Travail : les discriminations vont bon train !

Publié par jfl-seronet le 27.09.2016
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Droit et socialdiscriminationtravail

Un rapport, celui de France Stratégie, un appel à témoignages, mené par le Défenseur des droits, pointent les discriminations qui perdurent en matière d’emploi. Ces discriminations concernent tout particulièrement les femmes et les personnes d’origine étrangère françaises ou non. Elles suscitent renoncement, colère, découragement, sentiment d’être déclassé, etc. Outre leurs conséquences humaines, elles ont même un impact économique. Explications

Organisme de réflexion, d’expertise et de concertation placé auprès du Premier ministre, France Stratégie entend être un outil de concertation au service du débat social et citoyen, et un outil de pilotage stratégique au service de l’exécutif. L’organisme s’appuie sur des équipes d’analystes dans les questions économiques, sociales, d’emploi, de développement durable et de numérique. Cet organisme a longuement planché sur la question des discriminations et vient de publier un rapport sur le "coût économique des discriminations". "C’est un fait, les discriminations sur le marché du travail ont un coût social", explique France Stratégie, qui pointe le "manquement à l’égalité" qui entame la confiance dans le pacte républicain. Si cet aspect est rappelé, le rapport choisit surtout de traiter du coût économique des discriminations.

De quelles discriminations parle-t-on ?

Sur le plan juridique, la discrimination en matière d’emploi décrit le fait d’opérer (intentionnellement ou non) "une distinction" entre des personnes sur la base de critères "non objectivement justifiés par un but légitime", rappelle l’organisme. Une pratique "susceptible d’entraîner un désavantage particulier" pour la personne traitée "de manière moins favorable". La loi française prohibe vingt-et-un motifs de discriminations dont la santé. Parmi ceux-là, deux ont été retenus dans ce rapport pour mesurer les gains économiques attendus d’une réduction des discriminations : le sexe et l’origine géographique. Et trois autres complètent l’analyse descriptive : le handicap, l’orientation sexuelle et le lieu de résidence. France Stratégie explique que ce choix est "essentiellement motivé par des contraintes de données".

Pour évaluer l’ampleur des discriminations, le travail a consisté "à mesurer statistiquement les écarts de situation en emploi qui ne sont justifiés par aucune variable objective (formation, expérience, ou origine sociale), des écarts qualifiés "d’inexpliqués" qui sont observés entre les groupes "à risque" et le reste de la population, explique l’organisme. Ce type d’évaluation indirecte des discriminations a l’avantage de délivrer une analyse plus précise et plus extrapolable — que le testing ou l’enquête d’opinion par exemple.

Etre une femme reste le premier facteur d’inégalité

Les écarts inexpliqués sont particulièrement marqués pour les femmes, note France Stratégie. "Avec des taux d’activité inférieurs de dix points à ceux des hommes, des temps partiels supérieurs de vingt points, la probabilité la plus faible d’accéder aux 10 % des salaires les plus élevés et un écart de salaire inexpliqué de l’ordre de 12 %, les femmes continuent d’être les premières victimes des inégalités sur le marché du travail". Si les écarts de salaires restent notables, les inégalités d’accès à l’emploi entre hommes et femmes se sont en revanche réduites depuis 1990 et le sur-chômage féminin a quasiment disparu, note l’institution. Il n’en demeure pas moins qu’être une femme reste donc le premier facteur de discrimination en emploi en France.

Il est suivi de près par l’ascendance migratoire. Ainsi les hommes descendants d’immigrés africains ont une probabilité d’être au chômage supérieure de sept points aux hommes sans ascendance migratoire. "Pour comparaison, ce chiffre est de trois pour les natifs des Département d’Outre-mer. Quant à leurs chances d’accéder à un CDI à temps plein, elles sont au niveau… de celles des femmes", indique France Stratégie. Comparé au sexe et à l’origine migratoire, le lieu de résidence n’apparaît pas en revanche comme un facteur explicatif massif d’inégalité d’emploi.

