Santé sexuelle et intelligence artificielle

Publié par Fred Lebreton le 28.03.2022
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InitiativeSachaintelligence artificielle

Mardi 22 mars avait lieu la conférence de lancement de Sacha, décrit par ses concepteurs-rices de l’association HF Prévention comme la « première intelligence artificielle conversationnelle en santé sexuelle ». Seronet vous explique ce que fait Sacha, pour qui et avec quelles limites.

Un cerveau en constante évolution

Jérôme André, directeur de HF Prévention Santé et vice-président du Corevih Île-de-France Sud était visiblement fier de présenter ce qu’il appelle son « bébé », fruit de quatre années de travail avec son époux Cyril Deschamps et de nombreux partenaires financiers et institutionnels comme le laboratoire pharmaceutique Gilead, le groupe de communication Publicis Groupe ou encore l’association Vers Paris sans sida. D’après Jérôme André, plus de 300 personnes ont travaillé sur ce projet.

Concrètement qu’est-ce que Sacha ? Décrit par ses concepteurs-rices comme la « première intelligence artificielle conversationnelle en santé sexuelle », il s’agit d’un outil d’accompagnement de parcours en santé sexuelle, gratuit et accessible 24h/24 et sept jours sur sept via une application smartphone ou tablette disponible sur les plateformes habituelles de téléchargements d’applis. Muni d’un outil de reconnaissance vocale, la personne usagère peut poser des questions en message écrit ou vocal et c’est donc une intelligence artificielle qui répond en adaptant ses réponses au profil de l’usager-ère. Jérôme André explique que cet outil est né du constat que « parler de santé sexuelle de nos jours, reste tabou, même à nos proches, amis, famille » et selon lui, « les informations en santé sexuelle sur les réseaux et Internet restent majoritairement peu fiables ». Il existe pourtant de nombreuses associations qui offrent des informations fiables validées par des experts-es, notamment sur les sites et les réseaux sociaux de AIDES, Sida Info Service, Seronet, vih.org, Actions Traitements, Sidaction ou encore le Crips pour ne citer que les plus connus ! Toujours est-il que pour HF Prévention, « les solutions de prévention aujourd’hui ne sont pas en adéquation avec les évolutions des technologies actuelles ».

Ce projet a donc été développé dans l’optique de toucher « toute la population française », ou du moins les personnes en âge et en capacité financière et intellectuelle d’utiliser un smartphone. Pour alimenter le machine learning de Sacha, les concepteurs-rices ont dématérialisé les entretiens counseling face à face effectués par HF Prévention (qui déclare effectuer 16 000 tests VIH par an) en intelligence artificielle et intégré ces bases de données à celles de Sacha. Le machine learning vient donc croiser des bases de connaissances de HF Prévention et en produire encore plus à chaque nouvelle conversation avec un-e utilisateur-rice. Jérôme André assure que l’appli est déjà bien opérationnelle puisqu’en phase test depuis trois mois. Quelque12 000 conversations avec 800 thématiques abordées auraient été initiées depuis début janvier. Pour le directeur de HF Prévention, Sacha est un « un cerveau en constante évolution » et sa mémoire évolutive le rendrait « ultra intelligent ». Outre la fonction discussion, Sacha propose aussi des fiches d’informations (avec horaires et adresse des Cegidd, par exemple) et des fiches techniques sur les IST.

Quid des données personnelles ?

Partant du principe que la personne usagère de Sacha est susceptible de partager des informations d’ordre intime concernant sa vie sexuelle et/ou sa santé, Seronet a demandé ce qu’il allait advenir des données personnelles des utilisateurs-rices ? « Sacha est anonyme et gratuit. La mémoire qui est connectée est une mémoire flash de vingt minutes. Quand la personne se déconnecte, la mémoire s’efface automatiquement et aucune donnée n’est conservée. Les utilisateurs peuvent avoir confiance en nous », assure Jérôme André. Le président de HF Prévention précise tout de même que certaines données de base comme le genre, l’âge ou la situation géographique sont récupérées par les fournisseurs de smartphones et vont servir à faire des statistiques, notamment pour des partenaires en santé publique comme France Lert, présidente de Paris sans sida. Quid des données médicales et du statut sérologique des usagers-ères ? Est-il possible que certaines sociétés privées comme Gilead, partenaire de ce projet, puissent y avoir accès ? « Non, ça ne nous intéresse pas ! » répond Jérôme André. Et d’ajouter : « Gilead est un soutien institutionnel et c’est notre partenaire depuis des années, mais il n’est pas question de conserver ce genre de données. Si nous collectons des données de santé, les gens n’auront pas confiance en nous. Et puis, on voit ce que cela donne quand les serveurs, soit disant sécurisés de certains hôpitaux, se font pirater. Je ne participerai pas à ça ».

