Sigycop : des métiers interdits aux PVVIH

Publié par jfl-seronet le 16.09.2021
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Mode de vie

En 2021, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sont toujours considérées comme « inaptes au terrain » pour la majorité des métiers des forces de l’ordre (police nationale, gendarmerie, armée, sécurité civile et sapeurs-pompiers professionnels comme volontaires). Le 8 septembre dernier, AIDES a annoncé qu’elle rejoignait un recours juridique initié fin 2020 devant le Conseil d’État pour mettre un terme aux discriminations subies par les PVVIH. Seronet fait le point sur ce dossier.

Sigycop, un référentiel obsolète

Pour comprendre d’où vient cette discrimination à l’embauche des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans les forces de l’ordre et assimilés, il faut savoir que l’accès à ces métiers se fonde sur le Sigycop, un référentiel d'aptitude qui correspond au profil médical d'un individu, établi par un-e médecin militaire ou non, lui permettant de déterminer son aptitude à intégrer l'armée française ou un autre corps des forces de l’ordre ou assimilé. S’il a, initialement, une vocation militaire, le profil médical Sigycop s’applique ailleurs qu’à l’armée et crée des exclusions systématiques de personnes séropositives au VIH dans d’autres emplois publics, tout particulièrement les activités opérationnelles (combats, interventions sur le terrain, etc.). Ainsi, « l’exclusion constatée pour l’armée se retrouve dans d’autres secteurs, notamment la police nationale », expliquait l’édition 2015 du rapport VIH/Hépatites, la face cachée des discriminations, réalisée par AIDES.

Ce référentiel d'aptitude s’appuie sur un système de coefficients qui, concernant le VIH, est, aujourd’hui, obsolète car il ne prend pas en compte les résultats des nombreuses études qui ont démontré depuis une dizaine d’années l’efficacité du Tasp : une personne séropositive sous traitement avec une charge virale indétectable ne transmet pas le VIH et bénéficie d’un état de santé et d’une espérance de vie similaires à une personne séronégative. C’est un consensus scientifique en 2020 que l’armée ne semble pas vouloir prendre en compte.

« Les coefficients d’admissibilité vont de 1 à 6 par ordre décroissant. Au-dessus de 2 peu de chances d’être recruté dans l’armée, la police ou chez les pompiers. Tel est le cas pour les personnes vivant avec le VIH. Selon les règlements, les séropositifs se voient attribuer – en fonction de leur niveau d’infection et de prise en charge de la maladie – un coefficient d’état général de 3, 4 ou 5 qui, de fait, les exclut », rappelle Libération dans un article publié le 30 novembre 2020. « Nous butons toujours sur le référentiel Sigycop, déplore Marc Dixneuf, directeur général de AIDES, dans Libération. « Cette forme de sérophobie institutionnalisée, qui n’est pas fondée scientifiquement, entretient une sérophobie sociale plus globale. Et si l’État veut lutter contre les discriminations structurelles en raison du statut sérologique, c’est à lui de donner le la, car c’est un employeur considérable ».

Le long combat des associations

Dès 2015, AIDES a écrit aux ministres concernés (Santé, Défense et Intérieur), sans obtenir de réponses satisfaisantes, voire sans obtenir de réponses du tout. L’association saisit alors le Défenseur des droits, fin 2015. Celui-ci ne donne pas suite. AIDES a depuis repris son plaidoyer et a choisi de repartir à la charge. En juillet 2018, une mission d’information est menée à l’Assemblée nationale dans le cadre de la commission de la Défense nationale et des forces armées. Elle porte sur « l'évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées ». Présidée par les députés Bastien Lachaud (France insoumise) et Christophe Lejeune (La République en marche), elle procède à des auditions : directrice des affaires juridiques du ministère des Armées, inspecteur des armées, directeur des ressources humaines du ministère des Armées, aumôniers des forces armées, directrice du service de santé des armées, etc. AIDES est également été auditionnée (6 décembre 2018). C’est du reste la seule association de lutte contre le sida qui le sera. À cette occasion, l’association a rédigé un argumentaire très complet qui a constitué la trame de son audition. Les travaux des parlementaires débouchent sur la publication d’un rapport en mars 2019.

En août 2019, interpellée par l’ancien président de AIDES, Aurélien Beaucamp, sur ce sujet, la ministre des Armées, Florence Parly, adresse un courrier à AIDES ; échange dont Remaides rend compte (VIH et discriminations : AIDES interpelle la ministre des Armées, Remaides N°109, page 19, octobre 2019). « Le service de santé des armées suit avec attention les évolutions préconisées par la communauté scientifique et procédera à une actualisation de la cotation liée au VIH lorsque l’évolution de ces connaissances et recommandations la rendra pertinente », explique alors la ministre des Armées. De toute évidence, elle et ses services n’ont pas eu connaissance des résultats des études Partner (1) et Partner2 (2) qui entérinent, une bonne fois pour toute, l’efficacité du Tasp (Indétectable = Instransmissible). Contacté par Libération en novembre 2020, le cabinet de Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur, annonçait « la mise en place d’une mission d’expertise sur la possibilité d’abrogation réglementaire » de ces dispositions.

Saisine du Conseil d’État

Sans attendre les conclusions de cette future mission d’expertise, plusieurs associations annoncaient le 1er décembre 2020, Journée mondiale de lutte contre le sida, avoir saisi le Conseil d’État pour mettre fin à cette discrimination. Une annonce accompagnée d’une tribune publiée dans Libération et signée par maître Etienne Deshoulières (avocat), Jean-Luc Romero-Michel (président d’Élus locaux contre le sida et adjoint à la maire de Paris en charge des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations), Terrence Katchadourian (secrétaire général de Stop Homophobie), Johan Cavirot (président de Flag !), Frédéric Hay (président d’Adheos), Damien Sartran (président de Mousse) et Arnaud Boisseau (président de Familles-LGBT).

