Sérophobie : la face cachée… à découvert !

Publié par jfl-seronet le 03.12.2015
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Droit et socialdiscriminationsérophobie

Fin novembre, AIDES a publié un rapport sur les discriminations rencontrées par les personnes touchées par le VIH ou une hépatite virale. Le premier du genre. Ce rapport montre le vrai visage, jusqu’alors caché ou méconnu, des discriminations sérophobes. Quatre droits fondamentaux sont plus particulièrement attaqués. Dans chacun de ces chapitres, le rapport précise l’état du droit pour démontrer en quoi celui-ci est bafoué. Aurélien Beaucamp, président de AIDES, Jacques Toubon, Défenseur des droits, Dominique Attias, vice-présidente du Barreau de Paris et Laurent Pallot, secrétaire général de AIDES et personne vivant avec le VIH ont présenté ce rapport. Seronet y était.

Jeudi 26 novembre 2015, message de Louis, militant de AIDES à Bobigny, sur une des listes d’infos internes à l’association. Une personne rencontrée lors des permanences hospitalières que fait l’association a un souci de dents. Elle a contacté plusieurs cabinets dentaires en Ile-de-France pour une consultation. A chaque fois qu’elle mentionne sa séropositivité au médecin ou à son cabinet, le refus de rendez-vous est total. Du coup, Louis recherche un dentiste "séro-friendly".

Jeudi 26 novembre 2015, message d’Eric sur les lites internes de AIDES. Militant à La Rochelle, Eric explique qu’il a été contacté par une personne qui a découvert sa séropositivité à l’occasion d’un examen par une assurance de prêts immobiliers. Conséquence ? Refus de prêt voire proposition d’ajournement : "Revenez dans six mois…" cette personne explique avoir sollicité deux autres assurances : mêmes réponses. "Connaissez-vous des assurances qui assurent les séropositifs ? Ce refus d’assurance est-il illégal ? Que pouvons-nous faire ?", demande Eric.

Si la coïncidence de dates peut frapper, ces appels et leur nature ne surprennent pas. Chaque année, AIDES est sollicitée, à l’instar d’autres associations, sur les discriminations liées au fait de vivre avec le VIH et/ou les hépatites virales. Le phénomène prend désormais une telle ampleur que AIDES a décidé de réaliser et publier un rapport inédit : "VIH/Hépatites, la face cachée des discriminations". Ce rapport a été lancé, le 26 novembre, lors d’une conférence de presse au Barreau de Paris et en présence du Défenseur des droits, Jacques Toubon.

Sous le regard de Saint-Yves

Puissance invitante, maître Dominique Attias, vice-présidente du Barreau de Paris et secrétaire générale du fonds de dotation "Barreau de Paris Solidarité", a d’emblée rappeler la complexité du concept de différence, citant la formule de Montesquieu : "Le droit à la différence peut rapidement conduire à la différence des droits". Elle a bien entendu fait mention du préambule de la Constitution, mais elle a surtout voulu attirer l’attention sur l’aspect "inédit" du rapport de AIDES, un rapport qui montre des "discriminations tenaces et insoupçonnées". Ce qui a intéressé le fonds de dotation "Barreau de Paris Solidarité" qui a soutenu la réalisation de ce rapport, c’est que le grand public n’a pas véritablement conscience de ces problèmes et que le rapport est à même de "bousculer les idées reçues" et d’interpeller largement la société. "Nous nous battons pour l’accès effectif au droit, a-t-elle expliqué. Il était évident pour nous de soutenir cette action de défense des droits de l’homme." "C’est un travail d’extrême importance qui devrait avoir un impact considérable", a indiqué Dominique Attias. "Avec ce rapport, AIDES rend publiques des pratiques illégales et injustifiables. Nous devons lutter tous ensemble et désormais en connaissance de cause. Il nous appartient de mettre en commun nos moyens d’action pour que cela change", a  avancé l’avocate.

Changer quoi ?

