Santé, démocratie : l’ordonnance de François Bayrou

Publié par jfl-seronet le 02.03.2012
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Modemsanté en campagne 2012
Ecouter la société civile, les corps intermédiaires, ceux que Nicolas Sarkozy voue aux gémonies, comprendre ce qui anime les militants, confronter les idées… C’est l’exercice que François Bayrou a organisé lors de 4 forums thématiques. Seronet était présent à celui sur la solidarité, le 11 février, et celui sur la démocratie, le 25 février. Des occasions pour le candidat du Modem de faire part de certaines de ses propositions sur la santé et la vie démocratique.
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Sur le fond bleu de la scène de la Maison de la Chimie à Paris, un mot se détache : Solidarité. Un mot fort qui agit comme un slogan et couvre, ici, des champs larges : la protection sociale, l’activité pour tous et le Vivre ensemble. C’est sur ces trois thèmes-là que François Bayrou a décidé de consulter, échanger et proposer à l’occasion d’un des grands forums qui émaillent sa campagne présidentielle. Celui-ci est le troisième du genre. Le candidat du Modem et ses invités (experts, syndicalistes, chercheurs, personnalités, militants, adhérents du Modem, etc.) ont déjà eu l’occasion de plancher sur Produire français et l’éducation. Cette fois, le forum tombe (11 février) à la suite de l’interview d’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy, celle du "Figaro magazine", une occasion de se confronter à lui : "valeurs contre valeurs", mais surtout de faire des propositions, lors d’un grand discours.


Le dispositif est simple et opérant. Chaque thème fait l’objet d’une table ronde : plus d’une trentaine d’intervenants de tous horizons y interviennent chacun pendant quatre minutes pour partager un constat et faire des propositions. François Bayrou passe d’un groupe à un autre. Chaque groupe fait une synthèse des idées fortes partagées, en rend compte devant le public et le candidat. Ce dernier prononce, à la suite, un discours sur ses options, ses choix, et fait, selon les cas, son miel ou pas des travaux et des préconisations des tables rondes. La méthode envoie deux messages : il faut écouter la société civile et prendre en compte l’expérience des corps intermédiaires et celui qu’un projet politique ne se bâtit pas seul. Le 11 février, Seronet assiste à la table ronde sur la protection sociale… Il s’agit plutôt de définir les contours de ce qui devrait être la "nouvelle protection sociale". Deux thèmes sont plus particulièrement abordés : la dépendance et la santé. Des médecins et praticiens hospitaliers, des responsables d’associations de personnes en situation de handicap (malades d’Alzheimer, malades psychiques, etc.), des militants, syndicalistes débattent pendant plus de trois heures. Deux autres groupes travaillent en parallèle sur les deux autres thèmes. A cette occasion, François Bayrou prononce un long discours sur le modèle social français, le travail, le logement, la dépendance et le handicap, etc.  Deux points sont également traités : l’avenir de la protection sociale et la lutte contre les discriminations.

La santé… aux petits soins
Très critique, François Bayrou n’est pas en phase avec le sortant sur bien des domaines. La santé ne déroge pas. "Ni l’équilibre, ni l’équité ne sont aujourd’hui garantis. Je dis en une seule phrase que rien ne justifie que notre système de santé, excellent, coûte 12% du PIB avec des médecins et des professionnels de santé moins bien payés que leurs confrères des pays comparables, une grande insatisfaction des professionnels et, assez souvent, en tout cas dans la vie quotidienne, des difficultés croissantes pour les patients (….). La loi HPST, les nouveaux modes de gestion de l’hôpital, la place faite aux médecins et aux personnels de santé, tout cela a entraîné une profonde démoralisation", explique François Bayrou. Cette démoralisation affecte les médecins de ville, l’hôpital… Le candidat centriste dénonce aussi les déserts médicaux qui "sont impossibles à accepter pour une société comme la nôtre. La politique d’incitation par des bourses, que j’ai soutenue lors des échéances précédentes, a montré ses limites. Quelques centaines de places seulement ont pu être attribuées. Je pense qu’il faut une politique active de suppression des déserts médicaux. Je fais une proposition novatrice : je suis prêt à élargir le numerus clausus [le nombre de médecins, ndlr], par la négociation, contractuellement, en fléchant un certain nombre de postes vers des affectations temporaires (pour quelques années), là où on en aura le plus besoin". Une proposition plus offensive que celles de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy, si on ne juge par le projet 2012 de l’UMP.
François Bayrou estime aussi que la "carte des services, notamment des services d’urgence et de soins ambulatoires, des services de maternité par exemple, doit prendre en compte les territoires. Je suis opposé à la fermeture autoritaire des maternités de proximité. Lorsqu’il s’agit de plateaux techniques nécessitant des investissements très lourds, je comprends bien qu’on les traite en réseaux, qu’on les réserve à des unités très opérationnelles. Mais fermer une maternité parce qu’il lui manque cent accouchements par an, un tous les trois jours, pour correspondre aux normes, c’est absurde. Il est des services de proximité, l’urgence, en particulier l’urgence cardio-vasculaire, le soin ambulatoire, la maternité, et il appartient à une société dont l’humanisme est la vocation de les garantir à tous les malades de tous les territoires". Sur l’enjeu des urgences qui concerne potentiellement chacun et chacune d’entre nous, il propose à "chaque fois que nécessaire (…) l’installation, en amont des urgences hospitalières, de maisons médicales chargées d’accueillir l’urgence, qui soigneront en premier recours, consulteront, prescriront et orienteront vers les services hospitaliers les urgences qui nécessitent un tel recours ou des examens approfondis. Ces maisons médicales d’urgence, dont nombre de départements ont commencé à se doter regrouperont des personnels hospitaliers et des médecins ou infirmières de ville. Le service auprès de la personne en consultation sera mieux assumé, mieux garanti, coûtera beaucoup moins cher. Pour mémoire je vous rappelle les prix respectifs de telles consultations : 240 euros aux urgences hospitalières, 60 euros aux urgences ouvertes. Et il y a 15 millions de consultations aux urgences tous les ans. Meilleur service et économies de près de deux milliards".

