Sérophobie : ça suffit !

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InitiativeJCLS 2022sérophobie

Samedi 30 avril aura lieu deuxième Journée contre la sérophobie, initiée par AIDES en 2021. Une journée particulière pour dénoncer les discriminations sérophobes et pointer les stigmatisations dont sont victimes les personnes vivant avec le VIH. Nommer la sérophobie, la dénoncer publiquement, c’est aussi visibiliser ce que beaucoup de personnes vivent souvent dans le silence. C’est aussi envoyer un message aux pouvoirs publics pour qu’ils s’emparent de ce sujet : en 2022, la sérophobie, ça suffit !

Ignorance = peur = rejet

À l’occasion du 1er décembre 2021, Journée mondiale de lutte contre le sida, le Crips Île-de-France a dévoilé un sondage (1) réalisé par l’Institut CSA : « Le rapport des Français-es au VIH/sida 40 ans après son apparition : évaluation des connaissances et des perceptions ». L’objectif du Crips est d’utiliser les résultats de ce sondage pour « lutter contre la sérophobie qui s'ignore ». Réalisée en octobre 2021 sur un échantillon représentatif, cette enquête d’opinion met en évidence un paradoxe : les Français-es déclarent un bon niveau de connaissances sur le VIH/sida, mais adoptent des comportements parfois discriminants envers les personnes vivant avec le VIH (PVVIH). En effet, les répondants-es se disent majoritairement bien informés-es (79 %) par rapport au VIH/sida — exception faite des 15-24 ans, dont un tiers ne partage pas cet avis. Peu de doute sur les modes de transmission avec 75 % des personnes interrogées qui les identifient avec exactitude et 92 % qui déclarent savoir ce qu’est une personne séropositive, précisément ou non. Passé ce bon niveau d’information déclaré, et dès lors que l’on évoque des situations concrètes, de trop nombreuses personnes évoquent un sentiment de malaise. Exemple : 36 % des parents interrogés seraient mal à l’aise si la personne qui garde leur enfant était séropositive et 27 % seraient mal à l’aise si l’un-e des enseignants-es de leur enfant était séropositif-ve. Soit une hausse de six points depuis 2017. Ce taux grimpe à 38 % chez les moins de 35 ans, soit une hausse de cinq points depuis 2017. Autres chiffres inquiétants : 63 % des personnes interrogées considèrent que la séropositivité constitue un critère important pour se lancer ou non dans une relation sentimentale et 22 % seraient mal à l’aise si elles apprenaient que leur meilleur-e ami-e était séropositif-ve. Enfin, 25 % des répondants-es pensent qu’une personne vivant avec le VIH peut représenter un danger en exerçant une profession de santé. Pour les trois quarts des répondants-es, c’est une peur de contracter le VIH qui prédomine. Une peur irrationnelle nourrit par une grande méconnaissance des avancées thérapeutiques. 73 % des personnes interrogées ignorent qu’une personne séropositive sous traitement avec une charge virale indétectable ne transmet pas le VIH (Tasp) tandis que 76 % ignorent l’existence de la Prep. Comme souvent dans le champ des discriminations, la sérophobie repose donc sur l’ignorance et crée une peur et un rejet irrationnels des PVVIH.

