Téléconsultation : un tour de vis qui hérisse !

Publié par jfl-seronet le 24.10.2022
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Après deux ans et demi de développement de la télémédecine, liée à la pandémie de Covid-19, des députés-es, tous partis, veulent restreindre cette liberté en encadrant drastiquement la pratique. Dans une tribune, des personnalités, notamment engagées dans la lutte contre le sida, critiquent cette initiative : « Encadrement de la téléconsultation : arrêtons d’infantiliser les patients et des usagers ».

Le 17 octobre, le Quotidien du Médecin consacre un article au vote d’un « amendement surprise » dans le cadre du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2023 (PLFSS 2023). Cet amendement a été adopté par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’examen du projet de loi. Il émane des députés-es Républicains (LR), il prévoit que les « actes de téléconsultation doivent être réalisés par le biais d’une maison de santé pluridisciplinaire, d’une officine », afin de garantir l’accompagnement de la personne par un-e professionnel-le de santé.  S’il est voté tel quel l’amendement pourrait alors conduire à la fin des téléconsultations à domicile. Comme le rappelle le quotidien médical, dans son exposé des motifs, la députée LR de Haute-Loire Isabelle Valentin, à l’initiative de cette proposition, précise sa position. Elle souhaite que les téléconsultations soient « réalisées et accompagnées par un professionnel de santé afin de permettre un meilleur encadrement de cette pratique ». « En somme, en imposant la présence d'un pharmacien, d'une infirmière ou d'un médecin des deux côtés de l’écran, le texte signerait la fin des téléconsultations, seules, à domicile », pointe le Quotidien du Médecin. « La téléconsultation doit être encadrée pour éviter les abus et répondre aux attentes et à la confiance des patients », estime Isabelle Valentin. La proposition se trouve soutenue par des députés-es de tout bord ; même la députée de la France insoumise, Caroline Fiat, trouve l’idée bonne. Et cela, malgré l’avis défavorable de la rapporteure du PLFSS Stéphanie Rist (Renaissance). L’amendement est alors adopté.

L’exemple des arrêts de travail

Les débats en commission ont, eux, porté sur l’autonomie des patients-es, la confiance qu’on peut leur accorder ; elle semble réduite. « Vous souhaitez encadrer les arrêts de travail prescrits par téléconsultation, et bien justement, je pense que la présence d’un professionnel de santé pourra dissuader certaines personnes de venir faire dix fois des arrêts de travail dans les télécabines », a, par exemple, expliqué le député LR Yannick Neuder. En matière d’arrêts de travail prescrits par téléconsultation, le gouvernement a pourtant déjà pris des mesures. Depuis le 1er octobre, ces téléconsultations ne sont plus remboursées à 100 % comme durant la crise sanitaire, mais seulement à 70 % comme les consultations classiques. De plus, dans le PLFSS 2023, l’article 43 prévoit de limiter le remboursement des arrêts de travail prescrits à distance. Ils ne devraient être indemnisés que s’ils émanent du-de la médecin traitant du-de la patient-e ou d’un-e médecin « ayant déjà reçu l’intéressé en consultation depuis moins d’un an ». L’objectif de cet article serait d’« éviter les dérives parfois facilitées par le nomadisme auxquels certains patients peuvent se livrer », selon l’exposé des motifs de l’amendement, cité par Le Monde. Selon la Caisse nationale d’assurance maladie, 190 000 arrêts ont été prescrits à des personnes ayant consulté à distance un-e autre praticien-ne que leur médecin traitant en 2021, pour « 130 000 bénéficiaires [dont] 82 % ont un médecin traitant ». Cela représente presque un tiers des 600 000 arrêts prescrits en téléconsultation par un-e médecin libéral-le (généraliste ou spécialiste). Le ministère du Budget précise que « 2 200 assurés » ont bénéficié en 2021 « de plus de quatre arrêts de travail prescrits en téléconsultation par quelqu’un qui n’est pas leur médecin traitant », et que deux cents médecins ont prescrit plus de soixante-dix arrêts dans l’année en téléconsultation à des personnes qui n’étaient pas leurs patients, rappelle Le Monde. C’est peu.

Reste que les parlementaires entendent plus contrôler encore puisqu’ils-elles préconisent que les actes de téléconsultation soient uniquement « réalisés par le biais d’une maison de santé pluridisciplinaire, d’une officine ou d’une collectivité », donc que le-la patient-e soit accompagné-e d’un-e professionnel de santé.