Comptes soucieux !
Cela commence par une affirmation : "Les régimes de sécurité sociale doivent être équilibrés. C’est une part importante du retour à l’équilibre des finances publiques, au sens large, de la nation", indique le candidat centriste. "Mais il demeure un problème brûlant. Lorsqu’une personne sortant des minima sociaux n’est plus prise en charge par la CMU-C [couverture maladie universelle complémentaire, ndlr], elle prend de plein fouet la baisse des remboursements et les cotisations supplémentaires. C’est dans ces populations que l’on trouve ceux qui n’ont plus les moyens de se soigner, les abandonnés de la santé. L’Aide complémentaire santé est utile, mais on pourrait sans doute faire mieux pour ces populations. L’idée du Bouclier Sanitaire de Martin Hirsch va dans le même sens. Je veux défendre l’idée d’un Bouclier Santé. Ce Bouclier Santé peut être financé en employant autrement, en gérant autrement, l’argent consacré aujourd’hui à l’aide complémentaire santé". La martingale ? C’est l’exemple du système d’assurance complémentaire qui est en place depuis des décennies sur notre territoire national, en Alsace-Moselle. Cette mutuelle universelle, qui améliore notablement les remboursements et les prises en charge, qui est gérée par les syndicats et les organisations professionnelles, qui est entièrement équilibrée, gérée en lien direct avec l’Assurance maladie offre aux cotisants des résultats exceptionnels et qui méritent d’être examinés". Pour François Bayrou, ce n’est pas forcément la panacée, mais à tout le moins un exemple dont il serait utile de s’inspirer.
Interrogé par "Le Généraliste" (17 février 2012), le candidat du Modem précise sa pensée en matière de financement de la protection sociale : "Nous n’avons pas besoin de révolution. Nous avons besoin (…) de repenser son équilibre et son équité dans un souci de restructuration, de mise en réseaux, et d’échange sur les bonnes pratiques".

Stop aux discriminations
La lutte contre les discriminations est pour François Bayrou une des clefs de la solidarité… C’est logique puisque, selon lui : "La République, c’est la solidarité, c’est un destin commun, c’est la volonté profonde de vivre ensemble. C’est pour cela que nous devons comprendre ce que représentent les discriminations vis-à-vis de nos concitoyens qui vivent dans les quartiers à mauvaise réputation, ou que la couleur de leur peau, ou leur orientation sexuelle, ou leur origine ou leur nom ou leur religion désignent comme différents. Ces discriminations existent, elles sont partout : au travail, dans la vie quotidienne, quand on entre dans un magasin ou qu’on veut louer un appartement. Elles sont un véritable poison pour notre société". Que faire une fois le diagnostic posé ? "Pour y remédier, il y a bien sûr la loi, y compris la loi pénale et le travail qu’effectue le Défenseur des droits. Mais je pense que nous n’avancerons pas sans une envie commune de réussir, qui implique des actions volontaires de la puissance publique. La priorité, c’est de mieux reconnaître les réussites issues, en particulier de l’immigration, et de leur donner toute leur place dans la société. Cela commence par les médias, qui ont un effet d’entraînement immense sur tout le reste". Mais cela ne suffira pas. "Ne nous le cachons pas, cette évolution passera d’abord par nous, ceux qui n’appartiennent pas aux minorités visibles et ceux qui y appartiennent. Je crois aux vertus de l’éducation, des campagnes de sensibilisation, je crois à l’engagement personnel de chacun pour que la discrimination ou les préjugés racistes ne passent pas par lui".

