Titre de séjour pour soins : une nouvelle instruction ministérielle

Publié par jfl-seronet le 11.05.2014
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Droit et socialétranger malades

Après de longs mois de discussions/négociations entre l'ODSE (Observatoire du droit à la santé des étrangers, dont AIDES est membre) et les cabinets ministériels : une nouvelle circulaire concernant les titres de séjour pour les personnes étrangères malades. Quelques explications.

L'instruction interministérielle sur les demandes de titre de séjour pour raisons de santé, qui vise à clarifier auprès des préfectures et des agences régionales de santé (ARS) les procédures applicables aux étrangers malades, a été publiée, mi mars 2014, sur le site Légifrance.

Comme l’explique l’APM (Agence de presse médicale), cette circulaire a été rédigée par la direction générale des étrangers en France (ministère de l'intérieur) et la direction générale de la santé (DGS). Elle tient compte des remarques qui ont été formulées par les Inspections générales des affaires sociales (IGAS) et de l'administration (IGA) dans leur rapport commun de mars 2013. En décembre 2013, le ministère de l'Intérieur avait annoncé la diffusion d'une circulaire, dont il donnait les grandes lignes, afin de prévenir les "éventuelles dérives procédurales", dans un courrier au Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique (Smisp), rappelle l’APM. Ce syndicat avait dénoncé de "graves dysfonctionnements" dont la violation du secret médical par les préfectures.

La notion d’exceptionnelle gravité en question

La nouvelle instruction ministérielle souligne que "les agents des services préfectoraux ne peuvent, à aucune phase de la procédure d'instruction des demandes de titres" de séjour pour raisons de santé "exiger des intéressés la production de certificats médicaux". Comme le précise l’APM : "Les préfectures ne peuvent pas non plus demander aux étrangers malades qui sollicitent une carte de séjour de produire des pages de leur passeport permettant de s'assurer de leur entrée régulière". Toutefois, afin notamment de permettre au médecin de l'agence régionale de santé (MARS) de déterminer "s'il existe un traitement approprié à la pathologie du demandeur dans le pays dont il est originaire et le cas échéant dans le pays vers lequel il serait légalement admissible", le demandeur "doit justifier de sa nationalité par tout moyen".

Une partie de la circulaire concerne les MARS (les médecins des ARS). Ils doivent s'attacher "à instruire les dossiers médicaux et à rendre [leur] avis dans des délais qui ne sauraient en principe dépasser 30 jours à compter de la réception du rapport médical établi par le médecin agréé ou le praticien hospitalier… ". Un autre point important concerne la définition de la notion d’exceptionnelle gravité. Se fondant notamment sur la jurisprudence, les ministères de l’Intérieur et de la Santé précisent la définition des "conséquences d'une exceptionnelle gravité" d'un défaut de prise en charge sur laquelle reposent les critères médicaux d'admission au séjour. "Cette condition "doit être regardée comme remplie chaque fois que l'état de santé de l'étranger concerné présente, en l'absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d'une atteinte à son intégrité physique ou d'une altération significative d'une fonction importante", dispose l'instruction. Pour être complet, l’instruction indique : "Lorsque les conséquences exceptionnellement graves ne sont susceptibles de survenir qu'à moyen terme avec une probabilité élevée (pathologies chroniques évolutives), vous pourrez fonder votre appréciation en examinant les conséquences sur l'état de santé de l'intéressé de l'interruption du traitement dont il bénéficie actuellement en France (rupture de la continuité des soins)", poursuivent les ministères. Cette appréciation doit "être effectuée en tenant compte des soins dont il peut bénéficier dans son pays d'origine". Pour faciliter le travail du MARS, la Direction générale de la Santé "mettra en ligne, à destination des MARS, une liste de dossiers-pays établie par elle", confirme l'instruction. Ces dossiers-pays "renvoient à des sites répertoriant des données relatives à l'offre de soins dans les pays d'origine ou de renvoi des demandeurs". Soit des informations sur lesquelles se fondent les MARS pour dire si une personne peut être soignée ou pas dans son pays d’origine…

Des avancées et des lacunes

Cette nouvelle circulaire comprend des avancées, mais aussi des lacunes. Parmi les avancées, on peut noter le respect du secret médical (même si la rédaction de la circulaire est quelque peu obscure), des précisions nécessaires sur les pièces à fournir, l’amélioration de la qualité de l'accueil, le plus grand respect des délais de procédure. Parmi les aspects négatifs, on peut regretter que la nouvelle circulaire n'apporte aucune réponse, ni d’ailleurs le moindre rappel à l'ordre, sur la tendance actuelle des préfets à procéder eux-mêmes à l'évaluation médicale, en s'émancipant de la position du médecin de l'ARS et en conduisant une quasi "enquête" parallèle… qui a pour conséquence de les amener à ne pas respecter le secret médical… ce qui n’est pas légal. Par ailleurs, la circulaire restreint les options pour les étrangers malades demandeurs d'asile en procédure Dublin (1). De plus, elle restreint gravement la définition de l'exceptionnelle gravité en insinuant que doivent seules être prises en compte les conséquences médicales de court ou moyen terme. On peut se demander ce qu’il en sera-t-il des personnes vivant avec le VIH dont l’état de santé est stabilisé, mais qu’un changement de prise en charge pourrait mettre en danger ? Et vu la tendance actuelle, on a tout lieu de s'inquiéter !


(1) Sans tout détailler, la procédure Dublin vise à empêcher un demandeur d’asile de choisir son pays d’accueil et à éviter qu’un demandeur fasse des demandes d’asile multiples dans l’Union Européenne ou qu’il soit renvoyé d’un pays à l’autre sans que sa demande ne soit jamais examinée. Pour faire court : une seule demande dans un unique pays.