Un phénomène mondial

Une lecture attentive des graphiques publiés, le 14 mars dernier, par l’Onusida indique clairement que les comportements discriminatoires à l’encontre des personnes vivant avec le VIH demeurent courants, mais la prévalence des attitudes sérophobes est très variable. Dans la quasi-totalité des régions, des pays comptent une « proportion déconcertante d'adultes confrontés-es à des comportements discriminatoires envers les personnes vivant avec le VIH ». Dans 52 des 58 pays disposant de données d'enquêtes démographiques récentes, plus de 25 % des personnes âgées de 15 à 49 ans ont déclaré avoir des attitudes discriminatoires envers les personnes vivant avec le VIH. Dans certains pays, sur la période 2015-2020, le pourcentage de personnes âgées de 15 à 49 ans ayant eu un comportement sérophobe est très élevé. Il est à plus de 50 % dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Togo, le Tchad, le Monténégro, etc. Au total, dans 36 pays sur 58, ce taux est supérieur à 50 %. Il monte à plus de 60 % dans des pays comme l’Éthiopie, la Géorgie, le Mali, le Nigéria. Il est à plus de 70 % au Suriname, en Haïti, à Madagascar, en Ukraine, en Albanie, en Tunisie, au Sénégal, en Gambie, au Bénin, etc. En Guinée, au Ghana, en Jordanie, en Irak, au Turkmenistan, ce pourcentage est supérieur à 80 %.

« Bouge de là avec ton sida »

« Non mais c’est pas bien d’être ici alors que tu as le VIH ! » ; « Non merci. Tu es contagieux » ; « Je rencontre pas les putes à sida » ; « Attend t’es séropositif ? Ah heuuu désolé… Mais non » ; « Bouge de là avec ton sida ». Ces phrases, d’une violence inouïe, ont été envoyées à des hommes gays ou bisexuels séropositifs sur l’appli de rencontres Grindr. Elles font partie des dizaines de captures d’écran publiées sur le compte Instagram Séropos VS Grindr. Le but de ce compte est de dénoncer la sérophobie sur les applis de drague gays, mais aussi d'informer sur le Tasp et la Prep pour lutter contre cette sérophobie. Chaque semaine ou presque, un abonné de la page envoie un message privé aux deux administrateurs (2) avec des captures écrans de leurs échanges dans le but de visibiliser et de dénoncer la sérophobie qu’ils subissent au quotidien. Les photos et pseudos des personnes discriminées et discriminantes n’apparaissent jamais. Le but étant de montrer le caractère systémique de la sérophobie sur ce genre d’appli et non de dénoncer des comportements individuels.

La visibilité, une arme contre la sérophobie

Comment lutter contre la sérophobie et (re)prendre sa place dans l’espace publique et médiatique ? Certaines personnes vivant avec le VIH ont décidé d’être visibles et de se servir des réseaux sociaux pour exprimer cette visibilité. C’est le cas de Yassin Chekkouh, coach sportif, mannequin et activiste. Le jeune « influenceur » a décidé en 2021 de parler publiquement de sa séropositivité à ses 30 000 abonnés-es sur Instagram. Depuis, il multiplie les interviews, récemment sur Kombini, une vidéo qui cumule près de 150 000 vues entre Facebook et YouTube. Dans une autre vidéo, l’activiste pointe du doigt la sérophobie au sein de la communauté gay : « On peut se dire un peu naïvement que les personnes gays seraient plus ouvertes sur le sujet, mais c'est complètement faux. Les pires insultes que j'ai pu avoir là-dessus venaient de personnes gays ».

Autre personne très active ces derniers mois pour la visibilité des PVVIH, Nina Fafchamps.  « Je m’appelle Nina. J’ai 24 ans. Je suis artiste performeuse et activiste queer. Je suis une femme transgenre, séropositive, pansexuelle et je suis fière de l’être ! » C’est avec ces mots puissants et empreints de fierté que se présente la jeune femme dans un témoignage vidéo publié en septembre dernier sur la page Instagram du média belge Vews - RTBF. De son histoire personnelle, la jeune artiste a élaboré la pièce de théâtre Hurler à la mer en tant que récit autobiographique.

