SFLS 2022 : science et activisme

Publié par Rédacteur-seronet le 18.11.2022
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ConférencesSFLS 2022

La première journée du 23e congrès annuel de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) a largement exploré le thème retenu : « VIH et santé sexuelle au-delà des frontières ». Cette journée a surtout été marquée, au fil des plénières, des ateliers thématiques, des symposiums, par la nécessité de lutter contre les inégalités de santé et contre toutes les mesures qui les renforcent. AIDES avait ainsi choisi de mobiliser les participants-es au congrès sur ce thème : « Soins des étrangers-ères menacés-es = Santé en danger ».

Difficile lecture de l’épidémie VIH

En plénière d’ouverture de cette 23e édition du congrès annuel de la SFLS, ont eu lieu les traditionnels discours de bienvenue, avec notamment la présence d’Eve Plenel. La directrice de la Santé publique de Paris a rendu hommage aux acteurs-rices de la lutte contre le sida. « La lutte contre le VIH a été un creuset d’innovations depuis 40 ans, un creuset de combats de luttes et d’avancées magistrales pour la société. En matière de droits des minorités, des personnes LGBT, des personnes trans, des personnes migrantes, droits encore insuffisants pour les personnes qui exercent le travail du sexe (…). La lutte contre le VIH a un temps d’avance sur les besoins du système de santé publique », a souligné Eve Plenel. Celle qui fut la directrice de Vers Paris Sans Sida (VPSS) de 2016 à 2020, est revenue sur le rôle crucial des collectivités territoriales et des élus-es locaux-les dans la lutte contre les épidémies et pour la santé publique en général. Un rôle qui ne fait plus débat en 2022, selon elle : « Aujourd’hui, on le voit, de nombreuses villes, de nombreux territoires, se dotent, comme Paris, d’une direction de la santé publique (..) Ça aussi, c’est un héritage de la lutte contre le VIH ». Pour finir, Eve Plenel pointe du doigt le problème récurrent de la surveillance épidémiologique du VIH en France : « Mon seul regret étant peut être qu’on est encore un peu aveugle sur la dynamique de l’épidémie en France sur ces trois dernières années (…). On manque d’une vision fine de ce qui s’est réellement passé depuis trois ans. On est dans un moment où la lecture de l’épidémie est difficile » affirme la directrice de la Santé publique de Paris. Un message pour Santé publique France qui doit annoncer dans quelques jours (22 novembre) les chiffres du VIH en France pour l’année 2021.

Dans les faits, il n’a pas fallu attendre cette date pour connaître les dernières grandes tendances car une session sur l’épidémiologie a été présentée (jeudi 17 novembre). Dans son intervention, Florence Lot (Santé publique France) a indiqué que le nombre de sérologies s’établissait au total à 5,7 millions pour 2021 ; c’est en hausse par rapport à 2020, mais le chiffre n’atteint pas le niveau de 2019. Les nouveaux diagnostics du VIH s’établissent à 5 013 pour 2021, un chiffre stable. Cette stabilité se retrouve globalement dans l’ensemble des groupes, hormis dans le groupe des HSH nés à l’étranger. Stabilité qui est corroborée par les nouvelles initiations de traitements VIH qui sont stables également. Un point inquiète les experts-es ; c’est qu’il ne semble pas y avoir (quel que soit le groupe concerné) d’amélioration de la précocité du diagnostic. Autrement dit, les découvertes de séropositivité ne sont pas forcément tardives, mais à un stade intermédiaire, en tout cas pas aussi précocement qu’il le faudrait dans l’intérêt des personnes.

Seine-Saint-Denis : un département délaissé

Les deux co-présidents-es de ce congrès, Bernadette Rwegera (fondatrice et directrice d’Ikambere) et le Pr Olivier Bouchaud (infectiologue à l’hôpital Avicenne à Bobigny, Seine-Saint-Denis) sont revenus sur le choix d’organiser cette édition du congrès SFLS en Seine-Saint-Denis (93) : « Département le plus pauvre de l’hexagone, il est également le département le plus touché par l’épidémie de VIH après Paris, mais la Seine-Saint-Denis se caractérise également par la richesse de ses diversités et de ses identités multiples. C’est à la fois un territoire prioritaire et délaissé, mais qui, grâce à son multi culturalisme, sa jeunesse, son dynamisme, constitue un formidable incubateur de politiques de santé innovantes. En tant que femme immigrée, j’en suis moi-même l’exemple car c’est dans ce département que j’ai pu entreprendre et démarrer la magnifique aventure qu’est Ikambere », a expliqué Bernadette Rwegera.

