Sénégal : des gays, militants de la lutte contre le sida, condamnés

Publié par jfl-seronet le 14.01.2009
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Condamnés à 8 ans de prison pour "homosexualité" le 6 janvier, neuf Sénégalais, dont certains sont des militants de la lutte contre le sida dans leur pays, ont décidé de faire appel du jugement. Cette condamnation, la plus lourde peine jamais infligée au Sénégal contre des homosexuels, mobilise les associations des droits de l'Homme et de lutte contre le sida. Retour sur cette affaire.
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Ce n'est pas la première fois que les autorités sénégalaises (policières comme judiciaires) ont un comportement homophobe. L'homosexualité est officiellement interdite au Sénégal où elle est passible d'une peine d'un à cinq ans d'emprisonnement. En février 2008, police et justice avaient déjà montré l'étendue de leur haine des gays dans une affaire du même genre. Une homophobie, soit dit en passant, qui n'émeut guère le gouvernement, pas plus que le président Wade. Cette fois-ci, l'affaire commence à faire du bruit. Sans doute parce qu'elle intervient quelques semaines après la tenue, à Dakar, de la conférence Icasa  (Conférence internationale sur le sida) où a  été défendu, notamment par les autorités sénégalaises, le principe d'une défense des droits des minorités sexuelles en Afrique comme pièce indispensable d'une politique de santé publique et de lutte contre le sida qui marche. Sans doute aussi parce que cette nouvelle affaire est peut-être celle de trop. Sans doute enfin parce que la condamnation infligée à ces neufs Sénégalais et militants est la plus lourde infligée par la justice sénégalaise dans ce type d'affaires : 8 ans de prison ferme pour "conduite indécente, actes contre nature et association de malfaiteurs". Ils pourraient, en outre, payer chacun une forte amende. Mais de quelle affaire s'agit-il ?


Tout commence fin décembre 2008 par une dénonciation. La police intervient le 22 décembre au domicile du président de l'association AIDES Sénégal. Ce dernier et sept autres personnes y sont arrêtés. La police les accuse d'être homosexuels et saisit du matériel de prévention ainsi que des photos personnelles. Une neuvième personne est arrêtée un peu plus tard. Elles sont accusées de "trouble à l'ordre public, d'association de malfaiteurs et d'actes contre nature". Contrairement à ce que certains journaux sénégalais affirment il n'y a aucun flagrant délit. La presse sénégalaise se montre d'ailleurs assez hostile aux personnes arrêtées.  Le site du quotidien sénégalais "L'Office" publie ainsi tous les noms des personnes poursuivies et leur fonction dans l'association. Autre quotidien national, "Le Soleil" reprend la thèse de la police et parle d'actes impudiques "sous couverture d'une association de lutte contre le sida". Les neuf personnes sont déférées au tribunal en comparution immédiate. Une procédure qui empêche la présence de nombreux journalistes notamment de la presse internationale et qui ne permet pas d'assurer une défense convenable. Leur défense n'est d'ailleurs pas à la hauteur puisque certains avocats soutiennent que les homosexuels sont des "malades" qu'il faut aider à sortir de leur "bourbier". Le 6 janvier, la condamnation tombe. Elle est dramatiquement lourde : c'est huit ans de prison ferme pour dépravation de mœurs et détention de matériel pornographique homosexuel. L'avocat général avait requis cinq années de prison, soit le maximum de la peine prévue par le Code pénal. Il semble que l'extrême sévérité s'explique par le délit d'"association de malfaiteurs" retenu par le juge. L'un des quatre avocats de la défense cofondateur de la section sénégalaise d'Amnesty International, a fait appel du jugement.

Du côté des associations des droits de l'Homme et de lutte contre le sida, les craintes d'une dérive homophobe sont fortes. "Cette condamnation sévère risque d'être une voie pour aller vers une volonté de stigmatisation de l'homosexualité, explique Me Assane Dioma Ndiaye, président de l'Organisation nationale des droits de l'Homme du Sénégal. Nous craignons qu'elle soit une porte ouverte à la chasse aux sorcières" indique t-il dans "Le Soleil" (le 9 janvier). "Nous déplorons l'homophobie de plus en plus grandissante au Sénégal", indique, de son côté Khady Ndiaye, directrice exécutive de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme sur RFI (le 7 janvier). "On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. On ne peut vouloir travailler contre le racisme et l'homophobie et ne pas penser aux mesures idoines pour dépénaliser les peines ou les délits liés aux orientations sexuelles", soutient cette défenseuse des droits de l'Homme.