Andréa Mestre est une militante franco-ivoirienne qui parle de sa séropositivité à visage découvert dans les médias et sur ses réseaux sociaux, notamment sur son compte Instagram suivi par plus 13 000 personnes. « Le VIH est toujours un tabou chez les hétéros, en particulier dans la communauté africaine. Il y a aussi une pression sociale, familiale parfois et la peur du jugement et du rejet. Une prise de parole publique à visage découvert, c’est parfois compliqué quand on a un mari et des enfants », explique la jeune maman de 29 ans. Pour la militante, témoigner à visage découvert dans les médias et sur les réseaux sociaux est une façon, pour elle, d’incarner cette lutte : « Je voulais montrer un visage féminin car j’ai constaté, que ce soit en France ou en Côte d’Ivoire, qu’il y avait très peu de femmes séropositives visibles. Je suis une jeune femme séropositive en couple sérodifférent avec des enfants séronégatifs en bonne santé. Je mène une vie normale et je suis heureuse. Il était important pour moi de montrer cette image positive qu’on voit peu concernant les personnes vivant avec le VIH. En étant visible, je cherche à déconstruire certaines représentations et lutter contre la sérophobie », explique Andréa. Et la jeune femme de conclure : « On ne peut pas lutter contre quelque chose qu’on ne voit pas ! ».

Bien sûr, la lutte contre la sérophobie ne doit pas uniquement reposer sur les personnes vivant avec le VIH. D’abord parce que tout le monde n’a pas la possibilité ou la volonté de témoigner à visage découvert. Ensuite, car cette exposition médiatique représente souvent une charge mentale importante pour les personnes concernées avec son lot de cyber harcèlement. Enfin, car c’est aussi (et surtout) aux pouvoirs publics de s’emparer du sujet avec des campagnes d’envergures nationales sur le Tasp, la Prep.

Une campagne pour agir

« Lutter contre la sérophobie, c’est aussi lutter contre le VIH ». Ce slogan (on ne peut pas faire plus clair), AIDES l’a choisi pour cette édition 2022 de la Journée contre la sérophobie (JCLS) pour dire : stop à la sérophobie ! « Les propos sérophobes se banalisent, particulièrement sur les réseaux sociaux où les personnes agissent protégées par un pseudo. Elles s’expriment de manière sérophobe avec un naturel assez déconcertant », rappelle Sophie Fernandez, coordinatrice de Seronet et de l’événement. « L’idée de la JCLS 2022 est de mettre l’accent sur les propos sérophobes auxquels les personnes séropositives sont régulièrement confrontées pour dénoncer l’ignorance de ceux-lles qui les tiennent et remettre en question leur légitimité à agir de la sorte. Il ne faut pas oublier que la sérophobie est une attitude hostile et discriminante envers les personnes séropositives et qu’elle peut être punie par la loi ».

La campagne 2022 a été pensée pour les réseaux sociaux même si tout le monde a bien conscience que la sérophobie ne se manifeste pas uniquement virtuellement. Reste que c’est là qu'elle se manifeste de manière décomplexée. « Une campagne va se déployer sur les réseaux sociaux de AIDES du 28 au 30 avril 2022 sous forme d’échanges de textos scénarisés qui vont mettre en lumière des situations subies au quotidien par des personnes séropositives. Un premier texto dénonce un propos sérophobe et une réponse pédagogue vient contextualiser la situation de sérophobie pour interpeller et faire réfléchir. C’est une campagne qui se veut poil à gratter : agacer pour remettre en question. Tout l’enjeu de cette campagne est qu’elle soit reprise par le plus grand nombre pour atteindre sa cible : le grand public », explique Sophie Fernandez. L’idée est bien de montrer ce que peuvent produire certains propos visant les PVVIH, d’en souligner l’aspect discriminant et souvent illégal et de montrer aussi qu’il n’est qu’une illusion de prévention : le fameux « T’es clean ? »

Les différents messages déclinés dans cette campagne 2022 mettent en avant que la sérophobie se manifesterait surtout dans le champ de la vie affective et sexuelle (messages de JeanMiDiscri69 et d’Éric) et dans le domaine du soin (le message du Dr Alaramasse). Pourquoi ce choix ? « Quand nous avons préparé cette campagne, c’est ce qui est ressorti de nos échanges avec le réseau des militants-es, la plupart des témoignages convergent vers ces champs. Il en est de même à chaques Universités des personnes séropositives (UPS), les participants-es témoignent de nombreuses situations sérophobes vécues dans le domaine affectif, sexuel et trop souvent encore dans l’accès aux soins, avec, par exemple, les rendez-vous systématiquement donnés en fin de journée, ou encore des situations d’évitement de la part de certains-es soignants-es ou encore d’énonciation du statut sérologique », souligne la coordinatrice de la JCLS 2022.

