SIS : 30 ans d’écoute

Publié par Fred Lebreton le 29.11.2021
2 254 lectures
Notez l'article : 
0
 
InitiativeSida info service

13 novembre 1990 : Sida Info Service (SIS) reçoit son tout premier appel téléphonique. 18 novembre 2021 : l’association fête ses 30 ans + 1 an lors d’un colloque organisé à Paris. Ce colloque aurait du avoir lieu en 2020 mais, crise sanitaire oblige, il a été repoussé. Retour sur une journée riche en émotion où l’association a fait le bilan sur son histoire et annoncé les évolutions à venir.

Il était une fois…

Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. La première partie de ce colloque était consacrée à l’histoire de Sida Info Service avec les interventions de Michel Bourrelly (docteur en pharmacie et militant de longue date de la lutte contre le sida) et Franck Marcé (coordinateur pôle écoute de SIS à Montpellier). L’histoire de Sida Info Service est étroitement liée à celle de AIDES, qui lance en janvier 1985 une permanence téléphonique bénévole (PTL), ouverte de 19 heures à 23 heures et tenue par des volontaires. Michel Bourrelly se souvient : « Le 6 décembre 1985, Daniel Defert [président fondateur de AIDES, ndlr] s’est rendu à Marseille pour présenter AIDES. J’ai rejoint la permanence téléphonique à AIDES Marseille le mercredi soir (…). J’avais 23 ans et je n’étais pas préparé à parler de la mort », raconte celui qui, par la suite, deviendra directeur de AIDES en Provence jusqu’en 2000. « C’était un moment étrange. On construisait en marchant. Les tests venaient juste d’arriver et on n’avait aucun traitement (…). Entre 1981 et 1986, l’État français n’a rien fait pour lutter contre le sida, ce qui a favorisé l’émergence de la société civile et l’implication des personnes concernées ». Dès 1988, les responsables de AIDES comprennent qu'ils ne peuvent plus faire face à la pression des demandes, faute de subventions. Les pouvoirs publics, après un long silence, prennent enfin leur responsabilité et, début 1990, l'Agence française de lutte contre le sida (AFLS) et AIDES rédigent le cahier des charges du futur service, une ligne téléphonique sous la forme d'un numéro gratuit accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cette ligne est animée par des salariés-es formés-es à l’écoute active. L'anonymat, la confidentialité, le non-jugement et la gratuité définissent l'éthique fondamentale des écoutants-es de l'association. Sida Info service est créée les 23 octobre 1990 avec comme premier directeur Pierre Kneip, ancien responsable bénévole de la permanence téléphonique de AIDES Île-de-France.

Franck Marcé souligne l’aspect incongru de la rencontre entre une association militante et une institution publique (AFLS). Il se rappelle qu’au lancement tout le monde était en CDD d’un an. Très vite, cette ligne téléphonique est devenue un service de prévention et d’aide à distance en santé. Le militant n’oublie pas non plus les difficultés financières de l’association, les restructurations douloureuses et les relations compliquées avec les services de l’État. En 2015, au plus fort de la crise, Sida Info Service doit se séparer du 190 (centre de santé sexuelle basé à Paris) qui est sauvé de la fermeture par AIDES. Aujourd’hui, les dettes sont remboursées. SIS a moins de moyens, moins de salariés-es mais continue d’exister et de s’adapter. Très ému, Franck Marcé rend hommage aux écoutants-es présents-es et passés-es. « Nous fournissons jour après jour un service que beaucoup jugent exceptionnel, vous pouvez en être fiers-ères ».

Entendre l’écoute

Des hommages il y en a eu tout au long de cette journée. Notamment, la lecture émouvante d’un texte de René-Paul Leraton (fondateur de la ligne Azur en 1997 et sœur de la perpétuelle indulgence) par Gaëlle Sitbon et Sylvie Vanderschilt (toutes deux coordinatrices régionales chez SIS). Mais aussi la diffusion d’une création sonore proposée par une ancienne écoutante qui a enregistré (avec leur accord) des écoutants-es pendant leur travail. Le montage habile de 15 minutes est une immersion dans l’intimité d’un travail de l’ombre. On entend la frustration et la fatigue, mais aussi la joie, l’empathie et la patience de celles et ceux qui écoutent et répondent aux peurs parfois irrationnelles des usagers-es. « La culpabilité, c’est notre fonds de commerce », raconte un écoutant en référence aux personnes qui viennent confier leurs aventures sexuelles comme autrefois certains-es se confiaient à un religieux. « La star de Sida Info Service, c’est la fellation », explique avec humour une écoutante. Et pour cause, c’est LA question qui revient le plus souvent. « Nous faisons le service après-vente de la fellation », ce qui fait rire l’assemblée. Chaque écoutant-e a ses habitudes qui sont presque devenues des rituels. Je dis systématiquement : « Je vous écoute » au début de l’appel, explique une écoutante, « sinon je me sens déséquilibrée ». Régis, écoutant depuis le premier jour, explique l’évolution du métier. « Au début, nous étions considérés comme des répondants et d’ailleurs un des premiers slogans de SIS était : « Vous avez des questions, nous avons des réponses ». SIS arrive dans un contexte épidémiologique difficile. Au début des années 90, l’association doit répondre à des personnes en stade sida qu’il faut accompagner vers la mort. À partir de 1996 et l’arrivée des premières trithérapies efficaces, le VIH va doucement, mais sûrement devenir une infection chronique. L’association s’adapte et depuis on parle davantage de ce métier comme écoutant-e (et non plus comme répondant-e)

Quel avenir pour SIS ?