Aurélien Beaucamp, président de AIDES, a bien quelques idées. "Ces combats pour les droits et contre les discriminations, AIDES les mène depuis sa création en 1984. L’épidémie a évolué, mais les inégalités d’accès aux droits restent une réalité. Elles sont la conséquence d’un sentiment de peur, car la peur du VIH devient trop souvent la peur des personnes vivant avec le VIH", explique-t-il. "Chez AIDES, nous parlons de sérophobie, la peur et le rejet en raison de sa séropositivité. Cette sérophobie correspond à des représentations, à des idées et préjugés souvent faux ou anachroniques. Les personnes vivant avec le VIH sont dans certains esprits synonymes de danger", critique-t-il. "Vivre avec le VIH aujourd’hui, c’est quoi ? Les traitements actuels permettent à la plupart des personnes séropositives de vivre en bonne santé et aussi longtemps que la population générale. Ils réduisent la charge virale dans le sang, les personnes ne risquent plus de contaminer leurs partenaires. Ils permettent, finalement, de vivre comme tout un chacun. La  science a progressé, la société et l’Etat beaucoup moins", constate-t-il. De fait, la sérophobie est une réalité qui se retrouve dans les relations individuelles et dans toutes les sphères de la vie. Difficulté supplémentaire, elle est parfois institutionnalisée par l’Etat lui-même.  Avec ce rapport, AIDES qui "milite au quotidien contre les inégalités d’accès aux droits", cherche à les "documenter" et "rendre visible".

Quatre droits fondamentaux attaqués

Ce premier rapport s’appuie sur quatre droits fondamentaux : le droit à la formation et à l’emploi, le droit à la santé, le droit de propriété et la liberté d’aller et venir. Dans chacun de ces domaines, le rapport montre que les discriminations sont une réalité. Premier domaine, celui du droit à l’instruction et au travail. "Oui, en 2015, des formations et emplois restent interdits aux personnes vivant avec le VIH, sans que cela soit justifié", dénonce Aurélien Beaucamp. "C’est le cas pour la magistrature en raison d’une ordonnance de 1958 sur le statut de magistrat, datant d’avant l’apparition même de l’épidémie. Cette ordonnance précise que les candidats à la magistrature doivent être indemnes de toute maladie donnant droit à un congé longue durée. Les personnes séropositives sont, de fait, exclues. AIDES a alerté Christiane Taubira sur cette condition discriminatoire. Elle s’est engagée à réformer cette disposition, en alignant les conditions d’aptitude physique de la magistrature sur ce qui se fait dans la fonction publique. La loi en question est actuellement discutée au Parlement", explique le président de AIDES. La garde des Sceaux a d’ailleurs fait de cette question le premier point du communiqué de presse qu’elle a publié à l’occasion du 1er décembre.

"Le droit à la formation et au travail est aussi bafoué dans l’armée, la gendarmerie, la police et chez les sapeurs-pompiers qui excluent les personnes vivant avec le VIH de nombreux postes, principalement ceux sur le terrain. Ces exclusions se basent sur un référentiel qui semble tout droit sorti des années 90, et qui réalise la prouesse d’être à l’inverse des recommandations scientifiques actuelles sur le VIH. Vous voulez entrer à Polytechnique ? C'est non. Vous voulez intégrer la Marine ou l’armée de terre ? Non plus. Vous souhaitez être choriste dans la gendarmerie ? Toujours pas. Tout ça, sans aucune justification", décline Aurélien Beaucamp. Qui connait ces discriminations institutionnalisées, fruits de la combinaison de textes réglementaires ou législatifs qui créent et entérinent ces exclusions ? Pas grand monde, manifestement. Au final, ce sont des corps administratifs entiers qui excluent les séropositifs.

Le droit à la santé malmené

"Ces discriminations se retrouvent aussi dans ce qui est fondamental, en particulier pour des personnes vivant avec le VIH ou une hépatite : le droit à la santé", rappelle le président de AIDES. "L'opération de testing sur les refus de soins menée par nos militants en 2015 est un exemple effrayant. Quand un cabinet dentaire sur trois vous dit : "Allez plutôt à l'hôpital", ou "Bon venez, je mettrai deux paires de gants", c'est à la fois violent, humiliant et totalement infondé". Reste que le droit à la santé, c’est "aussi le droit à l'innovation thérapeutique. En France, des milliers de personnes vivant avec l’hépatite C n'ont pas droit à la guérison en raison du coût exorbitant des nouveaux traitements. Ces traitements, dont la fabrication revient à quelques centaines d'euros, sont vendus 40 000 euros pour une cure de trois mois. Il faut une politique raisonnée des tarifs : les intérêts économiques ne peuvent prendre l'ascendant sur ceux des malades", avance Aurélien Beaucamp.

