Travail du sexe : la mauvaise loi a été adoptée

Publié par jfl-seronet le 07.04.2016
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Droit et socialprostitutiontravail du sexe

Voilà, l’ Assemblée Nationale a adopté la très controversée loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Cette proposition de loi socialiste très idéologique et manichéenne dans son approche reste très critiquée par des associations de santé et des associations de défense des droits des travailleuses et travailleurs du sexe.

Le 6 avril, l’Assemblée nationale a donc procédé à la lecture définitive de la proposition de loi PS renforçant la lutte contre le système prostitutionnel ; fin d’un long périple législatif qui a commencé en novembre 2013 par une première lecture à l’Assemblée nationale, puis un premier passage au Sénat en mars 2015. L’Assemblée nationale a ensuite débattu du texte en juin 2015, puis décembre 2015. De son côté, le Sénat a fait de même en octobre 2015 puis mars 2016. Entre temps, une commission mixte paritaire s’était conclue par un échec. Les débats ont été très longs car les deux chambres se sont opposées jusqu’au bout sur plusieurs points clefs de la proposition de loi : la pénalisation des clients, la suppression du délit de racolage.

Faute de consensus et parce qu’il faut bien que les débats prennent fin un jour, l’Assemblée nationale (c’est la règle) a eu le dernier mot.

La loi, d’inspiration abolitionniste, comporte assez peu d’articles. Les plus importants sont l’article 3. Il instaure le "droit pour toute personne victime de la prostitution à bénéficier d'un système de protection et d'assistance" avec "mise en place d'un parcours de sortie de la prostitution" ; l’article 13 qui abroge le délit de racolage, instauré par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. On notera que l’article 19 établit que "l’entrée en vigueur de l'abrogation du délit de racolage [se fera] six mois après la promulgation de la loi". L’article 16, lui, ouvre la voie à la pénalisation du client en créant une "contravention de cinquième classe sanctionnant le recours à la prostitution". Cet article se complète de l’article 17 créant une "peine complémentaire de suivi d'un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution".

Même définitivement adoptée, la loi reste sous le feu des critiques de plusieurs associations (1). Elles ne contestent évidemment pas l'abrogation du délit de racolage auquel elles se sont opposées depuis sa création. Elles dénoncent la pénalisation des clients et les effets qu’elle pourrait avoir notamment en matière de santé. D’ailleurs les débats n’ont pas permis de prendre réellement en considération cet aspect. Pourtant, la Haute autorité de santé (Has) avait révélé dans son rapport sur la santé des personnes en situation de prostitution les enjeux de santé notamment en matière de VIH et d’IST. Dans son rapport validé en janvier 2016, la Has relève que "les données disponibles n’indiquent pas que l’activité prostitutionnelle soit en soi un facteur de risque d’infection au VIH/Sida, sauf lorsqu’elle est associée à des facteurs de vulnérabilité psychologique, sociale et économique (par exemple consommation de drogue par voie intraveineuse, précarité économique et administrative induite notamment par la situation irrégulière sur le territoire)".  Comme le soulignait récemment Thierry Schaffauser, militant du Strass (Syndicat du travail sexuel), il apparaît, selon la Has, que les travailleurs et travailleuses du sexe sont en revanche davantage exposés que la population générale aux risques d’IST moins connues (chlamydia, gonocoque et papillomavirus) et à certains troubles (vaginose, candidose, inflammation pelvienne et anomalies cytologiques). Les besoins en santé sont réels et les associations craignent que la pénalisation des clients ait pour conséquence de renvoyer le travail du sexe dans des zones moins accessibles aux associations de santé et d’influer sur la négociation de la prévention entre les professionnel-le-s du sexe et leurs clients… au préjudice des premiers.

Une autre critique porte sur le volet social du texte. Dans un communiqué (5 mars), les associations (1) signataires se sont interrogées sur le mode "Prostitution : un volet social ou effet d’annonce ?" La proposition de loi socialiste se fixe, entre autres, comme objectif d’"accompagner les personnes prostituées". "Prétendant soutenir les personnes souhaitant arrêter la prostitution, cette proposition de loi prévoit notamment la création d’un "parcours de sortie de la prostitution", qui serait mis en œuvre par des associations agréées". Les associations signataires expliquent n’avoir eu "de cesse d’interpeller les parlementaires sur la conditionnalité de l’accès à ce volet social et sur son applicabilité sur l’ensemble du territoire pour les personnes proposant des services sexuels tarifés". Ce qui pose problème, ce sont les "conditions imposées aux personnes pour bénéficier des mesures sociales". Elles comportent notamment l’obligation de cesser la prostitution : "cette conditionnalité pose un vrai problème au regard de l'égal accès aux droits pour tous", explique le communiqué commun des associations.

"De plus, les aides proposées sont confuses, insuffisantes et précaires : comment cesser l’activité prostitutionnelle sans titre de séjour ni hébergement pérenne, ni allocation suffisante ?", demandent-elles. "En effet, le budget annoncé est actuellement de 4,8 millions d’euros. A l’instar de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), si on estime à 30 000 le nombre de travailleuses du sexe en France (…) le budget alloué à la sortie de la prostitution serait alors de 160 euros par personne et par an". Ce n’est tout bonnement pas possible. "Si cette proposition de loi [entend être] à la hauteur des objectifs affichés, un travail sérieux pour permettre aux personnes qui souhaitent changer d’activité supposerait un budget de 547 millions d’euros par an (2). Les parlementaires ne pouvant pas grever les finances publiques, ils ne pouvaient procéder à une augmentation de ce budget et le gouvernement n’a pas prévu de l’augmenter. Dans ces conditions, il "est évident que le volet social n’est rien de plus qu’un effet d’annonce ayant pour but de masquer la dimension essentiellement répressive de ce texte".

Autre point critique, les conditions de délivrance de l’agrément nécessaire aux associations qui pourront accompagner les bénéficiaires de ce parcours de sortie restent floues. Fin février 2016, les préfectures ont adressé, à certaines associations seulement, un questionnaire visant à identifier leurs besoins autour de ce projet de parcours de sortie. Les signataires déplorent "le tri arbitraire opéré qui exclut certaines structures incontournables, œuvrant en première ligne, et dont le travail de terrain auprès des prostitué-e-s est reconnu de tous et toutes". "La répartition des quelques quatre millions destinés à financer le "parcours de sortie de la prostitution", aurait-elle déjà été décidée à l'avance ?" s’interrogent les associations signataires. Ces dernières interpellent "les législateurs sur les risques de dérives idéologiques de certaines préfectures qui excluent d’emblée certains acteurs de terrain travaillant auprès de et avec les prostitué-e-s".

Enfin, les associations alertent sur le "fait que le contexte politique national, la crise migratoire et les politiques iniques qui l’encadrent, le basculement sécuritaire et les mesures législatives actuelles qui favorisent la précarité sont autant de leviers pour mettre en place un véritable parcours non pas de sortie mais bien d’entrée dans la prostitution."

(1) : Acceptess-t, Act Up-Paris, AIDES, le Planning familial, Cabiria, l’Association des amis du bus des femmes, Le collectif droits et prostitution, Entr’Actes, Grisélidis, Médecins du Monde, le Strass, Collectif des femmes de Strasbourg Saint-Denis.
(2) Prise en charge estimée à environ 1 520 € mois / personne. La durée de prise en charge est estimée à dix-huit mois.