Concrètement, dans le 93 ou 9-3, 9 000 personnes vivant avec le VIH sont suivies et 400 découvertes ont lieu chaque année dont 30 % de diagnostics tardifs. Dans ce département, 71 % des nouveaux diagnostics de VIH ont lieu chez des personnes nées à l’étranger, en majorité des personnes hétérosexuelles. Enfin l’épidémie non diagnostiquée de VIH Seine-Saint-Denis est estimée à 10 300 personnes, soit 42 % des personnes qui ignorent leur séropositivité sur toute la région Île-de-France. C’est beaucoup. Beaucoup trop !

Inégalités de genre : les femmes pénalisées

« À un moment aussi grave que celui que nous traversons, je voudrais parler des frontières qui se dressent devant les migrants et les exilés toujours plus hautes. Des portes qui se ferment aux personnes en danger mais aussi au sein même des départements de Paris et de la Seine-Saint-Denis, des habitants qui s’opposent à l’installation des usagers et usagères de crack pour finir par les installer sur un terrain nu où ils n’avaient rien. C’est ici à quelques dizaines de mètres, porte de la Villette, que deux jeunes femmes sont mortes écrasées par un camion. Ces frontières, elles nous engagent aussi et elles doivent être au cœur de notre travail parce que les migrants et les exilés font partie des populations clefs du VIH. Il est absolument important de se battre contre ce déni et ce recul des droits ».  Ce sont par ces mots puissants et engagés que France Lert (présidente de Vers Paris sans sida / VPSS) a ouvert une table ronde sur le thème « Inégalités de genre : recherche, dépistage, prévention, accès aux soins ».

Dans sa présentation, elle a expliqué le concept de l’intersectionalité, c’est-à-dire,  en quoi les rapports de genre se conjuguaient aux formes de dominations sociales, de classe, d’origine et de couleur de peau pour détériorer les conditions d’existence et les droits dans les populations dominées économiquement ou dans les diasporas issues des pays anciennement colonisés. Pour appuyer ses arguments, l’épidémiologiste a cité plusieurs études notamment l’enquête Vespa 2011, qu’elle a coordonné, qui montre que les femmes séropositives nées en Afrique subsaharienne sont les plus touchées par les actes discriminatoires dans divers espaces sociaux (14 % vs 4 % pour les hommes séropositifs hétérosexuels nés en France). Il en va de même concernant la détresse psychologique des personnes LGBT+ plus exacerbée que chez les personnes hétérosexuelles (Baromètre santé 2017) ou encore les violences transphobes (enquête Virage 2015).

Dans ce contexte de cumul de vulnérabilités chez les femmes nées à l’étranger, la Prep devrait être un outil crucial pour donner une autonomie aux femmes, mais il n’est toujours pas bien déployé dans cette communauté. Les femmes représentent 32 % des nouveaux diagnostics de VIH en 2021 et seulement 2,5 % des initiations de Prep depuis 2016 (source Health Europe, 2022). « Sans la Prep, la protection des femmes contre le VIH est sous le contrôle des hommes », explique France Lert qui regrette que le préservatif demeure en 2022 le socle de la prévention. Par ailleurs, l’étude Parcours a montré que l’acquisition du VIH en France  chez les personnes nées en Afrique subsaharienne était genrée, avec une femme sur trois qui contracte le VIH après l’arrivée en France versus un homme sur deux. En conclusion, France Lert a souligné de grands changements, ces dernières années, dans la construction des identités sexuées et des recherches en cours sur cette thématique (étude Ganymede, Trans et VIH, Vespa 3, etc.). Avec l’intégration (dilution ?) attendue du VIH à la santé sexuelle, la présidente de VPSS met en garde : « Il est essentiel de ne pas perdre l’alliance dans la santé publique entre les professionnels de santé et les associations communautaires ». Pourvu qu’elle soit entendue.