Cette édition 2022 s'inspire de l’expérience des personnes vivant avec le VIH qui, toutes, subissent à un moment ou un autre de leur vie une manifestation de sérophobie. La campagne a d’ailleurs été conçue pour permettre aux personnes concernées d’écrire les situations sérophobes dont elles ont été les victimes et de les poster en ligne. Le pari de cette campagne est que la multiplicité et la diversité des faits sérophobes rapportés montrent l’ampleur du phénomène, sa violence et l’absolue nécessité d’y mettre fin. La campagne entend faire réfléchir globalement sur un phénomène auquel il faut mettre fin pour le bien-être des PVVIH et parce que les discriminations sont intolérables. Elle ne vise pas à apporter des solutions aux situations individuelles. Alors que faire lorsqu’on est confronté-e à de la sérophobie ? « C’est difficile de donner le bon conseil », note Sophie Fernandez. « Chaque situation sérophobe est différente et surtout ça dépend du moment où elle intervient. Souvent les personnes qui vivent avec le VIH ne s’y attendent pas, elles sont donc surprises et fragilisées par l’agression qu’elles subissent. Idéalement, elles devraient faire acte de pédagogie et renvoyer à la personne qui tient un propos sérophobe son ignorance. Comme les campagnes d’État sur le VIH sont insuffisantes et n’envoient pas clairement le message qu’une personne séropositive sous traitement efficace ne transmet pas le VIH, ce sont finalement les PVVIH qui se retrouvent en première ligne pour expliquer le Tasp (traitement comme prévention) et faire évoluer les mentalités. On peut comprendre qu’être séropositif-ve ne signifie pas devenir militant-e, ni devoir faire œuvre de pédagogie aux détours d’une rencontre, d’une relation amoureuse ou pour avoir accès aux soins ». C’est d’ailleurs pour cela que cette édition 2022 de la JCLS cherche à faire comprendre au plus grand nombre qu’il faut lutter contre la sérophobie parce qu’elle est une alliée de l’épidémie.

La JCLS 2022 est à suivre sur les réseaux sociaux de AIDES : Facebook, Twitter, Instagram

 

(1) Une enquête d’opinion réalisée par l’Institut CSA pour le Crips : « Le rapport des Français(es) au VIH/sida, 40 ans après son apparition : évaluation des connaissances et des perceptions ». Échantillon représentatif de 1 004 Français-es âgés-es de 15 ans et plus constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle de la personne interrogée après stratification par la région et la catégorie d’agglomération.
(2) : Ce compte a été créé par Fred Lebreton (journaliste pour Remaides et Seronet et co-auteur de cet article) et Julien Ribeiro.

 

Commentaires

Portrait de Superpoussin

Il n'est de pire pyromane que celui dénonçant les incendies qu'il allume.

Si Aides, SIS, Act Up,... n'avaient longtemps consacré leurs forces à tenter d'étouffer I=I le niveau de serophobie serait aujourd'hui bien inférieur à ce qu'il est encore.

Au passage n'oubliez pas une fois de plus les hétéros qui subissent certainement bien plus encore que les gays cette serophobie du fait de la grande ignorance dans laquelle sont restés la quasi-totalité de leurs partenaires éventuels... à moins que vous ne nous considériez comme personnes négligeables, impression que vous donnez trop souvent.