Croi 2022 : bien vieillir avec le VIH

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 14.02.2022
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ConférencesCroi 2022

Dimanche 13 février 2022, 8h30 à Denver, 16h30 à Paris. Les réserves de café sont prêtes, le casque audio est branché, un PC connecté à la visio, l’autre avec un document Word ouvert. Nous aurions dû être dans la capitale du Colorado dans la ferveur et l’agitation d’un grand centre de conférences internationales mais, crise sanitaire oblige, cette 29e édition de la Croi (Conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes) a lieu en virtuel pour la troisième année consécutive. Compte rendu des moments forts de la plénière d’ouverture.

Quelques chiffres pour commencer : 1 508 abstracts ont été soumis à cette Croi 2022, 860 ont été acceptés dont 24 % qui concernent le Sars-CoV-2, virus responsable de la Covid-19. En tout, 3 333 personnes se sont inscrites originaires de 86 pays dont 40 % en dehors des États-Unis.

Nous voulons profiter de la vie

En plénière d’ouverture, la Croi a choisi de donner la parole à une personne concernée pour faire un vibrant plaidoyer sur le bien vieillir avec le VIH. Marc Thompson est un activiste anglais noir, gay et séropositif originaire de la classe ouvrière. Il est le co-fondateur de Prepster, un collectif d’activistes qui militent pour l’accès et le déploiement de la Prep au Royaume-Uni. Marc a été diagnostiqué séropositif en 1986 à l’âge de 17 ans. « Je n’aurais jamais pensé être ici » explique le militant. « En 1986, le VIH était un diagnostic de décès plus ou moins proche. Il fallait prévoir ses obsèques et attendre la mort. Impossible de se projeter dans l’avenir. Les vétérans du VIH ont perdu beaucoup d’amis et ont assisté à plus d’obsèques que n’importe quelle personne de cette génération n’aurait dû ». Et puis l’espoir renait avec l’arrivée des traitements efficaces en 1996 : « Un mois est passé, puis une année, puis une décennie, puis plusieurs décennies » explique le militant. Les traitements marchent mais les effets indésirables sont lourds et il faut de nouveau se projeter dans l’avenir.

Vieillir avec le VIH aujourd’hui c’est faire face à plus de difficultés que les personnes séronégatives du même âge explique l’activiste. Il y a le stress post traumatique des années sida et les comorbidités qui arrivent avec les années. Des difficultés économiques quand on n’a pas pu épargner ou accéder à la propriété. Des difficultés sociales avec une solitude et un isolement plus importants. Marc Thompson insiste sur le fait que les personnes vieillissant avec le VIH font souvent partie de minorités déjà exposées à des discriminations. Le sexisme, le racisme, la sérophobie, l’homophobie et la transphobie ne font qu’exacerber l’exclusion sociale. L’âge moyen des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) augmente de façon constante. Aux États-Unis, 50 % des PVVIH avaient plus de 50 ans en 2020. Elles seront 70 % d’ici 2030. Pour améliorer la qualité de vie et la prise en charge des PVVIH séniors, Marc Thompson propose huit axes de travail et de réflexion :

  • Évaluer l’impact du VIH sur le vieillissement et du vieillissement sur le VIH : « commencez à apprendre de nous »
  • Quel suivi médical sur le long terme quand la médecine de ville n’a pas toujours l’expertise d’un service hospitalier spécialisé dans le VIH ?
  • Évaluer l’impact du VIH sur les comorbidités comme les maladies cardiovasculaires ou le diabète.
  • Évaluer le poids de la polymédication (plusieurs traitements pour plusieurs pathologies) et les interactions entre les différents traitements.
  • Créer plus d’espace sociaux de soutien en lien avec des pairs-es communautaires.
  • Lutter contre la solitude et l’isolement.
  • Lutter contre les stigmatisations y compris parfois de la part de certains-es soignants-es qui ne connaissent pas bien le VIH. Ne pas forcer des personnes à retourner dans le « placard du VIH ».
  • Améliorer la qualité de vie pour bien vieillir avec le VIH.
  • Après des décennies de survie, nous voulons continuer de vivre mais aussi profiter de la vie » conclut Marc Thompson.

 

Vaccination VIH : 5 concepts en 40 ans ce n’est pas suffisant !