Monkeypox : regarder au-delà des frontières

Alors que l’épidémie de Monkeypox semble en fin de course en France, le professeur Gilles Pialoux (Hôpital Tenon, AP-HP) est revenu sur ce virus qui a mobilisé la communauté scientifique, associative et médicale de lutte contre le VIH ces six derniers mois. Le rédacteur en chef du site vih.org est revenu sur l’origine du virus et son épidémiologie depuis le premier cas identifié en RDC (République démocratique du Congo) en 1970 à nos jours. Au 17 octobre 2022, 73 604 cas de Monkeypox étaient comptabilisés dans le monde, dont 29 décès. Quid des HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) vivant avec le VIH et sous Prep surreprésentés parmi les personnes infectées ? Le Pr Pialoux a une explication simple, ce sont des groupes qui ont tendance à avoir plus de partenaires et qui se font plus dépister pour les IST. Le VIH en lui-même, quand il est dépisté et traité, n’est pas un facteur de sur risque de contracter le Monkeypox. Comment expliquer le déclin de cette épidémie observé depuis septembre en zone non endémique ? Pas de réponse ferme et définitive, mais une série d’hypothèses :

  • le succès de la vaccination malgré un déploiement compliqué les premières semaines ;
  • la modification des comportements sexuels des HSH ;
  • la fin de la saison des marches des fiertés LGBT+ ;
  • la perte de pathogénicité du virus (capacité d'un agent infectieux à causer une maladie) ;
  • une prise en charge médicale rapide…

La recherche en cours répondra à certaines de ces questions. Concernant la vaccination en France, en date du 25 octobre 2022, 171 792 doses de vaccin de troisième génération ont été livrées aux territoires et un nombre total de 120 009 doses ont été administrées (source : ministère de la Santé et la Prévention). On est encore loin de la cible estimée à 250 000 personnes et pour Gilles Pialoux, il est important de continuer à vacciner même si l’épidémie n’est plus active en France. Et pour cause, les frontières sont poreuses et l’épidémie continue ailleurs. Au 22 septembre 2022, le CDC Afrique rapportait 568 cas confirmés de Monkeypox, 4 659 suspectés et 137 décès depuis le début de l’année. Les virus ne s’arrêtent pas aux frontières.

Prep dans les Cegidd : des disparités territoriales

David Michels, responsable de la recherche communautaire chez AIDES, a présenté les données d’une enquête sur la disponibilité de la Prep en primo-prescription dans les Cegidd (centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles) en partant d’un constat observé sur le terrain par les usagers-ères qui avaient parfois du mal à obtenir des rendez-vous. Au total, 25 militants-es de AIDES ont effectués 1 210 appels en septembre 2021 dans 352 Cegidd ouverts. Les militants-es avaient un script d’appel suivant lequel ils-elles adaptaient leurs discours. Le but de leur appel mystère était d’obtenir un rendez-vous d’initiation à la Prep. Les résultats de cette enquête montrent que la Prep était non-disponible dans un Cegidd sur quatre soit 84 (24 %) des 352 Cegidd contactés. Parmi ces 84 Cegidd, 50 ne proposait pas du tout la Prep ; 20 étaient injoignables malgré plusieurs appels et messages sur le répondeur ; 5 n’avaient pas de médecin prescripteur de disponible ; 4 proposaient le suivi Prep, mais pas la primo-prescription, 4 étaient fermés et un Cegidd a répondu qu’il ne comprenait pas le mot Prep ! En conclusion, cette enquête permet de donner pour la première fois une photographie nationale de la disponibilité et des délais d’attente pour la Prep en Cegidd. Au niveau national, la situation est plutôt bonne avec une primo consultation possible dans la très grande majorité des Cegidd, dans des délais courts, mais il existe de très fortes disparités territoriales et des marges de progrès importantes. David Michels a pointé du doigt des problèmes de moyens, mais également des questions d’organisation et d’accès à l’information. Vous pouvez télécharger gratuitement le rapport de l'étude, Disponibilité de la Prep en Cegidd : une évaluation téléphonique.

