Santé sexuelle : les CeGIDD en positions (1/2)

Publié par jfl-seronet le 23.08.2016
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SexualitéCegiddsanté sexuelle

Le 7e colloque national Corevih en actions s’est déroulé, début juillet à Paris. Il était consacré à la santé sexuelle et à la mise en place des CeGIDD (Centre gratuit d'information, dépistage et diagnostic des infections par le virus de l'immunodéficience humaine et les hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles). Ces structures ont d’ailleurs vocation à décliner une politique de santé sexuelle à l’échelon des territoires de santé. Mais qu’est-ce que la santé sexuelle ? Et quel devrait être le rôle des CeGIDD dans ce domaine ?

Qu’est-ce que la santé sexuelle ?

Un rapport du Haut conseil de santé publique (HCSP) y est consacré. Il est sorti en mars 2016 et fait suite à une saisine, en février 2015, de la Direction générale de la santé (DGS). Au colloque national Corevih en actions, le docteur Eric Billaud, membre de la commission Prévention éducation pour la santé du Haut conseil de la santé publique et un des pilotes du rapport, a fait les présentations.

Côté définition, on peut se reporter à celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’OMS a retenu celle-ci : "La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social lié à la sexualité. La santé sexuelle nécessite une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d'avoir des expériences sexuelles sources de plaisir et sans risques, ni coercition, discrimination et violence. Pour que la santé sexuelle puisse être atteinte et maintenue, les droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et garantis. La santé sexuelle concerne toutes les personnes, quels que soient leur âge, leurs formes d’expression sexuelle. La santé sexuelle englobe le développement sexuel et la santé reproductive".

Comme le souligne le rapport du Haut conseil de santé publique, cette notion existe, sous des formes diverses, dans des plans stratégiques internationaux (objectifs du développement, par exemple) et dans de nombreux plans nationaux de santé. En France, on trouve des objectifs et des actions en rapport avec la santé sexuelle et reproductive dans des plans comme le plan VIH-IST 2010-2014 ; le plan hépatites virales B et C 2009-2012 ; le plan national d’actions stratégiques pour une politique de santé pour les personnes placées sous main de justice 2010-2014 ; le plan cancer 2009-2013 ; le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017 ; le plan santé des jeunes 16/25 ans 2008-2010, etc. Il n’existe pas de coordination, de lien entre ces différentes dispositions. En fait, chacun fait son truc dans son coin sans se préoccuper de complémentarité, ni même de cohérence. Le rapport du HCSP avance aussi qu’une "sexualité épanouie était associée à une meilleure qualité de vie", ce que démontrent des études scientifiques. Pour l’instance, les troubles sexuels et la santé sexuelle doivent être pris en compte dans le cadre de la consultation médicale.

Il faut ajouter que de nombreuses institutions sont impliquées dans une offre de santé sexuelle en France : les ministères chargés de la Santé, de la Famille, l’Enfance et des Droits des femmes, de l’Education nationale, de la Justice, de l’Intérieur, les Agences régionales de santé (ARS), les conseils départementaux, les rectorats, les conseils régionaux, les villes. Ils et elles s’appuient sur des structures publiques, les unes axées sur la prévention et/ou le dépistage, les autres sur le soin comme les unités sanitaires en milieu pénitentiaire, les centres de santé ou les consultations de services spécialisés hospitaliers (maternité, gynécologie, urologie, maladies infectieuses, médecine légale, maladies chroniques, etc.). Ils et elles s’appuient également sur des structures associatives comme les associations de lutte contre le sida et les hépatites ou le Planning familial. Voilà, un peu, pour les considérants contextuels généraux comme disent les experts.

Nouveaux risques, nouveaux besoins

En matière de santé sexuelle, les enjeux ne sont pas minces. Dans ses différentes présentations, le docteur Billaud pointe, entre autres, la recrudescence des infections sexuellement transmissibles, la sous utilisation des vaccins (HAV, HBV, HPV, méningo C), l’insuffisance des dépistages concernant le VHB, le VHC et le VIH, la fréquence des violences sexuelles, la prévalence des mutilations féminines, etc. Si l’on prend les IST. Les gonococcies, le pourcentage de cas chez les femmes est passé de 14,7 % en 2009 à 20,4 % en 2013. Les cas de syphilis déclarés sont passés de 541 en 2009 à 1014 en 2013. Le pourcentage d’hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes parmi les cas de syphilis déclarés (réseau Resist) est passé de 84,6 % en 2009 à 86,3 % en 2013.