Un manque à gagner de l’ordre de 3 % à 14 % du PIB

Que gagnerait la société dans son ensemble si le recrutement des chefs d’entreprise était élargi aux femmes, si les talents étaient reconnus dans toute leur diversité et tous les hauts potentiels pleinement employés ? Cette question, France Stratégie l’a traitée et y a apporté une réponse chiffrée. Par quelle méthode ? "En simulant les effets d’un alignement de la situation en emploi des personnes discriminées — taux d’emploi, niveaux de salaires, temps de travail et proportion de bacheliers — sur la situation moyenne observée dans le reste de la population de même classe d’âge. Ces effets sont estimés sur la base de quatre scénarios qui vont chacun, un peu plus loin, dans la prise en compte des effets cumulés d’une réduction des discriminations", explique l’institution.

Les quatre scénarios explorés : les chiffres sont éloquents

Le premier scénario mesure l’effet sur les salaires d’une réduction des écarts d’accès à l’emploi qualifié. Les deux suivants y ajoutent les effets d’une convergence des taux d’emploi, puis des durées de travail. Le dernier évalue l’effet additionnel d’un alignement des niveaux d’éducation (taux de bacheliers). Le scénario 2 mesure schématiquement les effets sur l’économie de la discrimination au sens juridique, tandis que le scénario 4 serait plutôt celui de l’égalité des chances. "Les chiffres sont éloquents !", note France Stratégie. La convergence des taux d’emploi, introduite dans le scénario 2, se traduirait par une augmentation de 3 % de la population en emploi, soit 608 000 postes supplémentaires, à 93 % féminins. En y ajoutant l’effet convergence des temps de travail (scénario 3) l’augmentation estimée monte à 4,5 %, soit 974 000 emplois à temps plein. Les gains en termes de valeur ajoutée sont massifs : ils s’échelonnent de +3,6 % du PIB dans le premier scénario à +14,1 % dans le scénario 4 d’égalité des chances. Le scénario médian de convergence des seuls taux d’emploi et d’accès aux postes élevés, rapporterait 7 % du PIB, soit environ 150 milliards d’euros. Des gains économiques auxquels les femmes contribueraient en l’occurrence à hauteur de 97 % !

Dans leur conclusion provisoire, les experts (1) de France Stratégie indiquent que quel que soit le scénario retenu, la "réduction des discriminations représente une vraie réserve de croissance. Un plan de lutte national aurait ainsi le mérite de faire converger justice sociale et bénéfice économique". Evidemment, il est sans doute un peu tard pour lancer ce plan. Encore une occasion ratée !

(1) : Gilles Bon-Maury, Clément Dherbecourt, Jean Flamand, Christel Gilles, Catherine Bruneau, Adama Diallo, Alain Trannoy.

Le Défenseur des droits dénonce des discriminations à l’emploi
Le 19 septembre dernier, le Défenseur des droits a présenté les résultats de son appel à témoignages sur les discriminations liées à l’origine dans l’accès à l’emploi lancé il y a quelques mois. Près de 758 personnes ont répondu à cet appel à témoignages. Ces résultats illustrent la diversité des difficultés rencontrées par les personnes d’origine étrangère et les conséquences sur leurs parcours professionnels et personnels. "Loin d’être un phénomène isolé, les discriminations liées à l’origine lors de recherche de stage ou d’emploi se produisent "souvent" ou "très souvent" pour la majorité des personnes qui ont témoigné", indique un communiqué des services du Défenseur des droits. "Un tiers des répondants considèrent avoir été discriminés sur au moins trois motifs liés à leur origine. On peut remarquer que les personnes qui disent être vues comme arabes témoignent notamment des préjugés attachés à leur supposée religion musulmane, tandis que celles vues comme noires se déclarent plus souvent discriminées du fait de leur couleur de peau", note l’institution. "Face à ces différences de traitement, les voies de recours aux droits peinent encore à être mobilisées", écrit, en termes mesurés, le Défenseur des droits. Résultat ? Moins d’un répondant sur dix a engagé des démarches pour faire reconnaître ses droits. "Les conséquences de ces discriminations sur les trajectoires professionnelles sont importantes et témoignent du désarroi engendré par des années de recherches vaines pour participer au marché du travail d’un pays qui est pourtant le leur (80 % des répondants sont de nationalité française)", dénonce le communiqué. Et le Défenseur des droits d’enfoncer le clou : "Fatalisme, renoncement, déclassement social, projet d’expatriation… autant de réactions qui illustrent les impasses que le système actuel produit et qui rappellent l’urgence à mener des politiques publiques fortes pour lutter contre ces discriminations".