La santé LGBT, tout en approches

On a refusé du monde à la session LGBT (proposée jeudi 17 novembre), comme à celle sur les conduites addictives proposée au même moment ; problème de salles sous-dimensionnées au regard de l’intérêt des participants-es. La session LGBT ou plutôt sur la « santé LGBT », comme Stéphane Morel (AIDES), qui en assurait la modération avec le docteur Marc Shelly (AREMEDIA), a proposé de la rebaptiser. Il n’a pas été seulement question des gays ou HSH, comme c’est souvent le cas.

Léonie Leyssieux (médecin infectiologue) et Louve Zimmermann (accompagnatrice au Check Point Paris) ont présenté les résultats de l’accompagnement qu’elles proposent sur la question de la santé sexuelle des personnes trans. « Pourquoi et pour qui une consultation gynéco dans un centre de santé sexuelle à approche communautaire ? », s’est interrogée Louve Zimmermann. Rapidement, la réponse s’est imposée comme une évidence : parce que cela marche et que cette approche permet indéniablement de faire face au cumul de vulnérabilités qui peut être un obstacle infranchissable dans l’accès aux soins comme au dépistage. Lancées en 2017, les consultations gynécologiques assurent le suivi de 95 personnes, majoritairement des femmes cisgenres, mais également des femmes transgenres. Le travail dans les consultations a permis d’identifier précisément le cumul des vulnérabilités qui est préjudiciable aux femmes concernées. On y retrouve, le genre, les orientations sexuelles, la couverture sociale (son absence) l’activité économique, la situation économique, le logement, etc. L’étude met aussi en avant une forte prévalence des violences, d’autant plus renforcée lorsqu’il s’agit des femmes trans, de femmes ayant des relations sexuelles avec d’autres femmes (FSF)… Les deux expertes ont conclu leur présentation par des recommandations. Pour elles, il est important de recueillir les critères de vulnérabilités et d’adapter sa pratique en fonction de l’identité de genre de la personne. Il faut également mettre en place des formations et travailler en réseau (médecins généralistes et spécialistes) pour assurer un meilleur suivi. Il faut développer la recherche sur les spécificités en santé des publics FSF, trans et TDS. Il faut enfin que les recommandations de suivi gynécologique prennent en compte les inégalités sociales de santé des groupes concernés.

Directeur de l’association Espoir (créée en 2004) en Essonne, Papy Katumbai Tshiala est revenu sur son expérience d’accompagnement communautaire auprès des HSH. Tout a démarré avec la rencontre avec Ariel en 2005, puis la création du Collectif 91 avec d’autres associations communautaires africaines de santé ; collectif qui, compte tenu des enjeux de dynamique de l’épidémie, décide de s’intéresser à l’accompagnement des personnes HSH afro-caribéennes via des actions proposées dans le département (Trod dans les soirées festives, stands d’information, etc.). L’enjeu est de proposer un accompagnement en santé, notamment en lien avec le risque d’exposition aux IST dont le VIH, auprès de personnes qui se définissent comme hétéros et qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes ou des hommes dont l’identité afro-caribéenne se télescope au fait d’être gay. « Le public que nous rencontrons est parfois éloigné du soin, peu voire pas informé sur la prévention et parfois vivant dans le déni », souligne Papy Katumbai Tshiala. Pour difficile que soit l’approche, elle fonctionne et obtient des réusltats. « 80 % des découvertes de séropositivité réalisées lors de nos actions concernent le public HSH afro-caribéen », note-t-il.

Comprendre les modes d’entrée dans la sexualité et les vulnérabilités différenciées des HSH d’origine sub-saharienne, tel est l’objectif des travaux de recherche de Damien Trawale (Ined). Des travaux complexes qui (expliqués schématiquement) visent à questionner la catégorie HSH à partir des modes d’entrée dans la sexualité. Il s’agit aussi de montrer la diversité des trajectoires socio-sexuelles et de montrer comment elles participent à construire un rapport à la santé et au risque. Différents modes d’entrée à la sexualité existent : le mode initiatique avec l’apprentissage sexuel avec un homme plus âgé, mais qui n’est pas décrit comme une violence sexuelle ou un viol ; l’entrée « homosociale » lorsqu’on est adolescent avec un contexte de jeu et de grande affinité qui devient contexte sexuel. Dans cette situation, on dispose déjà de la catégorie « homosexuel », c’est-à-dire qu’on sait ce qu’est l’homosexualité et qu’on l’accepte pour soi-même, etc. Il est intéressant de répertorier ses modes d’entrée dans la sexualité et de les analyser parce qu’ils ne sont pas neutres sur les trajectoires sexuelles (comment on va vivre sa sexualité ensuite) et les conduites préventives ultérieures (perception du risque, stratégies de prévention…). Certaines modalités d’entrée dans la sexualité engendrent souvent des réticences à s’identifier comme « homosexuel » et à se lier à des espaces ou personnes identifiées comme tels… ce qui a un impact sur sa vie, son rapport au risque, etc. Évidemment, cela dépend aussi des pays d’origine des personnes concernées. C’est d’ailleurs cela qui est au cœur des travaux en cours de Damien Trawale.