"Cette décision est grave et extrêmement sévère. Elle montre qu'il existe une vive répression de l'homosexualité au Sénégal. La sévérité du jugement est d'autant plus surprenante que le procureur avait requis cinq années d'emprisonnement. Ce qui, en soi, constitue déjà une lourde condamnation. En prononçant une telle sanction, le tribunal a voulu frapper pour l'exemple et faire peur aux autres", affirme Sidiki Kaba, président honoraire de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme sur RFI (le 8 janvier). "Au Sénégal, il existe une forme de pression sociale qui pousse la justice à sévir fortement. Elle est notamment le fait des islamistes et d'une partie de l'opinion publique hostile aux personnes ayant des orientations sexuelles différentes (...) Il y a une contradiction entre l'image démocratique et d'Etat de droit que le Sénégal cherche à projeter dans le monde et la réalité du terrain. S'il veut être crédible et en conformité avec les conventions internationales des droits de l'Homme qu'il a lui-même signées et ratifiées, le gouvernement doit changer d'urgence la nouvelle loi qui condamne les homosexuels (...) Il vaudrait mieux qu'il s'engage sur le chemin de la dépénalisation de l'homosexualité."


Du côté des associations étrangères, la mobilisation est rapide. En France comme en Europe, des contacts diplomatiques sont pris. Les associations font passer le message aux ambassades au Sénégal et aux instances européennes. "On a alerté les autorités diplomatiques françaises. Elles sont relativement actives (...) En première instance, d'après les informations que j'ai vu circuler, les avocats des accusés n'ont pas eu tout le temps de consulter les dossiers", explique Philippe Colomb, animateur de l'organisation française Solidarité Internationale LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) au site Afrik.com.  De son côté, AIDES a adressé un courrier à la ministre française de la Santé, à la secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme Rama Yade et à Carla Bruni-Sarkozy, nouvelle ambassadrice du Fonds mondial contre le sida pour qu'elles pressent les autorités françaises de "réagir contre cette atteinte aux droits humains, en violation des normes internationales." L'engagement des associations étrangères n'est pas le fruit du hasard. C'est une évidence alors qu'on fête les 60 ans de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, mais aussi un besoin. Celui de rappeler les autorités sénégalaises à leur engagement.

"Au Sénégal, la prévalence du VIH/sida est de 21,5 % dans la communauté gay contre 0,7 % pour la population générale, explique AIDES. Comme souligné par la communauté internationale de lutte contre le sida depuis des années, il est impossible d'envisager une politique de santé publique efficace dans des conditions de répression des droits des individus.


AIDES dénonce l'hypocrisie des autorités sénégalaises qui, d'un côté, accueillent la Conférence Internationale sur le Sida et les Infections Sexuellement Transmissibles (ICASA) et acceptent des financements pour des programmes de prévention du VIH auprès des hommes ayant des relations sexuelles entre eux et de l'autre maintiennent dans le code pénal un article contraire aux obligations du Sénégal en matière de droit international." "Le plus inquiétant, c'est que tout porte à croire aujourd'hui que l'Etat essaye de contenter les courants homophobes (... ). On est en train de régresser en matière de respect des droits humains. Si on tolère cette situation, on peut s'attendre au pire", explique Cheikh Ibrahima Niang, professeur d'anthropologie sociale à l'Université de Dakar, à l'AFP. AIDES lance une pétition demandant la libération immédiate des neuf condamnés, la protection des acteurs de lutte contre le sida au Sénégal, et la suppression de l'article 319:3 du code pénal sénégalais. On peut signer cette pétition sur le site de AIDES.


Sénégal : Roselyne Bachelot indignée
Roselyne Bachelot, La ministre de la Santé et des Sports, a fait part de son "indignation à la suite de l’emprisonnement de neuf personnes à Dakar au Sénégal, au motif de leur homosexualité" dans un communiqué. La ministre indique qu'elle a demandé ce matin en Conseil des ministres à son collègue "Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, d’intervenir auprès des autorités sénégalaises, afin d’obtenir la remise en liberté de ces personnes." Roselyne Bachelot rappelle "son combat de toujours en faveur de la lutte contre toutes formes de discriminations, notamment celles dont sont victimes les personnes homosexuelles."
Crédit photos Dakar : Serigne Diagne