Confiance jamais, contrôle toujours

L’initiative parlementaire a fait réagir un certain nombre de personnalités qui ont publié une tribune : « Encadrement de la téléconsultation : arrêtons d’infantiliser les patients et des usagers » dans les colonnes de Libération (19 octobre). « Pourquoi restreindre un dispositif indispensable à bien des personnes ? Et cela sans aucune consultation de la société civile experte sur les questions de santé et des usagers eux-mêmes », s’interrogent les signataires, dont Françoise Barré-Sinoussi Prix Nobel de physiologie et de médecine 2008 et présidente de Sidaction. « Aucun responsable politique ne devrait faire l’impasse sur les principes fondamentaux de la santé publique et les acquis des luttes des patients et usagers du système de soins pour s’imposer comme acteurs à part entière de la relation thérapeutique », défend la tribune. « L’exposé des motifs et les déclarations des députés de droite et de gauche ayant voté pour cette mesure ne laissent place à aucun doute sur ce qui la motive : la défiance à l’égard des patients et des usagers, stigmatisés et infantilisés. On les soupçonne de vouloir frauder et obtenir des arrêts maladie de complaisance. On les juge incapables d’être acteurs à part entière de leur santé et de la relation thérapeutique. Une telle logique, démentie par le terrain et l’expertise de la société civile qui n’a pas été consultée, peut aller très loin : doit-on imposer un soignant à chaque personne atteinte de diabète quand elle mesure sa glycémie et s’injecte son insuline ? » critique le texte.

Téléconsultation versus déserts médicaux

Cette tribune ne défend pas l’idée que la téléconsultation soit « un mode idéal et universel de relation thérapeutique », mais explique que son « extension » est « en partie liée à l’effondrement de notre système de santé ». « Si en théorie, tout le monde doit à tout moment pouvoir accéder à des rendez-vous médicaux avec les meilleurs médecins, la situation actuelle de saturation des urgences, de déserts médicaux, et de délais d’attente interminables pour consulter des spécialistes invite au pragmatisme pour rapprocher les personnes du système de soins et ne pas les en éloigner davantage ». Pour les signataires de cette tribune, la critique est double : fond et forme. Le fond, c’est la défiance à l’égard des personnes malades. La forme, c’est la solution bricolée d’un contrôle renforcé dont tous les aspects ne semblent pas avoir été pris en compte. « Rien ne semble avoir été pensé en matière de respect du secret médical ou sur les moyens qu’il faudrait aux pharmacies ou aux maisons de santé pour accueillir la masse des usagers supplémentaires. Aucune garantie n’est donnée quant aux personnes contraintes à cette forme de relation thérapeutique par les déserts médicaux : quel soignant sera présent s’il n’y en a aucun ? », s’interroge, avec pertinence, la tribune.

Et les signataires de tacler : « Aucune réponse n’est apportée aux personnes en situation de handicap pour lesquelles la consultation à distance est vitale, aux personnes vivant avec une maladie chronique, qui peuvent avoir des rendez-vous médicaux nombreux, et que le dispositif actuel peut soulager de quelques déplacements, aux personnes bénéficiant d’un suivi psychologique ou psychiatrique pour lesquelles la téléconsultation a démontré son rôle dans un parcours de soins souvent complexe, ni à celles ayant recours à des spécialistes souvent peu nombreux sur le territoire (comme pour les personnes trans, les personnes séropositives, immunodéprimées et handicapées) ».

Les usagers-ères, éternels-les oubliés-es

La tribune ne manque d’ailleurs pas de souligner que toutes ces conséquences auraient pu être appréhendées dès lors que le législateur se décide à consulter les personnes usagères elles-mêmes et les structures qui les représentent. Et d’expliquer : « Il est profondément anormal qu’en 2022, on ait encore besoin de rappeler la nécessité d’un dialogue entre décideurs et premiers concernés, les patients et les usagers, pour toutes les politiques qui les regardent. Mais les progrès en démocratie sanitaire n’ont jamais commencé par les décideurs ».

Outre Françoise Barré-Sinoussi, la tribune a été signée par Cynthia Fleury psychanalyste et philosophe, Pauline Londeix et Jérôme Martin, cofondateur-rice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, Stéphane Besançon, directeur de l’ONG Santé diabète, Florence Thune, directrice générale de Sidaction, Pascale Ribes, résidente de APF France handicap, Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess T, Hugues Charbonneau, militant de la lutte contre le sida et ancien producteur de films (120 Battements par minute), Antoine Chassagnoux, président d’Act Up-Paris, etc.