Si on prend en compte les données sur les dépistages (VHB, VHC, VIH), que voit-on ? Que seules 45 % et 57 % des personnes infectées respectivement par le virus de l'hépatite B et celui de l'hépatite C ont connaissance de leur statut sérologique, selon des données de 2004.

Autre donnée. Bien que près de la moitié des homosexuels (48 %) dit avoir déclaré leur orientation sexuelle lors de la première consultation, 55 % n’ont pas eu de prescription de dépistage, selon les données du plan VIH, 2006-2010. Même source et autre donnée assez incroyable : parmi les personnes ayant présenté des symptômes évocateurs d’infection par le VIH, 61 % ont consulté et parmi elles, seulement 18 % ont été testées. Par ailleurs, l’activité de dépistage du VIH en France a augmenté en 2011, puis s’est stabilisée.

On vaccine encore trop peu. "Au regard des recommandations du calendrier vaccinal actualisé, la vaccination reste insuffisamment proposée concernant le VHB", souligne le Plan de lutte contre les hépatites B et C, 2009-2012.

Autre donnée : en France, la couverture vaccinale peine à dépasser 30 % de la population ciblée pour le HPV. La couverture vaccinale cumulée du HPV était de 42 % en France (cohorte de personnes nées en 1994), alors qu’elle s’étend à 80 % pour cette même tranche d’âge, en Angleterre et Australie.

Une enquête de l’Inserm/Ined financée par l'ANRS sur les violences sexuelles indique que 20,4 % des femmes et 6,8 % des hommes disent avoir subi au moins une forme de violence sexuelle. De surcroît, 6,8 % des femmes et 1,6 % des hommes ont subi un rapport forcé au cours de la vie. Les personnes indiquent que les premiers rapports forcés ou tentatives se produisent majoritairement (55 %) avant 18 ans. Si on regarde les données concernant la santé reproductive, on note les faits suivants : une inégalité du recours à la contraception, un taux important d’échec de la contraception, une augmentation des grossesses non désirées, un recours croissant à la contraception d’urgence, une complexité de l’accès à la contraception. On voit aussi des inégalités. Par exemple, l’absence de contraception est plus importante chez les ouvrières : 6,5 % contre 1,6 % chez les femmes cadres. Le suivi gynécologique est aussi moins important : 73 % contre 82 %. Les jeunes femmes de 20-24 ans qui déclarent connaitre une situation financière difficile prennent moins la pilule : 71 % contre 88 %. Autre donnée : les IVG plus fréquentes chez les femmes de 20 à 24 ans (27 sur 1000) contre 14,5 pour 1000 pour les femmes de 15 à 49 ans.

La situation particulière du VIH

Très logiquement, le rapport du HCSP a largement traité du VIH. En France métropolitaine, il y a, selon la typologie développée par l’OMS et l’Onusida, une épidémie concentrée. C’est-à-dire qu’elle touche de manière disproportionnée certains groupes de la population et n’affecte que très peu la population générale. Les groupes les plus touchés sont avant tout les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et, dans une moindre mesure, les personnes originaires d’Afrique subsaharienne, rappelle Eric Billaud. En 2011, en métropole, la population vivant avec le VIH se répartit ainsi : 39 % des HSH, 11 % des personnes utilisatrices de drogues injectables (UDI), 24 % de personnes immigrées originaires d’Afrique subsaharienne et 26 % d’autres personnes. Parmi les découvertes de séropositivité VIH en 2013, 39 % étaient précoces (taux de CD4 supérieur ou égal à 500 CD4/mm3 ou primo-infection) et 25 % étaient tardives (taux de CD4 inférieur à 200 CD4/mm3 ou stade sida). Le nombre de diagnostics précoces a augmenté depuis 2011 et le nombre de diagnostics tardifs a diminué depuis 2010, sauf chez les HSH où il est resté stable. Les disparités régionales observées depuis 2003 ont persisté en 2013, note le rapport. Le nombre de découvertes de séropositivité rapporté à la population est plus élevé dans les départements français d’Amérique (DFA) et en Ile-de-France. Le taux d’incidence de l’infection par le VIH est estimé à 39 pour 100 000 en Ile-de-France et à 11 pour 100 000 en métropole. L’incidence est forte dans les départements français d’Amérique (59 pour 100 000).