Femmes et ARV

Les traitements antirétroviraux ont permis la possibilité de projets de grossesse. Comme pour toute instauration de traitement ARV, l’objectif premier est d’atteindre une charge virale indétectable, de limiter l’évolution vers le stade sida et d'atteindre une espérance de vie similaire aux personnes séronégatives, a rappelé le professeur Laurent Mandelbrot (Hôpital Louis Mourir, AP-HP) dans son intervention lors de la plénière au-delà des frontières du genre. Une présentation qui a aussi abordé la grossesse, l’allaitement et la Prep chez les femmes. Chez les femmes enceintes ou le désirant, le traitement permet aussi de ne pas transmettre le VIH au nouveau-né. Selon la cohorte de l’ANRS|MIE Co1EPF, sur près de 5 500 grossesses, aucune transmission n’a eu lieu avec un traitement avant la conception et une charge virale indétectable à l’accouchement.

Pour maintenir cette possibilité, il est important pour les mères d’avoir un suivi avec un gynécologue et un infectiologue. L’essentiel est d’avoir une bonne coordination afin que l’infectiologue puisse suivre la situation VIH pour adapter le traitement antirétroviral. Ce dernier est défini en fonction de critères de puissance, de résistance, de commodités de prise pour la personne et de l’impact possible sur la grossesse. Il faut, en accord avec la personne, trouver le traitement le plus adapté pour maintenir une bonne observance. Les mères séronégatives sont aussi éligibles à la Prep. Elle n’interfère en aucun cas avec un projet de grossesse et se doit d’être proposée si besoin. De nouveaux traitements efficaces et bien tolérés sont possibles, comme le darunavir, et le raltégravir pour les femmes séropositives. Concernant le dolutégravir, il y avait eu des alertes sur la survenue de problèmes de défaut de fermeture du tube neuronal chez l’enfant, démontrés dans une étude africaine, mais depuis, plusieurs études écartent cette hypothèse. Par ailleurs, dans une situation de grossesse, l’allègement thérapeutique n’est cependant pas conseillé. Il est aussi important de retenir que le traitement du VIH doit être personnalisé et décidé avec la personne. La grossesse chez les femmes séropositives est possible mais nécessite un suivi spécifique. Il est donc particulièrement important d’avoir des liens entre gynécologues et infectiologues afin d’avoir un suivi optimum.

Le sujet « grossesse et VIH » est encore un sujet nécessitant une mobilisation associative et de plaidoyer actif. C’est dans ce sens que les associations communautaires et les experts-es poussent à ce que la recherche soit plus importante et arrête d’exclure ces femmes des essais cliniques. Cette recherche permettrait surtout aussi de pousser la question de l’allaitement chez les femmes enceintes au centre des débats. Nos voisins suisses ayant reconnu que la charge virale indétectable permettait un allaitement possible sans risque de contamination pour le nouveau-né. La France doit se positionner, et nous verrons lors de la sortie du prochain rapport d’experts sur la prise en charge du VIH, ce qui sera consacré à cette thématique et les recommandations qui seront faites. D’ores et déjà, le TRT-5 CHV mène un plaidoyer en faveur d’une meilleure prise en compte des revendications des femmes sur cette question.

Soins des étrangers–ères menacés-es = Santé en danger

Événement policé, peu porté sur les interpellations percutantes, le congrès de la SFLS est rarement le lieu d’une manifestation. L’édition 2022 a dérogé à la règle, puisque AIDES a organisé une manifestation à l’extérieur du centre des congrès de la Villette (Paris). Cette 23e édition mettant en avant les enjeux de santé dans les banlieues, tout spécialement dans le 93, il était logique que les militants-es de AIDES se mobilisent sur la question des soins des personnes étrangères menacées et des dangers qui en découlent. Les manifestants-es se sont regroupés-es à l’ombre de la Géode, derrière le slogan : « Soins des étrangers-ères menacés-es = Santé en danger ».