Société civile vs société servile
Le 25 février, rebelote pour le dernier forum thématique. Fond bleu, pupitre, tables rondes et discours. Cette fois, en fond de scène, un mot : "Démocratie". Au menu, trois tables rondes : sécurité et justice, les institutions et le partage des responsabilités. Animée par l’ancienne ministre Anne-Marie Idrac, la table ronde sur le partage des responsabilités a surtout traité des médias (le contre pouvoir, normalement, c’est surtout eux), restauré la réputation des fameux corps intermédiaires, la nouvelle bête noire du président sortant, et mis en avant le rôle de la société civile. Sur le versant des médias, la table ronde a pas mal patiné du fait de la prestation assez moyenne de Jean-François Kahn, pas toujours aussi brillant qu’on le dit, mais aussi brouillon qu’on le connaît. Trop d’intervenants journalistes, trop de nombrilisme professionnel, mais d’excellentes sorties et propositions d’Edwy Plenel (Médiapart). Cette monopolisation du débat et un casting d’intervenants qui tire à hue et à dia (du directeur adjoint du service des sports de France télévisions au président de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Indre, etc.) n’ont pas permis de beaucoup avancer sur les constats, ni sur les propositions… Heureusement, il y a eu de bonnes interventions sur l’apport de la société civile dans le débat démocratique et la mise en place de solutions dont celle de Ahmed El Khadiri, délégué général d’Animafac, représentant la Conférence permanente des coordinations associatives. Un rôle que François Bayrou, lui-même, avait salué lors de son discours de Dunkerque en janvier dernier. Il expliquait alors : "Il est un potentiel immense dont on ne parle pas dans les discours politiques et que je considère comme le plus riche gisement pour la mutation de la société dans laquelle nous vivons. Ce sont les associations (….) Combien sont-ils, un million de bénévoles, peut-être vingt millions d'adhérents actifs qui s'organisent, qui travaillent, qui créent, qui inventent des chemins nouveaux sans lesquels notre société - songez au social, songez à la solidarité, songez à l'accueil des plus pauvres - ne serait pas ce qu'elle est, même si c'est très imparfaitement. Partout, comme par une génération spontanée, par une irruption de générosité et de bonnes volontés et d'intelligence, de créativité, partout ils sont et partout elles sont, les associations et ceux qui les font vivre, et partout elles agissent".

Leçons de démocratie
C’est souvent dans le registre de l’ironie mordante que François Bayrou est le meilleur. On en a eu un exemple avec son discours de clôture le 25 février du forum sur la démocratie.
"Ce forum sur la refondation de notre démocratie, c’est le forum qui devrait être au fond le plus facile. Il ne demande que de la volonté politique. Il est de grand bénéfice pour les citoyens, bénéfice moral et même bénéfice matériel. Il ne coûte pas, au contraire il permet de faire des économies. Il s’agit de faire de la France un pays respectable dans ses institutions, dans le fonctionnement de son pouvoir. Il s’agit de rendre, ou de donner, à la France et aux Français l’estime et le respect de ceux qui les gouvernent". Il suffit de relire ce passage pour y voir, en creux, une belle charge contre l’équipe sortante. D’ailleurs François Bayrou sonne l’hallali. Passons sur le couplet traditionnel du troisième homme qui ferait les frais d’une bipolarisation médiatique outrancière de la campagne présidentielle. C’est un grand classique du candidat. La charge est plus efficace lorsque sont dénoncés "l’attaque dangereuse contre les corps intermédiaires de notre pays", "le mélange outrageant des intérêts de réseaux, des intérêts privés et de l’intérêt public", "l’utilisation de l’argent public au profit des mêmes", "la perpétuelle installation d’affidés ou de récompensés dans une multitude de fonctions d’État". Plus intéressante aussi est la proposition d’un référendum sur "la moralisation de la vie publique". "Elu président de la République le 6 mai, j’organiserai donc le 10 juin, jour du premier tour de l’élection législative, et en même temps que celle-ci, un référendum de moralisation de la vie publique. Je soumettrai aux Français (…) une loi-cadre". Et François Bayrou a des ambitions pour cette réforme qui "rétablira les principes d’une vie démocratique saine et équilibrée. Elle mettra un terme aux risques de comportements abusifs et de conflits d’intérêt. Elle rétablira les principes de la séparation des pouvoirs. Elle rendra intangible et protègera pour l’avenir l’indépendance de la justice. Elle protègera l’indépendance des médias et notamment des médias publics. Elle posera les principes d’une loi électorale juste et elle reconnaîtra le vote blanc. Elle réformera les règles de financement de la vie publique pour en extirper les abus. Elle imposera la parité dans la représentation".
Plus d’infos et discours de François Bayrou lors des forums sur le site de campagne du candidat.