Travail du sexe : les assos en appellent à la vigilance du Sénat

Publié par jfl-seronet le 30.01.2014
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Droit et socialprostitutiontravail du sexe

Dans quelques semaines, la proposition de loi (déjà votée à l’Assemblée nationale en décembre 2013) sur la lutte "contre le système prostitutionnel" viendra en débat au Sénat pour une première lecture. Lors des travaux préliminaires et des discussions à l’Assemblée, les arguments de santé publique et certains arguments de droits des personnes travailleuses du sexe n’ont pas été pris en compte. Aussi plusieurs associations et mouvements de lutte contre le sida et de santé : Act Up-Paris, AIDES, Arcat, le Planning Familial, Médecins du Monde, ont-ils écrit à tous les sénateurs et sénatrices pour rappeler dans les débats à venir sur la prostitution ce que sont les enjeux de droits des personnes et de santé publique. Qu’explique le courrier ?

Tout d’abord que la proposition de loi socialiste qui s’affiche comme "une réforme globale sur la prostitution" est un texte qui pose certains problèmes que ses prometteurs ne veulent pas voir. Pour les associations et mouvements qui ont signé ce courrier cette loi "constitue un frein majeur à l'accès aux droits et à la santé pour les personnes en situation de prostitution". Une tribune commune publié en novembre 2013 dans "Libération" et sur le site "Mediapart" l’expliquait fort bien (1).

Une approche pragmatique et non idéologique

Le courrier aux sénatrices et sénateurs explique aussi que l’approche de ces associations "se veut pragmatique et non idéologique". "Acteurs de terrains, nous nous concentrons sur les enjeux liés à la pratique de la prostitution en termes de santé et d'accès aux droits fondamentaux. C'est fort de cette approche que nous avons alerté inlassablement la société, les décideurs politiques et institutionnels quant aux conséquences actuelles du délit de racolage, et celles prévisibles liées à la pénalisation des clients. En effet, cette nouvelle mesure répressive, bien que visant indirectement les personnes en situation de prostitution, les mettra en danger, notamment les plus précaires", écrivent-elles.

Un texte à hauts risques

Comment ? "En accroissant la pression policière, la pénalisation des clients relèguera les personnes en situation de prostitution en périphérie des agglomérations, dans les sous-bois, au domicile des clients ou dans des appartements ou locaux clandestins, les contraignant à exercer de manière isolée ; la pénalisation des clients soustraira ainsi les personnes en situation de prostitution aux actions des associations, aux possibilités d'accès à la prévention, aux dépistages, aux soins ; la diminution de la visibilité réduira les moyens de la police pour lutter contre la traite et le proxénétisme ; seuls les échanges tarifés de services sexuels visibles seront pourchassés par les forces de police ne visant que les personnes se prostituant dans la rue, celles étant déjà plus précaires", détaillent-elles.

Certes, si la loi est votée et promulguée en l’état, le "nombre de personnes se prostituant diminuera probablement dans les premiers mois" de son application "mais augmentera ensuite : les plus précaires n'auront pas d'autre choix que de réinvestir la rue. La pression sur les clients entraînera l'augmentation de pratiques à hauts risques : diminution du temps de négociation avec des clients plus déterminés, acceptation de sexe sans préservatif et de prestations auparavant refusées".

La santé, victime de la future loi ?

Lors des débats à l’Assemblée, ces arguments n’ont pas été entendus et très souvent caricaturés voire même déniés. Et pourtant, les risques sanitaires liés à l'exercice de la prostitution existent, la précarité et l'isolement induits par des mesures législatives répressives les décuplent. "De nombreux rapports d'experts rejoignent nos propres inquiétudes, indiquent les associations. En France, deux récents rapports de l'Inspection générale des affaires sociales (1) et du Conseil national du sida (2) attestent de la pluralité des situations prostitutionnelles, de l'incohérence des politiques publiques actuelles et soulignent l'urgence de mettre la santé et la sécurité des personnes se prostituant au cœur des préoccupations politiques". Cette vision est également assez partagée au niveau international puisque des instances comme l’ONUSIDA, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) "concluent que des législations répressives, directes ou indirectes, à l'encontre des travailleurs et des personnes se prostituant renforcent la discrimination et impactent négativement leur santé".

Un projet très déséquilibré

Autre point avancé auprès des sénatrices et sénateurs, même si le texte se présente comme un "projet global de lutte contre la prostitution", il présente un "volet dit sanitaire et social déséquilibré au profit de la logique essentiellement répressive, véritablement prohibitionniste du texte. Loin de pouvoir être qualifié d'ambitieux ou satisfaisant, le bricolage juridique autour de ce volet souligne, s'il en est encore besoin, la précipitation autour de la proposition de loi, l'idéologie s'imposant sur la concertation et le travail de fond. La semaine précédant l'ouverture des débats sur ce texte à l'Assemblée nationale, après le passage en commission spéciale, il a été constaté que l'axe principal autour duquel s'appuyait le volet social, l'Allocation temporaire d'attente (ATA), qui visait les ressources pour les personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution n'était pas constitutionnelle (amendement 62 du Gouvernement). L'ATA a été donc remplacée par une allocation non définie, ne permettant pas d'évaluer le coût ; ni l'acceptabilité pour les personnes. Sur le plan de la santé, il en va de même. Les enjeux sanitaires ont été oubliés ou écartés dans la proposition parlementaire en dépit des alertes répétées de nos associations, de l'IGAS ou du Conseil national du sida (CNS), et rajoutés de justesse par le gouvernement par un article 14 bis, mais de manière très générale, sans objectifs ni engagements", dénoncent les associations.

Sénat : un appel à la vigilance

"Il y a aujourd'hui un besoin réel d'une autre politique sur la prostitution, d'une vision dépassant les clivages et idéologies, passant par le renforcement de la lutte contre les réseaux, par une action politique ambitieuse et globale sur l'accès aux droits et à la santé des personnes en situation de prostitution", explique le courrier aux parlementaires. "Ce projet ne correspond pas au contenu du texte proposé au Sénat", indiquent les associations qui attendent du Sénat qu’il se montre "vigilant" pour "faire valoir la santé publique et le respect des droits fondamentaux comme les préoccupations majeures d'un débat sur la prostitution. La précipitation a été la règle à l'Assemblée nationale, il revient à la Chambre Haute de permettre enfin le débat et la concertation, donner le temps nécessaire à l'élaboration d'un texte plus équilibré".

(1 ) Rapport IGAS, Prostitutions : les enjeux sanitaires, décembre 2012
(2) VIH et commerce du sexe garantir l'accès universel à la prévention et aux soins