La présentation suivante était sur le thème des stratégies vaccinales dans le VIH et la Covid-19. Dan Barouch est un médecin, immunologiste et virologue américain également professeur à Harvard. Il est connu pour ses travaux sur la pathogenèse et l'immunologie des infections virales et le développement de stratégies vaccinales pour les maladies infectieuses mondiales. Dan Barouch commence par expliquer les différences fondamentales entre les deux virus et les deux épidémies. Le VIH a été identifié il y a 40 ans. C’est un rétrovirus qui génère une infection chronique persistante. En 40 ans, le VIH a provoqué 79 millions d’infections et 36 millions de décès des suite du sida. C’est un virus qui mute beaucoup et il n’y a pas de vaccin efficace disponible à ce jour. Le Sars-CoV-2, de son côté, a été identifié il y a seulement deux ans. C’est un coronavirus qui génère une infection aiguë avec une diversité virale limitée. En deux ans, le Sars-CoV-2 et ses variants ont provoqué 408 millions d’infections et 5,8 millions de décès des suites de la Covid-19. Plusieurs vaccins efficaces sont disponibles.

Les défis pour développer un vaccin VIH efficace sont énormes rappelle le virologue. Parmi les barrières, la diversité virale du virus en lui-même qui mute en permanence, le virus qui se niche très rapidement dans les réservoirs et le risque, dans le cas de certains vaccins, d’injecter un virus atténué à une personne séronégative. Les chercheurs-ses ont développé des vaccins génétiques ADN ou ARN. Pour le VIH, la recherche a fluctué entre stimuler l’immunité cellulaire ou humorale. Pour Dan Barouch il faut sans doute combiner les deux. Les essais cliniques ont été décevants, un vaccin recombinant en Thaïlande a donné 30 % d’efficacité mais non reproduit en Afrique. Des vaccins de ce type amélioré avec d’autres souches efficaces ont montré le rôle important de l’immunité cellulaire lors de tests sur le macaque mais produits chez l’homme, le taux efficacité est retombé à 29 %.

À côté des vaccins, une autre stratégie consiste à utiliser des anticorps monoclonaux neutralisants, mais ils sont spécifiques de chaque souche. Par ailleurs la Prep à longue durée d’action est également une stratégie intéressante avec plusieurs essais en cours (un comprimé mensuel, un implant annuel etc.).

Pour la Covid-19, plusieurs vaccins très efficaces sur la sévérité de la maladie ont été développés en un temps record (ARNm, Ad26, Protéine). Cependant les vaccins n’ont pas contrôlé la pandémie en particulier à cause des inégalités d’accès dans le monde. La troisième dose est utile mais Dan Barouch explique que la priorité est de s’assurer que les pays à faibles ou moyens revenus puissent avoir accès aux deux premières doses. Le choix de certains vaccins (Janssen) à base d’Ad26 vient de l’expérience acquise pour les virus Zika et Ebola. Le vaccin est cependant un peu moins bien toléré que les vaccins à ARNm. Pourtant, les anticorps provoqués par le vaccin Ad26 durent plus longtemps, même si la réponse est un peu plus tardive. Le vaccin Ad26 en deux doses atteint les mêmes niveaux d’efficacité que les vaccins ARNm. Cependant, la pandémie a évolué avec le variant Omicron qui a généré des mutations importantes sur la protéine d’enveloppe Spike. Les anticorps induits par la vaccination ne durent que six mois contre le variant Omicron. Cependant, l’immunité cellulaire reste efficace contre Omicron longtemps après la vaccination. Ceci explique le peu d’efficacité contre la transmission, mais l’efficacité importante contre les formes graves. Il est désormais nécessaire de travailler sur des vaccins avec des réponses plus durables, car vacciner toute la population mondiale tous les trois à six mois n’est pas faisable. En conclusion, Dan Barouch explique que tester cinq concepts de vaccination VIH en 40 ans ce n’est pas suffisant étant donné la complexité de ce virus. Il n’existe pas à ce jour de nouveau vaccin prêt pour un essai à grande échelle sur l’humain mais le virologue reste optimiste et rappelle que c’est grâce à la recherche vaccinale sur le VIH que les vaccins contre la Covid-19 ont pu être développés aussi rapidement et aussi efficacement.

