Séjour : des vies… à guichets fermés !

Publié par jfl-seronet le 17.04.2016
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Droit et socialimmigrationaccès préfecture

Prétendue simplification administrative, restrictions budgétaires, baisse de moyens humains, contexte économique fragile… Tout cela a des effets sur la façon de travailler des préfectures et conduit, dans de nombreux endroits, à une dématérialisation des procédures de demande de titre de séjour. Dans un rapport, publié mi mars, la Cimade (1) en pointe les dérives, nombreuses, et les conséquences : des difficultés accrues d’accès aux droits des personnes les plus précaires.

"A guichets fermés". D’une formule, le titre du rapport de la Cimade pointe bien la mise à distance des personnes étrangères des guichets des préfectures. Il en résulte : un "service au rabais pour des usagers pourtant parmi les plus précaires". Et le problème n’est pas mince puisqu’il concerne une partie des 2,8 millions de personnes qui doivent faire ces démarches en préfecture. Pour les personnes étrangères, l’accès à la procédure de demande de titre de séjour est essentielle. Ce droit conditionne en effet quasiment tous les autres. Pas de titre… quasiment pas de droits. Et à la clef, une précarité administrative, sociale et économique du fait de la non-délivrance ou de l’absence de renouvellement du titre de séjour, voire l’expulsion du territoire. "Les personnes étrangères ont (….) l’obligation légale de déposer une demande de titre de séjour en préfecture et de renouveler leur titre périodiquement pour pouvoir circuler sur le territoire", rappelle la Cimade.

Avoir un rendez-vous en préfecture n’a jamais été simple, malgré le principe d’égalité devant le service public. Pour les personnes étrangères, cela relève du parcours du combattant. Les choix actuels (dématérialisation, etc.) aboutissent à multiplier les obstacles. Depuis 2012, les préfectures demandent aux personnes étrangères de prendre rendez-vous par Internet pour accomplir leurs démarches administratives que cela concerne une demande de titre de séjour ou un renouvellement. Sur le papier, cela peut sembler plus simple, mieux. Dans les faits, ce n’est pas le cas. De nombreuses personnes ne sont pas équipées (2), ne maîtrisent pas suffisamment le français pour se débrouiller, n’ont pas d’adresse mail et ne savent pas en créer une, n’ont pas d’imprimante pour imprimer leur convocation, etc. A cela s’ajoute l’application de critères très sélectifs voire de bugs. Des sites de préfecture proposent des rendez-vous les jours fériés ; des sites ne proposent aucune plage horaire. A la préfecture de la Somme (Amiens), seules les personnes déjà titulaires d’un visa long séjour valant titre de séjour obtiennent des rendez-vous. En Haute-Garonne (Toulouse), les postulants à la naturalisation qui résident dans le département ne peuvent pas s’inscrire. Et comme si cela ne suffisait pas, la dématérialisation a eu pour effet d’allonger les délais avant l’obtention d’un rendez-vous.

Dans son rapport, la Cimade pointe, de façon objective, qu’une partie des personnes étrangères ne parvient quasiment jamais à décrocher un rendez-vous de dépôt de dossier dans de nombreuses préfectures, alors que c’est le seul mode d’accès. De nombreuses préfectures refusent le dépôt de dossier par courrier. Celles et ceux qui n’ont pas Internet n’ont alors aucune alternative. D’autres préfectures réservent le dépôt par courrier à certaines catégories. A Colmar (préfecture du Haut-Rhin), les personnes étrangères ne peuvent pas déposer leur demande de titre de séjour en raison de leur état de santé par écrit, et uniquement elles. Elles doivent se présenter au guichet. A Poitiers (Vienne), c’est l’inverse. Les demandes pour état de santé se font uniquement par écrit. Même chose à Charleville-Mézières (Ardennes).

Depuis 2012, l’Etat indique avoir fait des efforts pour tenter d’améliorer l’accueil. Des rapports ont été demandés à l’inspection générale de l’administration, des circulaires ont été publiées, etc. Mais pour la Cimade, il n’y a "aucune réelle amélioration". Outre les difficultés liées à la dématérialisation, le rapport pointe le manque d’absence d’informations en préfecture. De nombreuses préfectures ne donnent plus aucune information dans leurs locaux. Personne ne peut répondre en direct aux demandes d’informations, d’éclaircissements. A Nantes (Loire-Atlantique), Orléans (Loiret), La Rochelle (Charente-Maritime), Toulouse (Haute-Garonne… les personnes étrangères ne peuvent avoir aucun renseignement oral.

La demande de pièces administratives non prévues par les textes existe encore. A Toulouse, la préfecture demande un certificat de travail pour une demande de titre de séjour pour soins ! La Cimade parle d’"abus généralisés dans l’exigence de pièces justificatives". L’exemple le plus flagrant est la demande de présentation d’un passeport. Dans un certain nombre de cas le passeport n’est pas exigible ni pour le dépôt d’un demande, ni pour la remise d’un titre de séjour. Et pourtant la "quasi-totalité des préfectures refusent illégalement d’enregistrer des demandes sans présentation d’un passeport", indique le rapport "A guichets fermés".

La Cimade explique qu’à "tous les stades des démarches de demande de délivrance et de renouvellement d’un titre de séjour, la mise à distance des personnes étrangères par les préfectures et al durée des démarches participent à l’instauration d’un rapport de force inégal" entre les personnes étrangères qui ont besoin d’accéder à leurs droits et "l’administration qui détient le pouvoir de les en empêcher" ; et qui dans bien des cas ne s’en prive pas ! Il est d’ailleurs assez cruel pour le pouvoir en place le bilan que dessinent les conclusions du rapport de la Cimade. Entre le rapport réalisé en 2008 et le rapport d’aujourd’hui, il apparaît clairement qu’il est plus difficile aujourd’hui pour une personne étrangère de faire valoir ses droits sous le quinquennat de François Hollande qu’avant 2012.

(1) : Association militante de défense des droits des personnes réfugiées et migrantes, créée en 1939. Elle gère aujourd’hui 131 permanences en France. Elle conseille, accompagne, héberge environ 100 000 personnes par an. Elle compte environ 2000 bénévoles.
(2) : Un François sur cinq n’a pas accès à Internet comme l’indiquait le Rapport d’activité du Défenseur des droits en 2013.

Les bases du rapport "A guichets fermés"
Le rapport de la Cimade se fonde sur les constats faits et les données recueillies dans les 131 permanences d’accueil de l’association sur tout le territoire français. La Cimade a conçu un programme qui permet à un robot informatique de se rendre toutes les heures sur les divers sites de prise de rendez-vous des préfectures. Les données sont ainsi collectées ; des captures d’écran permettent d’attester de la validité de l’information. Les données sont ensuite classées selon cinq catégories. Par exemple : "Au moins deux rendez-vous sont proposés dans les quinze jours" ou "Aucun rendez-vous n’est proposé". Les chiffres sont ensuite analysés. Dans un communiqué (16 mars), la Cimade indique qu’ils confirment les observations de terrain : "La prise de rendez-vous par Internet peut rompre l’égalité d’accès des usagers devant le service public" et "en barrer tout à fait l’accès à certains". Les données statistiques sont accessibles en ligne.

Des critiques… mais des recommandations
En conclusion de son rapport, la Cimade fait un certain nombre de recommandations relatives à l’information sur les motifs et la procédure de demande de titre de séjour, la prise de rendez-vous et l’accès aux guichet, l’enregistrement et l’instruction du dossier… Ces recommandations sont consultables page 25.