Soins funéraires : un syndicat entretient la polémique

Publié par jfl-seronet le 31.08.2017
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Droit et socialsoins funérairesthanatropractie

La parution, cet été, d’un arrêté mettant fin à l’interdiction des soins pour les personnes défuntes porteuses du VIH et d’hépatites virales semblait mettre un point final à cette discrimination dénoncée depuis des années par les associations de lutte contre le sida et les hépatites virales et à la polémique entretenue par un syndicat de professionnels du soin funéraire. Il n’en est rien, celui-ci vient de lancer une pétition demandant au gouvernement d’annuler cet arrêté qui entrera en vigueur au 1er janvier 2018. Une vingtaine d’associations et de collectifs qui défendent la fin de cette interdiction viennent d’interpeller le président de ce syndicat dans une lettre ouverte qui dénonce une "série de mensonges, contre-vérités et de stigmatisations" dans le texte de la pétition.

Le Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés (SPTIS) a récemment lancé une pétition "contre la levée de l’interdiction des soins pour les défunts porteurs du VIH et d’hépatites". Cette pétition lancée sur change.org a été signée (au 31 août dernier) par moins de 500 personnes. Elle s’adresse notamment aux ministres de la santé (Agnès Buzyn) et de l’Intérieur (Gérard Collomb) ainsi qu’au président de la République, Emmanuel Macron. La levée de cette interdiction entrera en vigueur le 1er janvier 2018. Dans un arrêté pris le 12 juillet 2017 et paru le jeudi 20 juillet 2017 au "Journal Officiel" (1), la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, autorise les soins de conservation pour les personnes porteuses du VIH ou d'hépatites virales, en retirant le VIH et les hépatites virales de la liste des maladies concernées par cette interdiction. Cette interdiction avait été établie en 1986, puis confirmée en 1998. Dans sa pétition, le SPTIS avance que la levée de cette interdiction est une "très mauvaise nouvelle [pour eux], thanatopracteurs, thanatopractrices et professionnels du funéraire". Le SPTIS prétend, par ailleurs, que cette interdiction ne constituerait pas une "discrimination".

Quels arguments avancent le SPTIS ?

Dans sa pétition, le syndicat professionnel explique que les "soins de conservation sont un procédé invasif, où le risque de piqûre ou coupure est réel, malgré le port des équipements de protection individuelle recommandés". "En l’état actuel des choses, aucune donnée scientifique n’est en mesure de prouver de façon totalement indépendante et irréfutable qu’il ne subsiste aucun risque de contamination après la mort pour des maladies qui ne relèvent pas des maladies dites contagieuses", avance-t-il. Et d’ajouter : "Pour l’heure, aucun vaccin ni médicament ou antibiotique n’est efficace sur ce type de maladies infectieuses et nous prenons déjà le risque de traiter ces corps de façon invasive par des soins de conservation sans y opposer aucune forme de refus. Alors à plus forte raison pour des personnes décédées d’hépatites ou du sida, il est inconcevable que nous prenions un risque supplémentaire pour nous et notre famille alors qu’aucun traitement n’est efficace en mettant ainsi notre propre vie en danger".

Dans son texte de pétition, le SPTIS ne craint d’ailleurs ni les approximations, ni les raccourcis sensationnalistes comme celui-ci : "A l’heure où le gouvernement souhaite rendre obligatoire onze vaccins pour le nouveau-né, il relâche sa politique sur les soins aux défunts en déréglementant la législation sur les soins de conservation et tout cela en l’absence de données scientifiques précises pour un motif que nous dénonçons et condamnons". Il ne craint pas davantage l’ignominie lorsqu’il va jusqu’à écrire : "Les familles des défunts porteurs du VIH ou d’hépatites souhaitent-ils au fond d’eux nous voir rejoindre la longue et triste liste des contaminés ?", ni les menaces puisque le SPTIS explique qu’il fera jouer son "droit de retrait si aucune avancée n’est faite d’ici le 1er janvier 2018" ; comprendre la suppression de la levée de l’interdiction.

Les associations de lutte contre le VIH et les hépatites (2) répliquent

L’opposition du Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés (SPTIS) à la levée de cette interdiction est connue de longue date. Le syndicat a d’ailleurs eu de nombreuses occasions d’en faire état lors des nombreuses discussions qui ont eu lieu avant l’écriture de l’arrêté publiée en juillet dernier. Cette nouvelle attaque contre cette levée de l’interdiction, le registre et la nature des arguments avancés ont conduit une vingtaine d’associations et de collectifs de lutte contre le sida et les hépatites virales à adresser, le 29 août, une lettre ouverte au président du SPTIS, Cédric Ivanes.

