Tabac : la conso stagne !

Publié par jfl-seronet le 31.05.2021
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Le nombre de fumeurs-ses a arrêté de baisser en 2020 en France, rebondissant même chez les personnes aux revenus les moins élevés, « dans un contexte de crise sociale », selon des chiffres publiés mercredi 26 mai par Santé publique France. Explications.

Une augmentation du tabagisme… sélective

En 2020, plus de trois adultes de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer au moins occasionnellement (31,8 %) et un quart quotidiennement (25,5 %), indique Santé publique France, dont les services viennent de publier un numéro spécial du BEH (Bulletin épidémiologique hebdomadaire) avant la journée mondiale sans tabac, lundi 31 mai. Cela marque un coup d'arrêt après plusieurs années qui ont vu la proportion de personnes fumeuses reculer de 34,5 % à 30,4 % entre 2016 et 2019, et les fumeurs-ses quotidiens-nes passer de 29,4 % à 24 %. Pour l’agence sanitaire. Il s’agit d’une « stabilisation » des chiffres (données 2020) car « les variations de la prévalence du tabagisme et du tabagisme quotidien par rapport à 2019 ne sont globalement pas significatives ». En revanche, l'organisme public note bien « une augmentation » du tabagisme « parmi le tiers de la population dont les revenus étaient les moins élevés », à 33,3 % de fumeurs-ses quotidiens-nes contre 29,8 % en 2019. Par contraste, dans le tiers de la population aux revenus les plus élevés, seuls 18 % se déclarent fumeurs-ses quotidiens-nes. En fait, c’est comme si le tabagisme était un phénomène de classes sociales. Dans leur article dans le BEH, des chercheurs-ses expliquent : « Les différences de prévalence du tabagisme quotidien selon les groupes socio-économiques restent très importantes en 2020, avec par exemple quinze points d’écart entre le tiers de la population ayant les revenus les plus bas et le tiers touchant les revenus les plus élevés. L’augmentation de la prévalence observée entre 2019 et 2020 parmi les populations les moins favorisées en matière de revenus est essentiellement due à une hausse entre 2019 et début 2020, avant le premier confinement. Cette hausse s’inscrit dans un contexte de crise sociale en France qui a démarré fin 2018, avec le « mouvement des gilets jaunes », marqué notamment par une contestation des inégalités socio-économiques. Cette crise a fortement concerné les populations de plus faible niveau socio-économique. Or parmi les populations les moins favorisées, la cigarette pourrait être utilisée pour gérer le stress ou pour surmonter les difficultés du quotidien, malgré le coût de plus en plus important de ce produit ».

Baisse des tentatives d’arrêt

Autre signal inquiétant : « En 2020, 29,9 % des fumeurs quotidiens avaient fait une tentative d'arrêt d'au moins d'une semaine au cours des douze derniers mois », une proportion « en baisse significative par rapport à 2019 (33,4 %) ». Pour autant, ce taux reste à un niveau supérieur aux années précédentes. Il était autour de 25 % entre 2016 et 2018. Ces données sont issues du baromètre réalisé chaque année par Santé publique France, une grande enquête sur les questions de santé menée par téléphone auprès de 14 873 personnes entre janvier et mars 2020 puis entre juin et juillet de la même année.