Alors que le VIH est devenu une maladie chronique bien contrôlée (quand elle est bien dépistée), la question de l’avenir de Sida Info Service est légitime. Pour y répondre, la directrice de l’association, la Dre Arame Reymes-Mbodje, a présenté les contours du SIS de demain qui sera centré autour de la santé sexuelle. SIS a lancé en novembre 2020 son nouveau site nommée Sexualités Info Santé. Une plateforme dédiée à la santé sexuelle qui propose à la fois des informations de base (témoignages, fiches infos sur les différentes sexualités, les discriminations liées à l’identité de genre et l’orientation sexuelle, la prévention des IST, plus une rubrique actu) et aussi un service d’écoute et d’accompagnement anonyme et gratuit par chat ou mail. Arame Reymes-Mbodje ajoute que la création d’une ligne d’écoute spécifique en santé sexuelle est en cours de réflexion et que tout ce travail s’inscrit dans la lignée de la Stratégie nationale de santé sexuelle (SNSS) 2017-2030, dont la seconde feuille de route doit être rendue publique en décembre de cette année.

Santé sexuelle pour tous-tes ?

La santé sexuelle était au cœur des discussions lors de la dernière partie du colloque. La Dre Sophie Florence, coresponsable du centre de santé sexuelle Paris Centre, est revenue sur le changement de paradigme de ces dernières années avec l’avènement du Tasp et de la Prep. Pour la médecin, il faut aller vers une démarche de santé sexuelle globale et inclusive qui s’adresse à la fois aux personnes vivant avec le VIH et aux personnes séronégatives au VIH. Il faut expliquer la Prep et le Tasp à tout le monde et proposer le vaccin HPV à tous-tes. En ce sens, l’outil formaprep destiné à former les soignants-es à la Prep va évoluer vers un outil de formation à la santé sexuelle. Sophie Florence s’interroge aussi sur le mot « sida » dans le nom de certaines structures comme la SFLS (société française de lutte contre le sida) qu’elle verrait bien évoluer vers une société dédiée à la santé sexuelle. Plus tôt dans la journée, la question a été posée aussi de garder ou pas le mot sida dans Sida Info Service alors qu’en réalité l’association ne reçoit quasiment plus aucun appel de personnes en stade sida… et tant mieux ! Le débat est idéologique en réalité. Le VIH/sida doit-il garder son exceptionnalité héritée de 40 ans d’histoire et de lutte ou doit-il être dilué dans la santé sexuelle globale ? Pour Franck Marcé : « Annoncer ou recevoir un diagnostic de séropositivité au VIH en 2021, c’est toujours une épreuve ». Pas uniquement pour des raisons médicales, mais surtout pour toutes les représentations et discriminations liées au VIH/sida. Le militant fait le parallèle avec la Covid-19 en expliquant que si on peut facilement annoncer à ses proches qu’on a été diagnostiqué-e positif-ve au Sars-CoV-2, ça n’est pas encore la même chose pour le VIH. Même constant pour Arame Reymes-Mbodje qui affirme que la fin de l’exceptionnalité du VIH est une chimère car la sérophobie est toujours présente.

En conclusion de cette journée, les sœurs de la Perpétuelle indulgence ont fait une arrivée surprise et acclamée pour bénir la salle. La messe est dite.

 

Orgasme et moi
Charline Vermont est formatrice en santé sexuelle, praticienne en sexothérapie et autrice du livre Corps, amour, sexualité : les 100 questions que vos enfants vont vous poser (Albin Michel). Militante pour une sexualité positive et inclusive, Charline Vermont s’est fait connaître avec son compte Instagram Orgasme et Moi (actuellement 563 000 abonnés-es). Elle est intervenue lors du colloque de SIS pour témoigner de son expérience sur les réseaux sociaux. « Le phénomène Me Too a donné naissance à un mouvement militant, féministe, inclusif, mais je n’avais pas anticipé l’ampleur qu’allait prendre mon compte Instagram », explique la militante qui affirme recevoir 700 messages privés par jour sur son compte. Parmi ces nombreux messages se trouvent des questions très précises ou des témoignages de violences sexuelles auxquelles elle essaie au mieux de répondre ou réorienter, avec une collègue également sexothérapeute. Son audience est majoritairement composée de jeunes (18-34 ans). « Pourquoi ces questions arrivent chez moi ? Où est le trou dans la raquette ? », demande Charline Vermont. Assis à côté d’elle, Nicolas Étien, chargé de communication chez Santé publique France (SPF), annonce qu’il va bientôt rencontrer Charline pour discuter des synergies possibles entre son travail et celui de SPF. Un nouveau partenariat entre la société civile et une institution publique, 31 ans après la création de Sida Info Service ?
À suivre.



SIS en chiffres
Lorsque SIS est lancé en novembre 1990, l’association est composée de 50 écoutants-es salariés-es et 300 volontaires de AIDES. Aujourd’hui, SIS dispose de 36 écoutants-es déployés-es sur quatre sites : Montreuil, Grenoble, Montpelier et la Guyane (un cinquième site doit ouvrir en 2022 à Mayotte). En 30 ans, SIS a effectué 5 millions d’entretiens, répondu à 200 000 mails et fait 200 000 chats. En 2020, l’association a répondu à 144 907 sollicitations dont 91 203 entretiens. SIS : 0 800 84 08 00, ouvert 24h/24.