Un risque de dépendance ?

Le 9 novembre 2021, un groupe de travail du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu son avis sur les agents conversationnels, aussi appelés chatbots. Plus d’une dizaine de recommandations ciblent les concepteurs-rices et utilisateurs-rices de ces assistants du quotidien, pour éviter de se laisser déborder par la machine. Quid notamment du risque de dépendance à cet outil chez les personnes très isolées et vulnérables ? Seronet a posé la question à Stéphanie Esteve-Terre, psychologue issue du Planning Familial et membre du Comité de pilotage du projet Sacha. « Sacha est un animateur de prévention qui oriente, mais ça n’est pas une ligne d’écoute, ni un psy donc si la personne en face ne va pas bien, elle est orientée vers des professionnels référents ». Qu’en est-il de la notion de plaisir peu évoquée lors de la présentation de Sacha ? « Sacha a été créé autour des trois piliers de la santé sexuelle : la sécurité, la satisfaction et l’autonomie. On part du besoin des personnes, mais les notions de plaisir et de consentement sont bien prises en compte dans cet outil », assure Stéphanie Esteve-Terre. Maxime Inghels, démographe et chercheur en santé globale à l’Université de Lincoln (Royaume-Uni), pilote un comité scientifique composé d’une trentaine d’experts-es et acteurs-rices en santé publique. Ce comité va évaluer Sacha et suivre son évolution. « Le but est de documenter cette expérience, évaluer les besoins des usagers-ères et mesurer leur satisfaction. Si cet outil fonctionne il pourrait y en avoir d’autres », déclare Maxime Inghels

Un test peu concluant… à ce stade

Seronet a testé l’appli. Premier constat, elle est simple d’utilisation et bien anonyme. Pas besoin de créer un profil avec une adresse mail ou un pseudo. En trois clics, l’usager-ère est sur l’interface pour poser sa question à l’écrit ou en mode vocal. Première question à notre nouvel-le ami-e Sacha dont on ne connait pas le genre : « Bonjour, où est-ce que je peux me faire dépister ? » Réponse de Sacha : « Tu peux réaliser ton dépistage auprès de ton médecin traitant ou dans un centre de dépistage. Souhaites-tu connaitre le centre de dépistage le plus proche ? » Jusque-là tout va bien, mais en répondant « oui » à cette question, Sacha nous demande : « En matière de sexualité, que pratiques-tu ? » Le test est refait plusieurs fois et à chaque fois Sacha repose cette question plutôt que de donner des adresses de centres de dépistages. Autre exemple, à la question « C’est quoi la Prep ? » Sacha répond « je ne suis pas expert dans ce que tu me demandes mais j’ai trouvé ça sur Google » avec une page Google qui s’ouvre et qui affiche les résultats de notre demande initiale « C’est quoi la Prep ». De toute évidence Sacha n’est pas encore optimal-e et doit encore apprendre. Laissons-lui le bénéfice du doute et le temps de s’améliorer. Cet outil innovant peut avoir un intérêt, comme une porte d’entrée vers une proposition d’accompagnement ou comme une source d’information plus entrainante qu’une source statique, mais certainement pas comme un accompagnement. Rien, pour l’instant, ne peut remplacer une interaction humaine, pas même l’intelligence artificielle la plus développée.

Commentaires

Portrait de cemekepirketou

Personnellement je ne fais pas du tout confiance aux groupes de pression industriels iniques et mortifères comme cette agence de publicité qui déjà préfère s'appeler groupe de communication pour se verdire, alors que la publicité est un fléau planétaire, 2e budget mondial après l'armement pour la guerre et avant l'industrie pharmaceutique, faites des recherches avec le mot antipub. L'autre, industrie pharmaceutique 3e budget mondial après la guerre et la pub, qui ne sert qu'à guérir les maux causés par les deux premiers, et la boucle est bouclé : trio de l'industrie de la souffrance qui rapporte beaucoup de fric.

Pour moi c’est évident que la question « En matière de sexualité, que pratiques-tu ? » totalement inutile et hors sujet est faite pour faire des statistiques qui se vendent , donc le but de cette application est de faire du fric, pas d’aider les personnes, c’est une démarche opportuniste et c’est de quoi la société n’a pas besoin pour guérir.

N’oubliez pas que quand quelque chose est gratuit, c’est vous qui devenez une marchandise.

Je ne ferai jamais la promotion de cette application.