La crise de la Covid-19 a peu joué

La crise sanitaire liée à la Covid-19 et ses restrictions économiques et sociales « ne semblent pas avoir eu d'impact défavorable », puisque c'est en début d'année 2020, entre janvier et mars, que la « hausse » est observée, suivie d'une « stabilisation » après le premier confinement. Parmi les personnes interrogées de janvier à mi-mars 2020, 32,7% se disaient ainsi fumeuses, mais cette proportion a diminué à 30,5 % chez celles sondées en juin et juillet 2020, retrouvant le niveau de 2019 (30,4 %). Cette stabilisation peut avoir un lien avec la crise sanitaire, estime Loïc Josseran, président de l'Alliance contre le tabac et professeur de santé publique à l'université de Versailles-Saint-Quentin, car « à chaque phénomène dur pour la population, on observe une recrudescence des comportements addictifs ». Avec les « baisses successives » de ces dernières années, « on avait fait la partie facile », désormais « cela va être compliqué de continuer » à diminuer car il va falloir toucher « les plus fragiles », moins sensibles aux messages de prévention, a-t-il commenté auprès de l'AFP. Dans leur conclusion, les auteurs-rices expliquent : « Après une baisse inédite du tabagisme en France ces dernières années, dans un contexte de lutte antitabac renforcée par des plans nationaux, une stabilité a été observée entre 2019 et 2020. Dans un contexte de crise sanitaire, économique et sociale inédite, un des enjeux sera de réinstaller une tendance à la baisse, et de renforcer encore la lutte contre les inégalités sociales face au tabagisme, qui sont encore très prononcées et semblent même marquer un rebond entre 2019 et 2020 ».

Une volonté… de réduire la mortalité liée au tabac

Depuis 2017 le gouvernement a relevé nettement les taxes sur le tabac pour faire passer le prix du paquet à 8 euros en mars 2018, puis environ 10 euros début 2020, dans le but affiché de réduire la consommation. Cette politique a marché puisqu’elle a fait baisser la consommation, mais semble connaître aujourd’hui ses limites. « Lors du deuxième trimestre 2020, les ventes de tabac ont augmenté de 5,5 % à jours constants dans l’ensemble de la France continentale, avec une hausse davantage marquée dans les départements frontaliers (+21,9 % contre +2,4 % dans les départements non frontaliers). Cette évolution trimestrielle est à rebours de la tendance à la baisse continue des volumes de ventes depuis 2017. La vente des produits de sevrage tabagique a également connu un ralentissement durant les semaines 12 à 22 du confinement (+5,2 % par rapport à la même période de 2019), tout comme le nombre de constatations et quantités saisies de tabac de contrebande », expliquent les auteurs-rices d’un second article dans le BEH. Une des difficultés désormais est que la baisse des ventes de cigarettes ne traduit pas forcément une baisse de la consommation. Il y a d’une part le report vers d’autres formes de tabac (tabac à rouler) et vers l’achat hors de France du fait d’une taxation différente selon les pays européens. Le paquet est parfois nettement moins cher à l’étranger qu’en France. Joue aussi le trafic de cigarettes de contrebande.
Le niveau du tabagisme « reste élevé en France par rapport aux pays anglo-saxons » comme le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie, qui ne comptaient que 14 % de fumeurs-ses en 2019, avec toutefois là aussi de fortes disparités en fonction du niveau de revenu et de diplôme, observe Santé publique France.

Pour atteindre l'objectif des autorités sanitaires d'une « première génération sans tabac à l'horizon 2030 », Santé publique France invite à « réinstaller une tendance à la baisse » et à « renforcer encore la lutte auprès des populations les plus vulnérables face au tabagisme », pour tenir compte d'inégalités sociales « très marquées ». Actuellement, 75 000 morts par an en France métropolitaine sont attribuables au tabac, selon une étude publiée en 2019, soit plus d'un décès sur huit.

Sources : Pasquereau A, Andler R, Guignard R, Soullier N, Gautier A, Richard JB, Nguyen-Thanh V. Consommation de tabac parmi les adultes en 2020 : résultats du Baromètre de Santé publique France. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(8):132-9. Douchet MA. Réflexion sur les achats hors réseau à partir de l’observation du marché du tabac et des substituts nicotiniques durant le 1er confinement en France. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(8):140-7. 