Dans l’intérêt des populations

Le travail conduit par le Haut conseil de santé publique a aussi porté sur les caractéristiques de certains groupes ou populations. Ce sont des paramètres importants à prendre en compte. Ainsi les femmes migrantes, en plus grand nombre que les hommes en France, subissent plus de problèmes liés à la santé sexuelle : complications propres à la grossesse et à l’accouchement, violences sexuelles, etc. Ces états sont dépendants des conditions du pays d’origine, du parcours migratoire. Ils peuvent être renforcés lors de l’arrivée dans le pays d’accueil selon les conditions sanitaires et sociales subies au cours de cette période souvent précaire, indique le rapport. Malgré la baisse observée au cours de cette dernière décennie, les migrants représentent encore 35 % des nouveaux cas de VIH dans l’Union européenne et l’Espace économique européen. On estime que près de la moitié des migrants d’Ile-de-France infectés par le VIH contracte le virus après leur arrivée. Par ailleurs, près de la moitié des HSH a vécu un épisode dépressif au cours de sa vie (un quart des moins de 25 ans au cours de l’année passée), les tentatives de suicide sont cinq fois plus fréquentes que dans la population générale. On constate un haut niveau de consommation des anxiolytiques et/ou des antidépresseurs et 31 % ont été victimes d’actes homophobes au cours des douze derniers mois. Les jeunes ou les hommes faisant partie des classes sociales moins favorisées sont plus fréquemment l’objet de rejet de la part de leurs proches ou d’agressions homophobes.

Le rapport du Haut conseil a aussi pris en compte la population trans. "Le simple fait d’être trans est toujours associé à un niveau d'exposition aux risques VIH et IST plus important qu'en population générale. On relève une prévalence de 6,9 % de l’infection à VIH parmi les MtF (male to female, personnes dont le sexe de l’état-civil à la naissance est masculin et qui s’identifient au genre féminin), alors qu’elle est nulle parmi les FtM (female to male), ce qui indique la gravité de l’épidémie dans le premier sous-groupe, a fortiori en cas d’expérience de la prostitution et d’origine étrangère (prévalence de 36,4 %)", expliquent les auteurs du rapport. Les données manquent concernant les personnes trans, mais on sait, selon des données de 2007, citées dans un rapport de la haute autorité de santé sur la santé des personnes trans, que la population trans déclare plus de prises de risques et moins de recours aux soins : la moitié des répondants déclare ne jamais utiliser de préservatif lors de rapports de pénétration avec leur partenaire principal ; 21 % disent n'y avoir jamais eu recours au dépistage et parmi les personnes qui ont déjà été testées, 5,7 % se déclarent séropositives ; enfin, 20 % ont renoncé à consulter un médecin par peur d'être discriminé du fait de leur transsexualité tandis que 49 % ont subi une discrimination ou renoncé à un droit de peur d’en subir une".

Les personnes travailleuses du sexe ont également été prises en compte par le HCSP. "Plus de la moitié des personnes en situation de prostitution sont dans un état de santé dégradé avec une vulnérabilité particulière sur le plan gynéco-obstétrical (faible prévention vis-à-vis du cancer du col de l’utérus, faible utilisation d’une contraception orale et fort recours aux interruptions volontaires de grossesse)", explique le rapport. Les personnes trans qui se prostituent sont plus touchées par le VIH, avec une prévalence déclarée de 44 %.

"Une part importante de cette population soumise aux contraintes, aux violences et à la traite des êtres humains, cumule de nombreux indicateurs de précarité (absence de soutien social, de logement, de titre de séjour, de couverture maladie) et sont éloignées des réseaux de solidarité entre pairs, des actions de prévention et des offres sanitaires adaptées", indiquent les experts du Haut conseil.

Une approche positive de la sexualité

Bien évidemment, le rapport comporte de nombreuses propositions qui "visent à encourager l’approche positive de la sexualité" avec quatre éléments principaux :

- l’éducation à la sexualité dès l’enfance et le rôle essentiel de l’Education nationale ;
- une approche populationnelle ;
- la formation des professionnels, dans leur ensemble ;
- les CeGIDD au centre du dispositif territorial devant évoluer à terme vers des centres de santé sexuelle.

Ces quatre priorités d’action se déclinent en six axes, dont la création d’une "coordination nationale et territoriale pour un meilleur accès à la santé sexuelle", "la prévention et le dépistage des IST",  ou encore la "prise en compte de populations aux caractéristiques particulières". Le détail des propositions, des axes retenus, des indicateurs d’activité proposés est consultable sur le site du HCSP. On le voit les CeGIDD ont, selon les auteurs du rapport, un intérêt tout particulier en matière de santé sexuelle. Mais que sont les CeGIDD ? Quels sont leurs objectifs ? Quel est le cahier des charges de ces structures et quelles sont les opportunités d’innovation de ce dispositif ? C’est à ces questions qu’a répondu la présentation de Catherine Aumond, vice-présidente de AIDES et vice-présidente du Corevih Centre Poitou-Charentes.

A suivre...