Quelles menaces ?

Dans son intervention, Camille Spire, la présidente de AIDES, a pointé les « conditions d’accueil de plus en plus dégradées ». Elle a souligné que « la situation des populations immigrantes/étrangères, cibles prioritaires des programmes de lutte contre le VIH/sida, est extrêmement préoccupante ». « Dématérialisation des procédures, exigence abusive de pièces administratives, difficulté de fournir un justificatif d’adresse où recevoir son courrier, délais d’instruction anormalement longs, retards ou absences de délivrance de récépissés et refus de titres de séjour pour soins ne sont que quelques unes des difficultés rencontrées dans leur parcours administratif et d’accès aux droits et aux soins », a-t-elle développé. Le déploiement extérieur de la banderole a été refait dans le centre des congrès lui-même et des slogans (« Le VIH/sida ne se guérit pas. Garantissez des titres pluriannuels et le droit au travail ! ») ont été scandés. On les a entendus jusque dans la grande salle de plénière ; façon de rappeler que la lutte contre le sida, c’est certes de la recherche, de la clinique… mais aussi de l’activisme.

Caumes au coin !

Il est assez rare qu’une personnalité médicale de la sphère de la santé sexuelle soit prise à partie publiquement a fortiori dans un événement tel que le congrès annuel de la SFLS. Cette année, c’est le professeur Éric Caumes (infeciologue) qui a, très logiquement décroché la timbale. Son dernier fait d’armes, la sortie récente d’un livre controversé accompagné d’une interview à L’Express (23 octobre 2022) où le médecin laisse, une fois encore, libre cours à sa détestation de la Prep avec des arguments qui laissent pantois, mettent en colère, voire qui virent au complotisme. Du coup, dans la section des posters (la présentation écrite de résultats d’études sous la forme de grandes affiches) et dans les toilettes, on trouve une petite affiche qui dénonce les propos d’Éric Caumes l’accusant « d’homophobie » et de se faire, par ses propos et sa posture, « complice du sida ». L’affiche l’accuse de propager de fausses informations sur la Prep et demande à la SFLS de condamner ses propos. Pour l’instant, aucune réaction.

 

Médiation en santé : un appel
La session « Médiation, expériences locales et accompagnements communautaires » a confronté le métier de médiation en santé à l’expérience de quatre associations : La Marmite, représentée par Ilaria Ben Amor, La Croix Rouge française de Guyane par Florence Huber, Nelson Lafontant et Mélanie Gaillet, Envie par Hélène Meunier et AIDES par Catherine Aumond. Les actions très diverses présentées sont adaptées aux publics vulnérables : insertion professionnelle pour La Marmite dans le 93 ; accompagnement pour l’accès au droit et traduction de témoignages auprès de publics migrants en zones reculées en Guyane pour la Croix rouge ou accompagnement de personnes vivant avec le VIH pour Envie et AIDES. Le rôle clé de l’approche communautaire a été unanimement souligné ; il représente un des principes d’action de l’association AIDES. En plus d’agir à l’interface entre les cultures, langues, et territoires, le-la médiateur-rice en santé émerge comme le « chainon manquant » entre les acteurs-rices de la santé et du social.
C’est du reste cette dimension et la complémentarité de cette fonction avec les autres professionnels-les du soin qui sont à la base de l’Appel pour la Seine-Saint-Denis (info à venir sur le site de la SFLS). Chaque édition du congrès de la SFLS est le cadre d’un appel ; une tribune officielle revendicative qui demande aux pouvoirs publics d’agir sur une priorité d’action. Cette année, c’est la médiation en santé — et pas seulement dans le champ du VIH, même si la lutte contre le sida a été le creuset de la création de cette modalité d’intervention — qui a été retenue. Dans leurs parcours, les personnes qui ont besoin d’un suivi médical au long cours sont souvent confrontées à des échecs, des freins, des difficultés administratives et sociales… Bref, à un ensemble de problèmes ; c’est d’autant plus vrai dans le cas de nombreuses personnes vivant avec le VIH. La médiation en santé est un outil qui vise à surmonter ces difficultés pour qu’elles n’empêchent plus l’accès à la santé. L’appel de cette année demande la création de 1 000 postes annuels de médiateurs-rices en santé et la reconnaissance que cette fonction est bel et bien « un nouveau métier de la santé », indispensable pour lutter contre les inégalités de santé.