Quand l’emprunt manque d’assurances

AIDES a fait de nombreuses propositions d’amélioration du projet de loi Santé sur les refus de soins. Des amendements ont aussi été proposés dans le cadre du même texte sur un autre droit : le droit de propriété et d’emprunt. "Vivre avec le VIH n’est plus synonyme de condamnation à mort. Les personnes peuvent aujourd’hui se projeter dans l’avenir au même titre qu'une personne séronégative. Investir dans un appartement par exemple… Mais en raison de leur statut sérologique, elles sont confrontées à des dispositifs d'emprunt complexes, à des surprimes exorbitantes, voire à des refus purs et simples des banques et des assurances. La convention Aeras (pour assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) a été créée au début des années 2000 pour remédier à ces inégalités. C'est une réelle avancée, mais de nombreux dysfonctionnements persistent : plafonnements, usagers non-informés et réticences des banques", constate le président de AIDES. "Quand le risque aggravé de santé n’est pas une réalité, c’est le droit commun qui doit primer", explique-t-il, approuvé par maître Dominique Attias.

Aller, venir… ou pas !

Le dernier droit abordé dans le rapport de AIDES, c’est plutôt une liberté : celle d’aller et venir."En Guyane loin des yeux de la métropole et de l’état de droit qui nous est cher,  des barrages routiers permanents sont installés par la police et la douane entre différentes villes, mais aussi et surtout entre les principaux lieux de soins. Certaines personnes vivant avec le VIH, une hépatite, ou des maladies chroniques ne peuvent accéder à une offre de soins indispensable à leur santé, puisque dans l’incapacité de passer ces barrages. Cette situation ne serait pas concevable en métropole", explique le président de AIDES. "Je le dis un peu par provocation, mais nous n’imaginons pas un tel barrage entre Bordeaux et Nantes, et pourtant, c’est exactement ce qui se passe là-bas".

Pour chacun de ces quatre points, le rapport détaille l’état du droit pour démontrer en quoi celui-ci était atteint. Ce travail a bénéficié de l’expertise du Défenseur des Droits et de ses services. "L’expertise de cette autorité a enrichi nos réflexions, favorisé nos partages d’expérience et de savoir, au-delà du seul champ du VIH et des hépatites. Elle nous a aidés faire en sorte que ce rapport puisse bénéficier aux personnes que nous rencontrons, mais aussi à l’ensemble des personnes vivant avec une maladie chronique", explique le président de AIDES. Et Aurélien Beaucamp de conclure : "Ce rapport n’est que le premier. AIDES en écrira un par an, jusqu’à ce que nous n’ayons plus de raison d’en écrire, nous ferons en sorte que ce soit le plus tôt possible !"

"Ce rapport est un véritable événement"

Pour Jacques Toubon, Défenseur des Droits, le rapport de AIDES est un "véritable événement". Ce qui lui plait, c’est que ce rapport fait état des discriminations "dont peuvent pâtir les personnes vivant avec le VIH et les hépatites virales", mais que les considérations qu’il comporte (état du droit versus réalité) sont transposables à l’ensemble des états de santé. "Ce rapport est extrêmement utile", explique Jacques Toubon. "Dans les temps que nous vivons, il est particulièrement important que tout ce qui peut faire communauté, tout ce qui renforce le sentiment d’appartenance, tout ce qui permet à l’égalité d’avancer, aux injustices de reculer puisse être défendu". Les services du Défenseur des Droits ont un travail double. D’une part, ils ont pour mission, notamment dans le domaine de la santé, de régler les situations individuelles dont ils sont saisis. "Nous avons un taux de réussite de 70 %. A partir de cette demande sociale, nous créons des partenariats avec des associations, conduisons réflexions et études sur des situations globales. Nous voulons amener, comme le font certaines associations, à la modification de règles lorsqu’elles comportent ou créent des discriminations". Pour Jacques Toubon, la publication de ce rapport "incitera beaucoup de personnes exposées à ce type de discriminations qui ne réclament pas, ne forment pas de recours à le faire." Ce rapport est un "excellent travail" et un "travail très utile pour la société toute entière".