Les signataires y rappellent que la levée de l’interdiction est une "avancée" et le "fruit d’un long combat des associations luttant contre le VIH/sida ou les hépatites virales, conforté par les avis du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS), du Défenseur des droits, de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Haut conseil à la santé publique (HCSP). Le décret final a également été validé par le Conseil national des opérations funéraires (CNOF)". Les signataires rappellent également que cette mesure a fait "l’objet de plusieurs réunions de concertation pilotées par la Direction générale de la Santé pendant près d’un an, avec la participation des représentants des professionnels du secteur funéraire" dont le SPTIS représenté par son président Cédric Ivanes. Un fait qui n’est d’ailleurs pas rappelé dans le texte de la pétition, notent les associations. Ainsi, contrairement à ce que pourrait laisser entendre la pétition sur change.org, cette disposition a bien fait l’objet de nombreuses réunions et de concertations. Dans leur lettre ouverte, les associations et collectifs signataires contestent donc le bien fondé de cette pétition et critiquent le fait que celle-ci s’appuie sur une "série de mensonges, contre-vérités et de stigmatisations".

Une réponse point par point

Dans leur lettre ouverte, associations et collectifs ont tenu à répondre point par point aux arguments avancés par le syndicat professionnel.

"Vous commencez par y expliquer sans trembler que l’interdiction des soins de conservation pour les défunts porteurs du VIH ou d’une hépatite virale autorise "les toilettes mortuaires, un acte qui est identique au soin, à l’exception des actes invasifs de conservation (sutures et incisions) et qui permet de se recueillir dans les mêmes circonstances auprès du défunt", pointe la lettre ouverte. "C’est un pur mensonge, et vous le savez très bien. Si cela est effectivement le cas dans les 36 heures qui suivent le décès, la thanatomorphose fait ensuite son œuvre et l’état du corps n’est plus du tout le même dans les jours qui suivent si des soins ne sont pas réalisés. Oser dire que les proches du défunt peuvent se recueillir dans les mêmes conditions est donc faux, et même outrancier au regard de l’expérience de nombreux proches depuis trente ans".

Il est également reproché à la pétition de "dévoyer" un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) "qui alerte sur la hausse des contaminations liées aux soins médicaux, et qui parle de la protection des patients, alors même que l’OMS autorise la pratique des autopsies à condition de respecter les précautions universelles préconisées".

"Vous y expliquez que s’il n’a, à ce jour, jamais été fait mention d’un cas de transmission du VIH à un professionnel des soins funéraires, c’est grâce à l’interdiction de soins. C’est évidemment faux. Nous savons que près de 25 000 personnes vivent avec le VIH sans le savoir en France, et il est donc absolument certain, comme le mentionnent certains signataires de votre pétition, que des soins funéraires ont été pratiqués sur des défunts porteurs du VIH sans que vous le sachiez et surtout, sans que ces personnes en aient même eu conscience de leur vivant. De plus, il est scientifiquement prouvé aujourd’hui qu’une personne ayant connaissance de sa séropositivité et étant sous traitement antirétroviral a une charge virale indétectable dans le sang et ne transmet pas le VIH", indique la lettre ouverte. Et ses signataires de rappeler que cette interdiction a notamment été dénoncée pour cette raison : "Elle entraînait un sentiment de fausse sécurité pour les thanatopracteurs, alors que l’application des précautions universelles pour tous les corps devait être la norme, comme cela est le cas pour tous les patients lorsque sont pratiqués, par des chirurgiens par exemple, des gestes et soins invasifs".

Autre argument battu en brèche, lorsque le SPTIS écrit que "pour l’heure, aucun vaccin ni médicament ou antibiotique n’est efficace sur ce type de maladies infectieuses". "Si aucun antibiotique n’a d’effets contre des virus, cela va de soi, vous oubliez que : des vaccins existent contre les hépatites virales A (depuis 1995) et B (depuis 1982) ; Des nouveaux traitements contre l’hépatite C permettant une suppression du virus (98 % des personnes en première intention de traitement), supprimant de fait les possibilités de transmission ; Des traitements antirétroviraux existent depuis 1996. Nous ne sommes donc plus dans la situation des débuts de l’épidémie où les personnes décédaient sans avoir bénéficié d’un traitement et dont la charge virale au décès pouvait être très élevée. Il existe même des traitements post-exposition (TPE), et des traitements préventifs (prophylaxie préexposition - PrEP), auxquels ont d’ailleurs régulièrement recours les professionnels de santé à la suite d’accidents d’exposition au sang (AES)", lui répondent les signataires de la lettre ouverte.

Un droit de retrait qui ne passe pas

Un autre point est contesté : la menace du droit de retrait brandie par le SPTIS dans le cas où la levée de l’interdiction ne serait pas abrogée, ce qui est certain. "Comme démontrée plus haut, la pratique de soins de conservation sur un défunt porteur du VIH ou d’une hépatite ne présente manifestement aucun "motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent", sauf en cas de défectuosité des systèmes de protection, qui relève de la responsabilité de l’employeur", rappelle la lettre ouverte.

Les associations et collectifs voient dans le lancement de cette pétition une volonté "d’entretenir des représentations erronées et stigmatisantes sur les personnes vivant avec le VIH ou une hépatite virale, et de refuser de garantir les précautions universelles à la pratique des soins de conservation pour tous les défunts, telles qu’elles ont clairement été définies par l’arrêté entourant notamment la réalisation des soins funéraires à domicile".