 

Transphobie : déterminant d’inégalités en santé
Plénière : Au-delà des frontières du genre, avec l'intervention de Simon Jutant (Acceptess-T). La transphobie comme déterminant d’inégalités en santé. Un rappel a été fait sur la chronologie des droits des personnes trans en France, droits somme toute très minimes. Dans la chronologie présentée, il apparaissait surtout toutes les discriminations étatiques à l’encontre des personnes trans. Il a été noté toutefois qu’à la lecture des différents rapports d’experts-es au cours des dernières années, la question de la santé des personnes trans était de plus en plus visible. Bon, nous sommes passés-es de trois lignes à une dizaine de lignes dans les recos : il n’y a pas de quoi s’en relever la nuit ! Même si la visibilité des personnes trans est de plus en plus accrue — elle est surtout le fait de la mobilisation très forte des personnes concernées —, les personnes trans restent une population bien souvent en situation précaire et extrêmement discriminée. Il ressort aussi de cette présentation que les professionnels-les de santé, notamment les médecins, devraient être formés-es à la santé des personnes trans et aux problématiques rencontrées par cette communauté.

 

VIH et le vieillissement : une formation
Parmi les 112 posters présentés au congrès SFLS 2022, le numéro 42 présente les données sur l’implantation et évaluation d’une formation sur la prise en charge des personnes vieillissant avec le VIH auprès des soignants-es. L’accès à des traitements antirétroviraux efficaces et bien tolérés a permis aux personnes vivant avec le VIH (PVVIH) d’avoir une espérance de vie se rapprochant de celles des personnes séronégatives. On observe donc un vieillissement des PVVIH qui s’accompagne des comorbidités classiquement associées à l’âge et au VIH. À ces comorbidités peut s’ajouter une stigmatisation de la part de certains soignants-es, liée au mode de vie des PVVIH, à la sérophobie et à l’âgisme. Afin d’améliorer la prise en charge et les soins des PVVIH séniors-es, le Corevih Arc-Alpin a mis en place une formation d’une demie journée sur le VIH et le vieillissement, destinée aux professionnels-les travaillant dans l’Arc Alpin en Ehpad, dans d’autres structures d’accueil pour séniors-es ou à domicile. Deux sessions ont eu lieu en novembre 2021 et en janvier 2022. Les besoins et attentes avaient été recueillis en 2019. La formation a été bâtie autour des représentations et de situations concrètes. Vingt-cinq personnes ont suivi cette formation. Elle a été évaluée par un questionnaire, quantitatif et qualitatif, en fin de journée, puis deux mois plus tard. Pour la moitié des participants-es, la vision du VIH a fortement changé et cette formation a permis de déconstruire des représentations anciennes sur le virus. La notion de chronicité semble avoir remplacé la notion de mortalité liée au stade sida que les soignants-es concernés avaient encore comme base de connaissance. L’évaluation montre qu’une formation sur le VIH et le vieillissement a toute sa place dans une stratégie de promotion de la santé, notamment si elle part des connaissances des personnes. Les PVVIH séniors-es étant encore en majorité à domicile, il est important d’étendre cette formation aux soignants-es qui interviennent sur leurs lieux de vie. Dès 2023, le Corevih Arc-Alpin  propose de former des personnes ressources, d’étendre le réseau de soignants-es formés-es et de les soutenir par une journée annuelle. Il sera aussi proposé d’intervenir auprès de gériatres afin de les sensibiliser sur de potentiels patients-es qu’ils auront à prendre en charge dans les années à venir et les spécificités du VIH.