Législation : toilettage ou pas ?

Le rapport de AIDES le démontre : nombre de lois, textes réglementaires, etc. comportent des discriminations à l’encontre des personnes vivant avec le VIH et les hépatites et plus largement des personnes malades chroniques. La plupart des problèmes qui sont portés à la connaissance des associations, du Défenseur des droits puis des pouvoirs publics sont le fait de difficultés individuelles. C’est une personne vivant avec le VIH qui découvre qu’elle ne peut pas, sur ce seul motif, intégrer l’école nationale de la magistrature et qui interpelle AIDES… On peut donc imaginer qu’il reste dans la loi française bien des discriminations qui sont jusqu’à présent ignorées… Ne faudrait-il pas alors procéder un toilettage législatif complet ? Interrogé sur ce point par Seronet, Jacques Toubon, le Défenseur des droits estime qu’un toilettage aurait plus d’inconvénients que d’intérêt. "C’est un travail très complexe et l’on risque de rater des choses. Pour moi, il y a trois voies à suivre. D’une part, on remet au carré la loi de 2008 sur la lutte contre les discriminations avec une remise d’aplomb de tous les critères de discriminations. La situation actuelle est bancale puisque les droits sont valables en fonction des critères de discriminations dans un domaine, mais pas dans un autre, parfois au civil, mais pas au pénal. C’est un travail que nous entendons mener avec la chancellerie. Autre voie, celle du recours collectif comme ce sera permis avec la future loi Santé. La loi permettra de regrouper dans une seule procédure les demandes de réparations concernant un grand nombre de patients victimes de dommages dus à leurs traitements ou en cas de problèmes d’accès aux soins… La troisième voie, c’est celle du rapport comme celui que propose aujourd’hui AIDES".

Discriminations et VIH : Laurent dans la vraie vie

Séropositif depuis 1998, militant de la lutte contre le sida, Laurent Pallot est secrétaire général de AIDES. C’est lui qui fait office de grand témoin. "Tout a été dit ou presque sur le contenu du rapport et sur les manquements à la déontologie et au droit. J'aimerais maintenant vous parler de ma propre expérience, et porter ainsi la voix des personnes concernées, qui, pour beaucoup, vivent ce que j'ai vécu au quotidien. Je m'appelle Laurent Pallot, je suis secrétaire général de AIDES et séropositif depuis 1998. Autant vous dire qu'en 17 ans de VIH, j'ai eu le temps d'expérimenter un éventail assez large de discriminations. De la petite humiliation, au refus de soin caractérisé, j'ai eu droit à un peu tout." En quelques minutes, il retrace, à grands traits son parcours, des expériences subies par lui-même ou un ami. Il évoque ces discriminations, petites ou grandes, qui ont pour résultat : "Un repli sur soi, une vie contrainte au secret et un renoncement aux soins pour beaucoup d'entre nous. Moi, maintenant, grâce à mon vécu et à mon engagement dans AIDES, j'ai appris à me blinder, Mais imaginez quelqu'un d'un peu fragile ou qui vient de découvrir sa séropositivité. Il est temps que tout ça change, que la société évolue, et j'espère que ce rapport y contribuera".

Maître Attias avait ouvert son intervention par une citation de Montesquieu. Celle-ci aussi pourrait être utile au débat : "Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste !"

Il est possible de télécharger une version courte du Rapport.

Commentaires

Portrait de scorpion_35

Je viens de lire tout ce texte et ça me fait réfléchir un peu, et je me pose une question, est-ce pour cela que depuis deux ans je ne retrouve pas de travail ? ça fait trente trois ans que je bosses dans la même ville et tout le monde ce connait. Certains on bien vu que j'avais maigri. On me dit toujours "-Mais faut manger Lolo !" Et bien sûr trois mois en arrêt maladie on se demande pourquoi.

Alors je ne dis rien ou une maladie pulmonaire mais la rumeur à due faire le tour de la ville.

                                                                                                                                                            LOÏC