VIH au Brésil : le poids des discriminations

Magie des conférences en visio, après l’Angleterre et les États-Unis, la présentation suivante était en direct de Rio de Janeiro au Brésil. L’infectiologue de renom la Dre Beatriz Grinsztejn est revenue sur les inégalités d’accès à la prévention chez les populations les plus exposées au VIH en Amérique latine. L’épidémie du VIH dans cette zone comprend 2,1 millions de PVVIH, dont 1,6 sous traitement antirétroviral (ARV). La mortalité a baissé de 21 % depuis 2010 mais l’incidence (les nouvelles infections) est toujours en hausse. L’âge au diagnostic a diminué au cours des années, surtout chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et les CD4 au diagnostic sont plus élevés.

Au Brésil, Il y a eu une forte mobilisation militante pour obtenir l’accès universel à la santé et aux ARV. Cela a permis d’avoir une réponse gouvernementale efficace dès les années 90, avec une production nationale d’ARV génériques. L’épidémie s’est pourtant étendue entre 2009 et 2019 et elle se concentre principalement chez les HSH et les femmes trans. Pour briser les chaines de transmission dans ces populations, des efforts ont été déployés pour rendre la Prep accessible. Ainsi, 241 points de délivrance de la Prep ont été mis en place au Brésil et le nombre d’usagers-ères a monté en puissance jusqu’en 2019 (34 000 personnes dont 83 % de HSH). Cependant il y a eu un taux de « perdus-es de vue » conséquent et seuls-es 68 % des usagers-ères restent dans la Prep au long cours. Les arrêts de Prep concernent davantage les jeunes, moins observants. La connaissance de cet outil de prévention a nettement augmenté en trois ans, ainsi que la volonté de le prendre. Un essai de Prep injectable avec du cabotegravir a été effectué chez les HSH et les femmes trans après qu’une étude de préférences a montré une préférence des usagers-ères pour la Prep à longue durée d’action. Des travaux ont également montré que la consommation de drogue ou d’alcool augmentait l’exposition au risque d’infection à VIH, mais aussi l’homophobie intériorisée chez les hommes qui vivent mal le fait d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes. Ces dernières années, il y a eu des régressions majeures sur les droits humains au Brésil qui risquent d’aggraver l’épidémie dans les populations les plus exposées. Toutes les 36 heures, une personne LGBT+ décède de façon violente au Brésil (meurtre ou suicide), dont 76 % de femmes trans. L’espérance de vie des femmes trans est de 35 ans au Brésil contre 77 ans dans la population générale. Une transphobie très élevée qui explique une mauvaise cascade de soins. L’incidence du VIH est maximale chez les jeunes femmes trans noires et pauvres. Les activités communautaires peuvent être très utiles pour promouvoir l’engagement dans la Prep. Il faut plus de services transfriendly adaptés et gratuits et la participation des communautés à toutes les étapes de la recherche à l’accompagnement conclut Beatriz Grinsztejn.

Inégalités en santé aux États-Unis

Retour aux États-Unis pour la dernière intervention de cette plénière d’ouverture qui était plutôt une discussion sur le thème de la réponse américaine face à la pandémie de Covid-19. Paula Walensky est la directrice des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Rien de bien nouveau dans cette intervention. La scientifique est revenue sur l’apport de la communauté VIH dans cette crise sanitaire que ce soient les chercheurs-ses, les cliniciens-nes mais aussi les pairs-es communautaires. Elle a insisté sur la nécessité d’aller vers les personnes les plus éloignées du soin ou les plus réfractaires à la vaccination : « Pour convaincre les personnes à se faire vacciner, il faut leur parler et cela prend du temps. Ça ne va pas forcément marcher du premier coup, il faudra peut-être s’y reprendre à trois ou quatre fois ». Par ailleurs, Paula Walensky est revenue sur l’impact de la crise sanitaire sur le retard à maitriser l’épidémie de VIH et le fait que la Covid-19 a remis un coup de projecteur sur les inégalités en santé aux États-Unis. « Les personnes noires et latinos sont les plus exposées aux formes grave de Covid-19. Ce sont aussi les populations les plus exposées au VIH, aux cancers et aux maladies cardiovasculaires dans ce pays ». Rien de nouveau donc mais c’est important de le rappeler.