 

Abus sexuel précoce et chemsex
Parmi les 112 posters présentés au congrès SFLS 2022, le numéro 109 présente les données d’une étude qui a pour objectif d’explorer une relation éventuelle entre le fait d’avoir subi un abus sexuel dans l’enfance (contact génital forcé perpétré par un adulte avant l’âge de 13 ans) et l’implication dans la pratique du chemsex à l’âge adulte chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). L’étude a été cordonnée par Marc Shelly (Association Aremedia) et David Moreau (Cegidd, Hôpital Fernand-Widal AP-HP). Les données ont été recueillies, dans le cadre d’une recherche/action conduite sur quatre sites distincts, à travers la médiation neutre d’un auto-questionnaire informatique interactif. Au total, 1 026 hommes, de l’adolescence à l’âge adulte, dont 245 HSH (âge moyen de 23 ans), ont répondu à cette enquête. Les résultats de cette étude exploratoire suggèrent que le fait d’avoir subi un abus sexuel dit précoce (avant l’âge de 13 ans) constitue un important facteur de vulnérabilité surexposant (près de six fois plus) à la pratique du chemsex à l’âge adulte. Si elles étaient confirmées par d’autres études, ces données devraient inciter les médecins, infectiologues, sexologues, addictologues, psychiatres et psychologue à la recherche systématique d’antécédents d’abus sexuel dans l’enfance en cas de pratique du chemsex et à inscrire, le cas échéant, ce psycho-traumatisme majeur dans la prise en charge clinique globale de cette pratique. Il conviendrait également de sensibiliser et former les acteurs-rices associatifs-ves communautaires à cette problématique trop souvent ignorée.

 

Agnès Daniel, Jean-François Laforgerie, Fred Lebreton, Thierry Tran et Lucas Vallet

Commentaires

Portrait de Superpoussin

Impossible de répondre en citant certains points de votre message à moins de tout recopier à la main, ce qui est trop fastidieux.

Alors je suis obligé de faire bref, aproximatif.

En bref donc...

Il aurait été intéressant de renvoyer aux propos du Pr Caumes que vous jugez homophobes. Ici impossible de savoir ce qu'il en est vraiment et on est obligé de se contenter de votre jugement, ce qui n'est pas satisfaisant pour se faire un avis.

J'ai pris la peine de lire l'article dont vous donnez le lien sur l'étude VESPA et y ai noté que les anciens du VIH n'y étaient pas pris en compte. Faisant partie de cette catégorie cela peut expliquer que certaines conclusions vont à l'encontre de mon expérience personnelle quant aux difficultés pour un retour à l'emploi.

Dans mon cas j'ai rencontré 2 gros obstacles:

1) Le fait d'avoir connu un trop long éloignement du monde du travail directement lié à mon ancienneté dans le VIH et le sida.

2) ... Ne pas être une femme! Effectivement contrairement à votre titre de chapître sur les "Femmes pénalisées" ces dernières sont parfois avantagées dans le monde du travail quand on se place dans la catégorie des anciens du VIH ayant du quitter longtemps la vie active et de surcroît particulièrement fatigables. D'une part car la plupart des "petits boulots" qui sont les plus faciles d'accès pour "se remettre le pieds à l'étrier" sont très souvent réservées au genre féminin même si cela n'est pas toujours explicite. Enfin car les temps partiels ne semblent pas envisageables pour les hommes en recherche d'emploi, du moins c'est la réponse que l'on m'a fait systématiquement dès que j'abordais le sujet: "dans notre société les temps partiels sont réservés aux femmes". Or je n'aurais pas pu honorer un temps plein, problème directement lié à mon ancienneté dans le VIH.

Enfin vous avez évoqué une plus grande détresse psychologique chez les personnes LGBT que chez les personnes hétérosexuelles. Je suppose que vous évoquez ici la population générale et pas spécifiquement chez les personnes ayant le VIH? Si c'était la deuxième hypothèse pourriez-vous nous donner vos sources? En effet j'aurais tendance à croire le contraire dès qu'on regarde les personnes touchées par le VIH vu que les hétéros n'y sont presque plus en considération à moins d'appartenir à certaines communautés.

J'ai du oublier des choses,  j'ai l'excuse de la fatigue.

Pour finir il me semble que vous recevez des fonds pour vous occuper de la cause des personnes touchées par le VIH et ce serait bien que vous en restiez sur ce thème sans profiter des moyens mis à votre disposition pour des activismes ne concernant pas toujours cette cause.

P.S.: Comment participer à une étupe VESPA?