Sexologie sans frontières : un projet, une vision

Publié par Rédacteur-seronet le 12.08.2022
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Initiativesexologie

Sexologie sans frontières est une nouvelle association destinée à l'organisation de formations en santé sexuelle et sexologie, dans le cadre de collaborations internationales. Seronet a rencontré ses deux co-fondateurs-rices : Delphine Leclerc, infirmière sexologue au service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT) de l’hôpital Avicenne (APHP Bobigny) et responsable d’un centre de vaccination internationale et le Dr Patrick Papazian, médecin sexologue qui exerce aux SMIT des hôpitaux Bichat et Pitié Salpêtrière (Paris).

Comment est née l’association Sexologie sans frontières et quelles sont ses missions ?

Patrick Papazian : la connaissance permet aux sociétés d’avancer et plus concrètement dans la lutte contre le VIH et les violences fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle. La médecine sexuelle et la sexologie peuvent permettre aux soignants et à la société de progresser, d’être plus ouverts et plus tolérants et de mieux prendre en charge ces sujets. L’association a germé, fin 2019, lors d’un voyage exploratoire au Burundi que nous avons fait avec Delphine en accompagnant le Professeur Olivier Bouchaud [hôpital Avicenne, AP-HP, Bobigny, ndlr] qui connait bien ce pays. Dès ce premier contact, nous nous sommes rendu compte que la formation en sexologie répondait à un énorme besoin. Nous avons donc décidé d’amplifier ce travail en mettant en place un enseignement validant d’une semaine qui donne droit à une certification. Il s’agit d’une collaboration avec l’université de Bujumbura [capitale économique du Burundi, ndlr]. La crise sanitaire a ralenti le déploiement de ce projet, mais ce temps nous a aussi permis de mieux préparer la formation en collaboration avec nos homologues burundais.
Delphine Leclerc : La naissance de Sexologie sans frontières est aussi une histoire de rencontres. D’abord, la rencontre entre Patrick et moi, puis notre alliance avec le Professeur Bouchaud. Nous travaillons en compagnonnage et en totale entente et confiance.
Patrick Papazian : Delphine et moi, sommes à la fois très différents et très complémentaires, un vrai couple professionnel ! Il faut citer aussi d’autres personnes formidables qui ont beaucoup apporté à ce projet comme le Dr Nicolas Morel-Journel, chirurgien urologue à Lyon, spécialisé dans les parcours de transition des personnes trans et qui a fermé son bloc pendant une semaine pour venir avec nous au Burundi et partager son expertise avec les Burundais. Ou encore Sharone Omankoy qui est conseillère conjugale et familiale et très engagée dans la lutte contre le VIH. Sexologie sans frontières, c’est une aventure humaine.

Pourquoi avoir choisi le Burundi pour la première mission de Sexologie sans frontières ?

Delphine Leclerc : j’ai découvert le Burundi en 2008 dans le cadre d’une mission sur l’éducation thérapeutique pour le VIH. Le Burundi avait une longueur d’avance sur la France à ce sujet et un tissu associatif extraordinaire. On a beaucoup de choses à apprendre des Burundais. Et puis le Professeur Olivier Bouchaud se rend depuis 20 ans dans ce pays pour enseigner la prise en charge du VIH dans le cadre d’un DU [diplôme universitaire, ndlr]. Le fait que ce DU soit déjà mis en place nous a facilité les choses d’un point de vue administratif, juridique et logistique.
Patrick Papazian : j’ajouterai que le Burundi a une longueur d’avance en matière de coopération avec le milieu associatif et les soignants. C’est une pratique qu’ils ont dans leur ADN depuis le début de la lutte contre le sida avec des associations nombreuses et puissantes.

Comment s'est passée la mission ? Quelles étaient les attentes des acteurs-rices locaux-les ?

Patrick Papazian : la mission s’est extrêmement bien passée, au-delà de nos attentes. C’était la première formation validante en santé sexuelle avec une certification remise par l’université de Bujumbura en collaboration avec l’Université de Paris 13 et l’Université de Rennes. L’attente du côté burundais était importante. La formation était très dense et beaucoup de sujets ont été abordés comme l’anatomie, la physiologie, l’orientation sexuelle, les violences fondées sur le genre, les dysfonctions sexuelles, etc. Il y avait aussi une volonté que cet enseignement s’inscrive dans un continuum et que des liens soient conservés. Très vite, nous avons dû nous adapter aux réalités locales. Nous avions prévu des cours classiques avec des présentations PowerPoint, mais il y avait des coupures d’électricité la moitié de la journée et puis surtout le groupe était tellement dynamique et interactif que les cours se construisaient en direct dans nos échanges avec les étudiants-es. À titre d’exemple, lors d’un atelier il nous a été demandé d’expliquer la différence entre une personne queer et une personne non binaire. Il y avait un réel intérêt et une réelle soif d’apprendre.
Delphine Leclerc : effectivement, nous avons privilégié les mises en situation, mais ils ont reçu une clé USB avec l’intégralité des supports de cours. Il y avait 40 étudiants dans ce groupe avec des profils très différents et pluridisciplinaires. Il y avait des médecins, des infirmiers, des psychologues, des associatifs, etc. J’ai l’impression d’avoir plus appris d’eux que l’inverse. Je suis revenue en France boostée et nourrie intellectuellement avec beaucoup de remises en questions sur mes croyances, mes représentations et nos cultures qui sont différentes.

Quelles seront les prochaines actions de l’association ?

Delphine Leclerc : à la fin de la formation, nous avons senti un réel engouement ; la session prévue en 2023 est déjà complète ! Nous sommes confrontés à une demande que nous n’avions pas vraiment anticipée. L’envie est présente et nous avons des demandes au Bénin, au Mali et au Congo, mais il y a des freins structurels auxquels nous devons faire face. D’abord, nous avons besoin de fonds pour financer plus de sessions de formation. Ensuite, il y a la question de la disponibilité. Patrick et moi avons tous les deux des emplois à temps plein. Il faut du temps et un savoir-faire associatif que nous n’avons pas encore forcément acquis.
Patrick Papazian : c’est une crise de croissance car les demandes se bousculent, mais il faut avoir les capacités financières et humaines d’y répondre. Nous avons besoin de nous structurer et pour cela nous sommes accompagnés par l’Atelier des luttes qui est animé Alexandra Phaeton. Le but est de professionnaliser l’association, structurer notre plaidoyer et trouver des fonds. Je voudrais juste saluer l’implication de Delphine, soignante engagée dans la lutte contre le VIH depuis 1992, qui connait intimement les pays d’Afrique loin des représentations habituelles sur ce continent et qui, en plus, a une réelle expertise des médecines tropicales. De ce fait, elle est le pilier de Sexologie sans frontières.

Vous pouvez contacter Sexologie sans frontières en joingnant Patrick ou Delphine.

Propos recueillis par Fred Lebreton