« Actuellement, les personnes vivant avec le VIH sont exclues du recrutement ou renvoyées de la police, de la gendarmerie, de l’armée et des pompiers si l’État apprend leur statut sérologique, et cela même si ces personnes sont traitées et qu’elles ont une charge virale indétectable. Il s’agit d’une discrimination en raison de leur état de santé, totalement inacceptable ! », dénonce la tribune (3). « Nous, associations et militants-es avons demandé officiellement au ministre de l’Intérieur et à la ministre des Armées d’abroger la réglementation qui instaure cette discrimination. Nous n’avons obtenu aucune réponse. Ce silence est inadmissible. Il est également incompréhensible », déplorent les signataires.

Le 8 septembre 2021, AIDES annonce, à son tour, se joindre à ce recours : « AIDES recommande une modification du référentiel Sigycop et une évaluation de l’aptitude réelle à exercer les missions au moment de l’admission et tout au long de la carrière afin de prohiber toute forme de discrimination en raison de l’état de santé. C’est la raison pour laquelle, AIDES rejoint le recours initié par les associations Mousse, Adheos, Stop Homophobie, ELCS, Familles LGBT et FLAG ! devant le Conseil d’État pour dénoncer un traitement discriminatoire des personnes vivant avec le VIH ». La suite au prochain épisode…

(1) : Partner est une étude internationale qui a suivi pendant trois années (de 2013 à 2016) 900 couples sérodifférents hétérosexuels ou gays qui avaient des pénétrations vaginales ou anales non protégées par un préservatif ou la Prep et dont le-la partenaire séropositif-ve était sous traitement avec une charge virale indétectable. Aucune transmission du VIH n’a été observée entre les partenaires de ces couples.
(2) : Partner2 est le volet spécifiquement gay de l’étude Partner. L’étude a suivi 972 couples homosexuels sérodifférents, dans 14 pays européens. Les résultats, annoncés en mai 2019, démontrent qu’en dépit de près de 75 000 actes sexuels sans préservatifs, ni Prep, aucun cas de transmission n’a été observé entre les partenaires.
(3) : La tribune ne précise pas les détails de cette saisie ni sur quels points spécifiques les associations signataires souhaitent avoir l’avis du Conseil d’État. 

Sigycop : quelles instructions ont cours pour le VIH ?
« L’interdiction d’intégrer de nombreux corps de l’armée par des personnes vivant avec le VIH a été identifiée en juillet 2015, après qu’une personne contacte AIDES alors qu’elle se voit refuser l’accès à la marine nationale », rappelle l’édition 2015 du rapport VIH, hépatites, la face cachée des discriminations, réalisé par AIDES. L’association choisit alors de s’intéresser dans le détail à un référentiel appliqué pour « déterminer l’aptitude médicale à servir » des candidats-es, et méconnu du grand public : le Sigycop ; un référentiel daté qui écarte, de fait, les personnes vivant avec le VIH et qui ne tient aucunement compte des avancées majeures dans la prise en charge du VIH. Qu’est-ce qui est appliqué concernant le VIH actuellement ? Un arrêté (20 décembre 2012, modifié en janvier 2018) relatif à la détermination du profil médical d’aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale établit une cotation pour de nombreuses pathologies dont le VIH. Concernant cette maladie, c’est quasiment, critère pour critère, l’instruction de 2003 (!) qui s’applique. C’est dire si cela date. Le VIH est considéré dans le critère « G » (état général). Il est côté par des coefficients allant de 3 à 5. Voici ce que cela donne : Infection à VIH asymptomatique, sans traitement, avec une immunité cellulaire satisfaisante et selon avis spécialisé : G 3 ; Infection à VIH asymptomatique, sans traitement, avec une immunité perturbée (inférieur 500 CD4/mm3) : G 4 ; Infection à VIH asymptomatique, traitée, charge virale indétectable et immunité cellulaire satisfaisante (supérieur à 500 CD4/mm3) : G 3 à 4 ; Infection à VIH traitée avec charge virale détectable ou immunité cellulaire perturbée (inférieur à 500 CD4/mm3) : G 4 ; Infection à VIH symptomatique : G 5.

Discriminations : l’Assemblée nationale au rapport !
En mars 2019, l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information sur « l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées » (1). Ce travail a été coordonné par les députés Bastien Lachaud (France Insoumise) et Christophe Lejeune (LREM). Le rapport porte sur l’ensemble des forces armées, gendarmerie comprise. Il traite de nombreux sujets (risques psycho-sociaux, sociologie des militaires, bien-être au travail, violences sexuelles, critères de recrutement, etc.) Lors des travaux préparatoires, AIDES est l’unique association de lutte contre le sida et les hépatites virales à avoir été auditionnée. L’association a été retenue par la commission d’information parlementaire à la suite du travail qu’elle avait effectué en 2015 sur les limites du référentiel Sigycop. Le rapport parlementaire fait un certain nombre de propositions dont trois relatives au VIH. L’une (proposition 12) est de « réviser les coefficients associés au VIH dans le référentiel d’aptitude ». La deuxième (proposition 14) est de « prohiber les dépistages du VIH sans consentement express des intéressés ». Enfin le rapport (proposition 13) vise à « mieux faire connaître les voies de contestation d’une décision d’inaptitude ».