à Marseille, Jean‐François Mbaye a botté en touche refusant de commenter l’actualité. Et d’ajouter de façon prudente : « Il faut oser le débat sur la légalisation du cannabis, je n'y vois aucune objection ».