Patrick Mercié : "le dialogue doit être ouvert en l'absence de tout jugement"

Publié par Mathieu Brancourt le 12.01.2014
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Interviewtabaccigarette

Le médecin a une place importante dans la vie d’une personne vivant avec le VIH. Ce dernier joue un rôle dans le parcours vers l'arrêt de la cigarette. Le professeur Patrick Mercié, infectiologue à Bordeaux, qui a contribué à la section tabac dans le dernier rapport d’experts sur le VIH/sida 2013, revient sur les conditions d’une bonne prise en charge du sevrage tabagique chez les personnes vivant avec le VIH. Interview.

Comment impliquer davantage l’infectiologue dans le suivi de l’arrêt tabagique qui est recommandé, plus encore chez les personnes vivant avec le VIH ?

Patrick Mercié : Il est important que les infectiologues soient informés et convaincus que le tabac est un facteur de risque majeur de maladies cardiovasculaires et de cancers. C’est un des facteurs de risque qui favorise le plus l’apparition de troubles associés et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un facteur sur lequel il est possible d’agir. La question de l’arrêt du tabac doit être au centre des préoccupations lors de la prise en charge au long cours des patients vivant avec le VIH. Une consommation de tabac actuelle ou passée doit être systématiquement questionnée dans le cadre du suivi des patients. Chaque centre prenant en charge des personnes séropositives doit mettre en place une filière de soins spécifique destinée à la prise en charge de l’arrêt de la consommation du tabac.

Comment faire pour que les dernières recommandations du rapport d’experts 2013, qui préconisent une approche globale (consultation chez des spécialistes en cardio, en tabacologie, des psys) s’appliquent ?

La prise en charge de l’arrêt du tabac n’est pas simple. Le but est d’expliquer qu’une drogue dure totalement légalisée est néfaste pour la santé, mais peut être combattue. L’addiction au tabac est forte chez la plupart des patients au moins autant que celle observée avec la cocaïne et l’héroïne. Le tabacologue représente une aide tout au long du suivi permettant le choix du traitement d’aide au sevrage le mieux adapté. Le bilan cardiovasculaire lui permet de faire le point sur les conséquences de la consommation de tabac en dépistant une maladie cardiovasculaire athéromateuse [dépôts dans les artères, ndlr] encore silencieuse ou nécessitant une prise en charge. La prise en charge psychologique, voire psychiatrique doit être considérée comme une aide à la mise en route de l’arrêt de la consommation de tabac ou une prise en charge préventive ou thérapeutique de troubles le plus souvent dépressifs sous-jacents ou secondaires à l’arrêt de la consommation de tabac. Il faut donc faire comprendre aux patients que cette filière de soins peut sembler "lourde",mais elle est à la hauteur de la difficulté à arrêter cette consommation. Tous les patients n’auront pas besoin de toutes ces aides, mais, pour certains, cette prise en charge leur permettra d’aboutir à un succès. L’éducation thérapeutique d’une personne nouvellement dépistée doit à mon sens intégrer la notion de prévention du risque lié au tabac.

Abordez-vous le tabagisme avec vos patients ? Le dialogue est-il facile ? Porte-t-il ses fruits ?

Oui, régulièrement. Tous les patients en parlent assez facilement même si parfois il y a une certaine méfiance. Ce dialogue doit être ouvert en l’absence de tout jugement et "sanctions". Porte-t-il ses fruits ? Toute la difficulté est là ! Cela dépend du médecin et du patient. La relation de confiance, le degré de conviction, la motivation du médecin et du patient sont des éléments majeurs difficilement maitrisables de l’arrêt du tabac. Un échec à un essai d’arrêt n’est pas en soi un échec total et peut être une étape vers un succès futur. Mais c’est souvent difficile à comprendre et à accepter par le couple "médecin-patient".

Y-a-t-il des freins spécifiques à l’arrêt du tabac chez les personnes vivant avec le VIH ?

Je pense que l’on peut envisager plusieurs freins, notamment la relation avec l’anxiété qui est probablement plus forte chez les personnes vivant avec le VIH. Car même si l’infection est aujourd’hui une maladie chronique, il faut continuer à vivre avec le virus et tout ce que cela implique comme de nombreuses difficultés dans la vie personnelle et parfois professionnelle.

Quels conseils donneriez-vous à une personne séropositive qui souhaite arrêter de fumer ?

D’abord d’en parler avec le médecin avec qui elle a le plus de facilités à discuter et en qui elle a le plus confiance, qu’il s’agisse de son infectiologue, de son généraliste ou d’un professionnel de santé. D’autre part, ne pas hésiter à se faire aider et consacrer du temps à cet arrêt en rentrant dans une filière de soins qui ne doit pas faire peur, mais qui est là pour aider au succès. L’arrêt du tabac est une chose sérieuse qui, le plus souvent, ne se décide pas en fin de soirée en fumant une dernière cigarette à la manière d’un pari dont on n’a pas mesuré les enjeux. Il faut s’armer d’une forte motivation en sachant clairement pourquoi on veut arrêter.

Maison de vie : témoignages sur le séjour d’arrêt du tabac

"Je suis dans le train, destination la Maison de vie. J’ai peur, pourquoi ne pas m’attaquer à l’Everest ! Ce qui m’interpelle en arrivant, c’est la quiétude de l’endroit, la sécurité. Le combat commence. Tout est fait pour notre bien-être, pour apporter chaleur et convivialité. Le groupe se soude très rapidement autour de valeurs (…) de générosité et de tolérance. J’ai réappris à manger correctement. Et avec la fermeture des parties communes vers dix ou onze heures du soir, nous avons repris un rythme de sommeil et de repos "raisonnable". Le stage touche à sa fin et je vois que tout le monde a changé : les visages sont reposés et ouverts, pour certains les langues ont réussi à se délier, le regard est différent et les sourires aussi. Pour moi, il y aura un avant et un après la Maison de vie. Si je savais déjà pourquoi, je sais maintenant comment tuer "le monstre" de la tabagie. J’ai redécouvert la vie saine et mes craintes ont laissé place à la confiance. C’est la gorge nouée que je quitte les lieux".
6 mois après le séjour, Denis (Nice) a arrêté le tabac.

"J’aligne 19 jours sans tabac. Je suis encore en train de digérer tout ce qui s’est passé durant le séjour. J’ai beaucoup de gratitude pour cette expérience, le travail de l’équipe et des professionnels, l’arrêt du tabac, la réconciliation avec moi-même… J’ai pris deux kilos, youpi…"
Chantal (Nice) a arrêté de fumer.

Propos recueillis par Mathieu Brancourt.