Tabac : le ciné, outil de propagande ?
Fumer dans un film nuit gravement à la santé des spectateurs-rices. La Ligue contre le cancer dénonce dans un communiqué la valorisation du tabagisme dans les films français en publiant mercredi 26 mai une enquête sur plus de 150 films, an amont de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai. « Le tabac demeure quasi omniprésent dans les films français : entre 2015 et 2019, 90,7 % comprennent au moins un événement, un objet ou un discours en rapport avec le tabac : personnes en train de fumer, présence de cendriers, cigarettes, personnage qui parle de tabac, etc.», note la Ligue d'après la 3ème édition de son enquête menée depuis seize ans avec l'institut Ipsos. Cette enquête est complétée d’un sondage réalisé auprès de jeunes adultes. Dans un film, la présence du tabac (2,6 minutes en moyenne) équivaut à « six spots publicitaires », estime la Ligue. Cette dernière constate aussi « une forte augmentation du taux de fumeurs à l'intérieur des lieux de convivialité (cafés, restaurants…) » dans les films, une pratique pourtant désormais illégale dans la vie réelle. Ainsi, 21,5 % des scènes de tabagisme se situent dans un lieu de travail, au bureau, 16,6 % dans un café, restaurant ou discothèque. Face à cette « omniprésence » tabagique, 58 % de jeunes de 18 à 24 ans considèrent qu'il s'agit d'incitations au tabagisme et 54 %, que les industriels du tabac jouent un rôle dans le placement de produits, selon le sondage Ipsos réalisé en janvier dernier auprès de 1 500 jeunes de 18-34 ans, dont 1 110 de 18-24 ans. Cette surreprésentation du tabac dans les films est, pour la Ligue, d'autant plus préoccupante que, depuis le 1er confinement en mars 2020, 66 % des 18-24 ans indiquent passer plus de temps devant des films ou séries, quel que soit le support (TV, ordinateur, tablette, smartphone….), selon l'association.  « La Ligue dénonce avec acharnement la valorisation du tabagisme dans les films français depuis plus de quinze ans », souligne son président, le Pr Axel Kahn, dans un communiqué.



Tabac : révélateur des inégalités sociales de santé
La fédération Addiction a réagi (26 mai) à la publication des données de Santé publique France (SPF) publiées dans le BEH. « Ces données du BEH vont dans le sens des données épidémiologiques que l’OFDT (1) avait publiées après le premier confinement, à savoir une réduction relative des usages chez les usagers non dépendants et un maintien ou une aggravation chez les personnes dépendantes. Comme la grande majorité des personnes qui fument sont dans une problématique de dépendance, les chiffres se stabilisent entre 2019 et 2020 », explique la fédération Addiction. « L’anticipation par rapport au confinement est peut-être due au climat social très lourd, lui-aussi anxiogène, que connaissait notre pays déjà auparavant avec la crise des « gilets jaunes » (sans parler du conflit des retraites…) Le contexte lié à la crise de la Covid-19, particulièrement oppressant notamment pour les catégories populaires, est venu encore renforcer le gradient social du tabagisme, également préexistant à la crise sanitaire », avance la fédération. Elle voit dans ces résultats la confirmation de son analyse sur les « syndémies (2), c’est-à-dire une rencontre synergique entre divers mouvements épidémiques, viraux, psychologiques (stress, anxiété) et addictologies surdéterminés par des vulnérabilités psychosociales ». Pour la fédération Addiction, l’enjeu est de « travailler sur les inégalités de santé pour poursuivre la baisse du tabagisme en France ». D’ailleurs, le collectif conduit depuis 2018 une expérimentation « pour accompagner les publics en situation de précarité sur les questions de tabac » : le projet Tapreosi. Et de conclure : « Nous devons poursuivre la politique ambitieuse menée depuis cinq ans, mais la renforcer et l’accentuer sur des publics cibles, combinant des approches de marketing social motivationnel, des approches préventives auprès du public jeune, des démarches d’allers vers, de réduction des risques en s’appuyant notamment sur la vape, de soins avec l’élargissement de la prescription du patch nicotinique, mais aussi le renforcement d’accompagnement pluridisciplinaire par des structures médico-sociales permettant de mieux prendre en compte ces vulnérabilités individuelles ».

(1)  : Observatoire Français des Drogues et Conduites Addictives
(2) : Analyse partagée par le président de la Fédération Addiction Lors de l’ouverture de la Journée nationale « Addictions et troubles psychiatriques »