Ils se permettent, ultime pied de nez, un rappel au code déontologique de la profession. "Nous espérons donc que ces arguments scientifiques et légaux sauront vous convaincre de retirer votre pétition, dans le respect de l’article 2 de votre code de déontologie qui rappelle que "le thanatopracteur se doit de respecter les règlements, lois et décrets mis en place par le législateur dans le cadre de sa mission".

(1) : Arrêté du 12 juillet 2017 fixant les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires mentionnées à l'article R. 2213-2-1 du code général des collectivités territoriales. 
(2) : Mikael Zenouda, président d’Act Up-Paris ; Louise Lourdon, présidente d’Act Up Sud-Ouest ; Marek Korzec, président d’Actif Santé ; Arnaud Carrere, président d’Actions Traitements ; Aurélien Beaucamp, président de AIDES ; Christian Doubrère, président d’Arcat ; Miguel Velazquez , Président d’Asud ; Kévin Clavier, président de CiGales ; Georges Point, vice-président de Dessine-moi un mouton ; Jean-Luc Romero, président d’Elus locaux contre le sida ; Hervé Rivier, président d’Envie ; Mustapha Benslimane, président de Nova Dona ; Arame Reymes-Mbodge, directrice de Sida Info Service ; Florence Thune, directrice générale de Sidaction ; Maxime Lartas, président de Sol en Si ; Yann Mazens, Directeur de SOS Hépatites ; Joël Deumier, président de SOS homophobie ; André Le Tutour, président de Transhépate ; Le Collectif hépatites virales (CHV) ; Le Collectif TRT-5.

Qu’est-ce que le Conseil national des opérations funéraires ?
Le Conseil national des opérations funéraires (Cnof) est une instance consultative placée auprès du ministre de l'intérieur, qui a été créée par l'article 7 de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire. Il remplit un rôle de conseil des pouvoirs publics pour l'élaboration de la réglementation funéraire et est consulté pour avis sur les projets de textes relatifs à la législation et à la réglementation dans ce domaine. Ce Conseil est composé de représentants des communes et de leurs groupements, des régies municipales, des différentes catégories d'entreprises de pompes funèbres ainsi que des organisations syndicales de salariés et des associations de consommateurs. Il rend public un rapport tous les deux ans sur ses activités, sur le niveau et l'évolution des tarifs des professionnels et sur les conditions de fonctionnement du secteur funéraire. Le Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés (SPTIS) n’en est pas membre.

Menace de droit de retrait : AIDES envisage des testings dans les pompes funèbres
Devant la menace du SPTIS de faire valoir un "droit de retrait" en cas de maintien de la levée de l’interdiction, les associations ont décidé de réagir. Elles ont ainsi adressé un courrier à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn afin d’attirer son attention sur cette question. Par ailleurs, interviewé par le site "Funéraire Info", le 30 août dernier, Enzo Poultreniez, responsable Plaidoyer et Revendications à AIDES, explique que l’association entend être vigilante quant à l’application de la loi (à partir du 1er janvier 2018) et qu’elle pourra réaliser des testings pour vérifier que les professionnels appliquent la nouvelle réglementation : "Nous serons vigilants, parce que ne pas respecter cela, c’est bien une discrimination. Nous savons qu’inscrire quelque chose dans la loi n’est jamais la fin du combat. Il faut ensuite la faire appliquer". "Nous avons par exemple fait un testing il y a deux ans, auprès de 440 chirurgiens-dentistes dans 20 villes françaises, et 33,6 % des professionnels testés refusent les soins sur les patients atteints du HIV ou d’hépatite. Depuis, une commission des refus de soins a été installée par l’Ordre national des chirurgiens- dentistes, AIDES y siège", rappelle-t-il.


Commentaires

Portrait de jl06

Qelle importance de voir ou pas le défunt ?  les soins funéraires  je veut bien mais pas vraiment une grande utilité pour moi ...t

u es mort on mais le couvercle et ciao ...

après pour le principe (la famille ) oui bien sur ... 

perso j,ai pas voulu voir mon copains ....je doit etre indigne alors ! l,assisté jusqu'a la fin  tu prend ta dose pour un bon moment !

Portrait de Sealiah

Comme le souligne l'article, ils pratiquent déjà des soins funéraires à des personnes S+ dont le statut n'est pas connu et il n'y a pas eu de contamination à ce jour.

Être reconnu S+ et traité est un acte responsable.Les connaissances actuelles confirment notre non contagion dans cette situation.Notre responsabilité nous vaudrait des soins exceptionnels.

Devrions nous renforcer le secret médical?Ces gens ne sont pas sencés avoir accés au dossier médical.Demandons une lois leur interdissant cet accés.

Portrait de phlippeur

Bonjour

Juste une question bassement matérielle...Ces soins ont un cout ,est t'il déduit de la facture des croque-morts?