"Si l’Existrans fait réagir, c’est qu’elle touche là où ça fait mal"

Publié par Rédacteur-seronet le 18.11.2016
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La marche Existrans demeure l’occasion de faire l’état des lieux de la situation des personnes trans. Dans un contexte sécuritaire et peu propice aux questions de genre, les enjeux politiques des personnes trans sont peu mis en lumière. Retour avec Jean-Raphaël Bourge, doctorant en sciences politiques et spécialisé dans les questions de genre, présent durant la marche du 15 octobre dernier.

A l’occasion de la marche Existrans, quel regard portez-vous sur la première loi sur le changement d’état civil ? Comment expliquez-vous la non-prise en compte d’un certain nombre de revendications portées par les personnes trans ?

Jean-Raphaël Bourge : Il y a plusieurs choses. Le système en France, empreint de l’universalisme républicain, qui a du mal avec les questions de genre ou celles que l’on va classer très vite dans le "communautarisme". Il y a le contexte plus particulier du mandat de François Hollande, avec l’émergence de la "Manif pour tous" qui a exacerbé une frilosité qui existait déjà chez le PS. On a l’impression qu’ils veulent donner le change et un os à ronger en vue des élections. Mais quand on regarde les évolutions législatives sur la question des identités trans dans beaucoup de pays, on est très loin de ces avancées. Ce n’est pas qu’une simple demi-mesure. Ce sont de fausses bonnes idées qui ne font pas avancer les points cruciaux. La médicalisation à laquelle nous n’arrivons pas encore à échapper, sans parler de la mainmise judiciaire très forte. Avec cette logique de ne pas aller vers le civil, le public, dans ce cas là. Déjà à l’époque du PaCS, le législateur avait fait en sorte que cela se passe dans les tribunaux d’instance, et non à la mairie. En France, on assiste donc à une micro évolution qui ne va pas dans le bon sens, et qui ne présage rien de bon pour les années qui viennent. Clairement, nous nous orientons vers l’alternance politique. La droite est plus que frileuse sur le sujet et a derrière elle un mouvement d’ampleur, qui revient demain d’ailleurs [le 16 octobre, lendemain de l’Existrans, avait lieu une manifestation de la "Manif pour tous", ndlr]. Je ne pense pas que cela soit un hasard. Ce mouvement s’attaque désormais à toute les questions de genre en général et la question trans est l’emblème de la prétendue menace qu’ils brandissent. C’est d’ailleurs en cela que l’Existrans reste une nécessité. Cette marche dérange, car elle bouscule l’ordre établi, l’ordre social et l’organisation du genre et des sexes dans notre société. En ce sens, si cette mobilisation fait réagir, c’est qu’elle touche là où cela fait mal. Une société hétéro-patriarcale, encore très marquée en France, se sent menacée par cela.

La mobilisation actuelle autour des réfugiés et des migrants prend-elle en compte la question trans et est-elle sensibilisée à ses enjeux spécifiques ?

Cela reste très timide, et pas seulement sur la question trans. Les questions de genre commencent à être appréhendées par les associations d’aide aux réfugié-e-s. On voit des actions tournées vers les femmes migrantes ou les homosexuels en fuite. A ma connaissance, cet enjeu n’est pas traité, mais parce qu’il est aussi très marginal au sein du mouvement que l’on connait aujourd’hui pour les réfugiés. Mais quand on est gay, lesbienne ou a fortiori trans, on sait que les obstacles et écueils rencontrés sont démultipliés.

Sur la question du travail du sexe, on voit déjà des retours assez problématiques des effets de la loi de pénalisation des clients, six moi après son vote. Les personnes trans migrantes sont aussi concernées par cet enjeu, tout autant de droit humain que de santé publique. Cette question est-elle audible et mobilise dans le mouvement trans et en dehors ?

Oui, c’est quelque chose qui existe. Après audible, pas forcément. Mais le militantisme trans a souvent du mal à se faire entendre, tout comme celui autour du travail du sexe. La question est là et prégnante, et reste souvent portée par des personnes trans, migrantes ou non, elles-mêmes travailleuses du sexe. Là aussi, il y a une multiplication des facteurs de vulnérabilité de ces personnes. Le travail sexuel est pour elles parfois le seul travail possible, pour des questions d’identité, d’absence de papiers et de situation irrégulière pour des personnes trans migrantes. Cela les expose encore plus fortement que les autres à la violence, aux infections sexuellement transmissibles dont le VIH. Cette volonté abolitionniste de faire disparaitre la prostitution, presque unique au monde, n’est là que pour rassurer le Français moyen, mais ne s’attaque en rien à la question de la réinsertion, du démantèlement des réseaux ou de l’accès à la santé des travailleurs et travailleurs du sexe. Cette loi ne change rien, au contraire, précarise encore plus les personnes qui l’étaient déjà beaucoup. Ce qui rend d’autant plus compliqué pour ces personnes de se mobiliser pour leurs droits.

Propos recueillis par Mathieu Brancourt