TTF européenne : une naissance en mai ?

Publié par jfl-seronet le 14.03.2014
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InterviewTTFtaxe sur les transactions financières

Le sommet franco-allemand du 19 février dernier n’a pas permis d’avancer sur la question de la taxe sur les transactions financières (TTF), un engagement européen pourtant pris en 2014. Désormais, chacun attend une avancée décisive de la TTF avant les élections européennes de mai 2014. Présidente de Coalition PLUS, Hakima Himmich revient sur les enjeux de ce combat et la stratégie mise en œuvre afin que cet outil de financement innovant puisse être mis en place au profit de la solidarité internationale, de la lutte pour le climat et celle contre le sida.

Vous attendiez-vous à un échec du sommet franco-allemand sur la question de la taxe sur les transactions financières (TTF) et comment l’expliquez-vous ?

Hakima Himmich : Le sommet franco-allemand du 19 février dernier était l’occasion, pour la France et l’Allemagne, de dessiner les contours d’une future taxe européenne sur les transactions financières ambitieuse et solidaire. Nous savions que, contrairement à l’Allemagne prête à adopter une taxe large qui frapperait la spéculation financière et donc engloberait notamment les produits dérivés, la France y serait réticente en raison du fort lobby bancaire qui fait pression pour une adoption d’une TTF a minima. Nous partions donc du principe que le combat n’était pas gagné d’avance. Mais notre rôle était justement de faire pression, aussi bien en termes de plaidoyer qu’au niveau médiatique, pour que ce sommet soit l’occasion d’un accord qui aboutirait à une prise de décision finale des onze Etats de la coopération renforcée d’ici les élections européennes le 25 mai 2014. Le leadership franco-allemand avait à ce moment-là une bonne occasion de se renforcer et de montrer sa volonté de tenir ses promesses.
Il faut avouer que si nous avions des doutes quant au fait que le sujet de l’affectation d’une partie des revenus de la TTF à la solidarité internationale, à la lutte contre le réchauffement climatique et contre le sida serait abordé, nous pensions, en revanche, qu’un début de décision aurait été pris quant à l’assiette de la taxe, notamment en ce qui concerne la taxation des produits dérivés. C’est, dans ce sens, un échec de la part des deux leaders européens qui n’ont pas réussi à se mettre d’accord, alors que la société civile se bat depuis longtemps pour une TTF européenne ambitieuse et solidaire.

On voit dans les débats en cours que le gouvernement français est tenaillé entre les engagements de François Hollande en faveur de cette taxe et le souci de plus en plus fort de complaire aux banques, de ménager la finance… De quels arguments supplémentaires, de quels moyens de persuasion nouveaux disposez-vous pour faire pencher la balance en faveur d’une TTF telle que vous la défendez ?

Nous étudions depuis plusieurs années maintenant l’impact d’une TTF européenne ambitieuse et solidaire. Nous nous appuyons sur les promesses formulées par le président François Hollande qui s’était engagé à allouer une partie des revenus de la TTF à la solidarité internationale, à la lutte contre le réchauffement climatique et contre le sida. Nous avons également comme preuve le peu de revenus qu’a apporté la TTF française. En exonérant la grande majorité des transactions financières, le gouvernement français a satisfait le lobby bancaire et mis de côté ses engagements solidaires, sans parler du fait que les financements alloués à l’aide publique au développement (APD) n’étaient pas additionnels, mais comblaient le manque de contributions de la part du gouvernement. Le modèle européen doit voir plus grand, plus large.

Nous sommes aujourd’hui une coalition (1) de plus en plus importante, tant en France qu’au niveau européen, à demander deux choses : une taxe qui frappe la spéculation financière en taxant les produits dérivés, et une taxe solidaire dont une partie des revenus doit nécessairement être allouée à la solidarité internationale, la lutte contre le réchauffement climatique et contre le sida. Des dizaines de milliers de sympathisants nous soutiennent, relaient nos revendications et agissent avec nous pour continuer à faire pression sur les décideurs. Par ailleurs, nous avons une certaine puissance médiatique qui nous permet de relayer nos messages à travers les différents médias intéressés par cet enjeu. Si ces moyens de persuasion ne sont pas forcément "nouveaux", ils nous permettent de continuer le combat.

On connaît mal les positions des onze Etats européens engagés dans la TTF. Sont-ils majoritairement favorables à une TTF telle que vous la défendez ou plutôt favorables à une TTF dont le produit servirait surtout à combler les déficits ?

La France et l’Allemagne ont déjà approché l’Italie et l’Espagne afin de parvenir à un texte de compromis final qu’ils doivent présenter prochainement aux pays membres de la coopération renforcée. Il existe plusieurs dimensions dans cette discussion. Les Etats tentent de trouver un compromis sur la question de l’assiette de la taxe, certains Etats voulant exempter les transactions les plus spéculatives (les plus rentables,mais aussi les plus déstabilisatrices) : trading à haute fréquence, trading sur les dettes d’Etat et produits dérivés. Mais c’est surtout la question de l’affectation qui reste en suspens. Alors que certains Etats veulent que la TTF serve intégralement à rembourser les marchés financiers pour la dette publique, la France s’est engagée à consacrer une partie des revenus de cette taxe européenne à la solidarité internationale. L’Allemagne et la Belgique sont également ouvertes à cette idée. Il existe en revanche deux risques majeurs : la taxe pourrait non seulement ne pas être affectée à des enjeux communs, mais surtout, chaque Etat membre pourrait l’utiliser afin de combler son propre déficit budgétaire. Il est encore difficile de connaître les positions officielles de chacun des Etats membres de la coopération renforcée. Là encore, nous continuerons de lutter pour que la coopération renforcée décide d’affecter une partie de la TTF européenne à la solidarité internationale, à la lutte contre le réchauffement climatique et contre le sida.

Les gouvernements français et allemand parlent désormais d’un accord, d’une avancée décisive sur la TTF avant le 25 mai, avant les élections européennes. Que comptez-vous faire avant cette échéance pour qu’une décision soit enfin prise ?

Cet accord qui doit être décidé d’ici aux élections européennes était déjà décidé dès le début de l’année 2014. Nous continuons, tous ensemble, et accompagnés de nos milliers de sympathisants, à faire pression pour l’adoption d’une taxe européenne sur les transactions financières ambitieuse et solidaire. Cela se traduit par des rendez-vous et l’organisation d’événements publics avec les décideurs, un relai médiatique de notre campagne et une mobilisation de notre réseau pour participer à de futures manifestations.

(1) : Une campagne pour taxer la finance au service des vraies urgences a été lancée par AIDES, Coalition PLUS, One et Oxfam France. Plusieurs actions ont également été réalisées avec Attac.

Coalition PLUS, c’est qui ?
Coalition PLUS a été créée en 2008, à l’initiative de quatre associations de lutte contre le VIH/sida : AIDES (France), ALCS (Maroc), ARCAD-SIDA (Mali), COCQ-SIDA (Québec). Coalition PLUS réunit des associations communautaires, pour la majorité francophones, qui partagent les mêmes valeurs et objectifs : l’accès universel aux soins, aux traitements et à la prévention, la lutte contre la stigmatisation et la criminalisation des personnes séropositives, la défense des droits des populations les plus exposées au risque d’infection. Le tout, selon un principe non négociable de solidarité Nord/Sud. Depuis 2008, la force de frappe de Coalition PLUS s’est accrue avec l’arrivée de nouvelles associations adhérentes.